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samedi 6 mai 2023

Cette chose étrange en moi, d'Orhan Pamuk

 

Auréolé du prix Nobel de littérature, et donc du prestige qui lui est associé, Orhan Pamuk est un écrivain qui fait très souvent l’unanimité auprès de la critique, mais qui divise les lecteurs. Il y a ceux qui tombent à chaque fois sous le charme de ses romans et ceux qui lui reprochent de tourner un peu en rond et de se montrer un tantinet verbeux.  Honnêtement, à condition de ne s’en tenir qu’à l’aspect formel de sa littérature, ces reproches ne sont pas tout à fait infondés, mais hélas c’est oublier l’aspect obsessionnel de la littérature d’Orhan Pamuk. Cette capacité à revenir sans cesse parcourir les rues de sa ville natale, à évoquer inlassablement ses souvenirs à travers ses romans sont au cœur même du projet de l’écrivain turc et en font justement tout l’intérêt. Si ce contrat tacite ne vous convient pas, alors vous risquez effectivement de ne pas saisir pleinement la mesure (voire la démesure) de cette littérature si personnelle et si profondément ancrée dans les racines familiales de l’écrivain stambouliote. Lire Orhan Pamuk c’est être plongé irrémédiablement dans l’âme d’Istanbul, c’est en saisir toute la richesse culturelle et la dimension historique, car à chacun de ses romans, il explore des facettes différentes de sa cité et la fait vivre aux yeux d’un lecteur désormais ivre de sensations d’une richesse inouïe.  


Cette chose étrange en moi ne déroge pas à la règle, mais s’éloigne quelque peu du milieu petit-bourgeois que l’on découvrait dans les romans les plus autobiographiques d’Orhan Pamuk.  Cette fois, l’écrivain s’intéresse aux petites gens, à ceux venus des lointaines campagnes d’Anatolie, attirés par le dynamisme de la grande cité turque, par les promesses d’emploi et le désir d’y faire fortune. Ainsi, Mevlut a quitté son village natal pour rejoindre son père, vendeur de yaourt le jour et de boza le soir venu. La boza, c’est cette boisson traditionnelle très légèrement alcoolisée, obtenue à partir de la fermentation de céréales et que l’on consomme avec une poignée de pois chiches grillés. L’islam interdisant l’alcool, la boza eut beaucoup de succès à l’époque ottomane (nonobstant quelques polémiques à certaines époques), mais à la fin des années soixante, elle est en perte de vitesse en raison d’une certaine libéralisation des mœurs à Istanbul. La vente de yaourt et de boza en faisant du porte à porte est loin d’être une activité de tout repos, Mevlut et son père doivent se lever tôt pour aller chercher au marché de gros leurs plateaux de yaourt et leur boza, entreposer ce qu’ils ne peuvent pas porter toute la journée dans quelques endroits stratégiques de la ville et parcourir inlassablement les rues des quartiers les plus populaires en ployant sous le poids d’une perche chargée au maximum, quelle que soit le temps ou la saison. Au cri du vendeur, les fenêtres s’ouvrent et les clients font descendre les paniers pour récupérer leurs commandes, parfois les portes s’ouvrent pour laisser entrer le vendeur, le temps d’une discussion et Mevlut aperçoit alors la manière dont vivent les stambouliotes, riches ou pauvres, religieux ou laïcs, jeunes ou vieux, toute la diversité de la cité s’offre à ses yeux et à ses oreilles. Mais le père et le fils ne font guère fortune, les citadins préfèrent acheter désormais des yaourts en pots et le raki devient bien plus populaire que la boza, il n’y a guère qu’auprès des anciens qu’elle obtient encore un peu de succès. Mais Mevlut s’entête, malgré la fatigue d’un métier éreintant, malgré la pluie et le froid l’hiver, malgré la chaleur étouffante l’été et en dépit de recettes de plus en plus maigres. Parcourir les rues, observer le monde, rencontrer d’autres concitoyens, telle est la vie qu’il a choisie. 
 
Mais un jour, alors qu’il assiste au mariage de son cousin, Mevlut rencontre les yeux de Rayiha, la petite sœur de la mariée à peine âgée de 15 ans. Le jeune-homme en tombe immédiatement amoureux. C’est décidé, il épousera celle à qui appartient ce merveilleux regard, quitte à l’enlever au milieu de la nuit, au cœur de son petit village natal. 


“La vie, les aventures, les rêves du marchand de boza Mevlut Karatas et l’histoire de ses amis 

et

Tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par le yeux de nombreux personnages”


Tel est le sous-titre de Cette chose étrange en moi et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il résume de manière extrêmement fidèle le projet d’Orhan Pamuk, il en délimite même avec une grande exactitude le périmètre. Pour autant, il se dégage de ce roman une indescriptible poésie mâtinée de douce mélancolie. On sent bien que malgré le désir de réussite affiché extérieurement par Mevlut, ce qui lui tient à cœur n’est pas et ne sera jamais l’argent. Le bonheur tient à des choses à la fois plus fugaces et plus tangibles, la joie de retrouver sa femme adorée et ses filles à la fin d’une rude journée de travail, le plaisir d’échanger avec des clients de longue date, la satisfaction d’observer la vie de la cité, la foule bigarrée qui parcourt les ruelles tortueuses d’Istanbul… Mevlut est un fin observateur de la vie et un contemplateur infatigable de la beauté du monde. Ce côté candide de sa personnalité mêlé à une certaine forme de rigidité le rendent profondément attachant et en font l’un des personnages les plus touchants de la littérature d’Orhan Pamuk. 



dimanche 30 avril 2023

Être combattant : Sous le feu, de Michel Goya

 

Je sais que ce blog est essentiellement un blog littéraire, mais il y a des traités de sociologie qui se lisent comme des romans. Sous le feu, de Michel Goya, est de ceux-là. Aussi je me permets de vous en toucher un mot.

Ce petit livre (250 pages en édition poche) détaille le métier de soldat, qui n’est pas tout à fait un métier comme un autre, en ce sens que comme l’indique le sous-titre, il faut prendre en compte « la mort comme hypothèse de travail ».

Ici pas de panégyrique du combattant héroïque ou du devoir sacré. Les récits qui émaillent cette étude sont ceux de soldats qui ont connu le feu, hier et aujourd’hui, sans pathos, sans lyrisme, mais sans la sécheresse d’un rapport non plus. Simplement la description de leurs émotions au moment de l’engagement, que ce soit en partant à l’assaut de la tranchée adverse pendant la première guerre mondiale ou lors d’une embuscade lors de l’intervention en Afghanistan.

Alternant ces témoignages avec des études sociologiques et psychologiques dont plus d’une peuvent nous surprendre, l’auteur replace les notions de courage et d’héroïsme dans leur contexte, démêle la part intime et la part du collectif dans les réactions du soldat face à sa mort et à celle de l’ennemi. Il parle aussi de commandement sous le feu et à l’arrière, quand la décision doit être rapide et efficace sous peine de mort ; de la chance indispensable, mais qu’il faut savoir aider, par un bon entraînement par exemple (mais qu’est-ce qu’un bon entraînement?). Il parle aussi des raisons qui poussent les soldats vers le combat, sans distinguer les « bonnes » des « mauvaises ». Il parle enfin de la peur, tout au long du livre, sous de nombreuses formes, omniprésente, à la fois sauvegarde (on fait attention quand on a peur) et dangereuse quand elle paralyse.

Le colonel Michel Goya est à la fois un historien et un militaire du rang (sous-officier puis officier). Il a connu plusieurs fois le feu, notamment au siège de Sarajevo. Il décrit donc quelque chose qu’il a vécu, mais il cite d’abord les autres. Il décrit le courage, l’héroïsme, la lâcheté, la stupeur, la peur sous toutes ses formes, les moments paroxystiques, et la camaraderie ou esprit de corps, le ciment des armées. Il dévoile les arbitrages nécessaires pour former un bon combattant, entre le trop et le pas assez dans tous les domaines. Il nous apprend à comprendre le combattant d’aujourd’hui, qui voit rarement son ennemi, mais plutôt ses bombes plus ou moins artisanales, ses missiles, ses drones et, au plus près, entend les balles de ses fusils automatiques.

Ce texte n’a rien d’une propagande pour l’armée, mais rien non plus d’un pamphlet pacifiste. Il se contente de constater que la guerre existe et qu’elle est menée par des êtres humains qui n’ont pas toujours choisi de devenir soldat, mais qui ont souvent de bonnes raisons de se battre.

Et tout à coup m’est revenu l’envie de revoir certains films de guerre. Non pas ceux qui glorifient les généraux, les snipers héroïques ou les soldats perdus, mais ceux qui racontent l’affrontement et ce qui s’ensuit juste après : « Capitaine Conan, de Bertrand Tavernier » ; la scène du débarquement de « Il faut sauver le soldat Ryan » ; Et toute la série « Band of Brothers », dont certaines scènes me revenaient en flashes lors des explications de l’auteur sur l’entraînement, la chance au combat, l’esprit de corps, mais aussi la peur, l’usure des affrontements répétés, tout ce qui fait du combattant un "frère d'armes".

Et ce qui est certain, c’est qu’après cette lecture, on n’écoutera plus jamais les récits et les reportages de guerre de la même manière. Et on regardera le combattant d’un autre œil, pas plus admiratif ou plus critique. Un autre regard, simplement.


lundi 6 mars 2023

SF post-apo : Station Eleven, d'Emily St John Mandel

 

Peut-on encore échapper à la SF post-apocalyptique ? Si l’on s’en tient à ce que l’on nous propose depuis une bonne dizaine d’années, on serait tenté de répondre par la négative. La mode est donc aux zombies, déclinés à toutes les sauces. Des zombies à la TV, des zombies au cinéma, des zombies à flinguer sur votre console ou votre PC, des zombies à manger sous forme de friandises gélifiées ou de chips…. jusqu’à l’overdose. Le problème, c’est que depuis George Romero, plus personne n’a grand chose à dire sur le sujet. Une fois la critique du capitalisme et de la société de consommation actée, on tourne un peu en rond. Certains ont tenté parfois avec succès la parodie, mais très honnêtement il y a de quoi être agacé par l’aspect parfaitement roboratif de cette mode. Si l’on élargit quelque peu le spectre, derrière cette tendance marketing on perçoit évidemment une crainte, celle de la fin de notre civilisation, dont le zombie n’est finalement que l’instrument archétypal puisque les causes sont souvent plus profondes (virus mutant, bouleversement écologique, manipulations génétiques…). Force est de constater que ce thème de la fin du monde, s’il n’est pas neuf (coucou Paco et  les millénaristes de la fin des années 90), est omniprésent dans les oeuvres de la culture populaire depuis une bonne dizaine d’années, si ce n’est davantage ; signe que la perspective d’une fin proche résonne particulièrement fort auprès du grand public. Mais il faut dire que l’époque n’est guère rassurante, entre disparition accélérée de la biodiversité, pollution des écosystèmes, réchauffement climatique et surexploitation des ressources planétaires, il y a effectivement de quoi être inquiet. La perspective de la disparition de nos sociétés modernes,  tellement fragiles et dépendantes, est en train de prendre l’ascendant sur le discours rassurant et lénifiant prônant la toute puissance de notre civilisation ultra-technologique. La technologie nous sauvera-t-elle ? Rien n’est moins sûr affirme le courant post-apo, les hordes de zombies déchaînés nous balaieront comme des fétus de paille ou des virus foudroyants  réduiront la population mondiale à des hordes disparates de survivants hagards et faméliques. Dès lors, les technologies dont nous sommes à la fois si fiers et esclaves n’auront plus de sens, il faudra survivre dans un monde désormais hostile avec pour seule arme la volonté de se battre. Télévisions, voitures, téléphones, ordinateurs et autres machines en tous genres ne seront plus que des reliques d’un passé révolu et désormais  insignifiant.


Oui bon, d’accord, mais puisque tout semble avoir été dit, pourquoi se pencher sur le cas Station Eleven, dont les ressorts narratifs semblent répondre en tous points au cahier des charges du bon petit roman post-apo ? Eh bien parce que pour une fois, cette fin de monde a quelque chose de différent. Tout aussi effrayante et anxiogène, elle insiste sur l’extrême fragilité de notre civilisation et sur notre faible capacité de résilience face à un cataclysme imprévu. En outre, la manière dont se déroule la fin du monde entre en résonance avec notre propre expérience de la pandémie, qui, toutes proportions gardées évidemment, nous a confrontés à de nouvelles expériences (règles sanitaires renforcées, confinement, distanciation sociale, pénuries relatives….), qui laissent entrevoir le comportement pas toujours très glorieux de nos semblables en cas de crise sanitaire majeure.  


Station Eleven nous raconte la fin de notre civilisation telle qu’elle est aujourd’hui, cette civilisation ultra-technologique et ultra-connectée, où les informations, les biens et les personnes transitent à grande vitesse à travers la planète, cette civilisation ultra-consumériste, atteinte d’un  sévère complexe de “toute puissance”, qui se croit forte et solide alors qu’elle n’est qu’un colosse aux pieds d’argile. Un simple virus grippal venu d’Europe de l’Est foudroie en quelques jours l’humanité. 90% de la population mondiale est décimée, la production énergétique et industrielle s’effondre, les télécommunications s’arrêtent tout comme la production agricole et le secteur agro-alimentaire. En quelques jours notre monde disparaît, ne laissant que quelques survivants exsangues et hébétés, à peine capables de réaliser qu’ils ont été épargnés par le cataclysme. Comment survivre, comment reconstruire un semblant d’Humanité lorsque tout à été réduit à néant ? Du côté des grands lacs américains, quelques survivants tentent de redonner du sens à leur vie nouvelle en célébrant les grandes œuvres du passé. La Symphonie itinérante, regroupant des musiciens et des comédiens, parcourt les ruines de l’ancien monde offrant aux survivants leur interprétation de Shakespeare  et des grandes pièces de la musique classique. Leur caravane faite de bric et de broc, mais armée jusqu’aux dents pour éviter les mauvaises rencontres et les pilleurs, emprunte un circuit bien rodé le long du lac Michigan, visitant les quelques communautés qui ont réussi à se reconstituer, apportant la culture là où elle avait disparu. 


Cette perspective nouvelle (excepté peut-être dans Un cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller), dans un genre littéraire qui se focalisait plutôt sur la barbarie et la violence d’un monde post-apocalyptique, pose une question essentielle et parfois un peu négligée : que voulons-nous préserver du passé ? La science, la technologie, le savoir, de simples techniques ou bien serons-nous condamnés à chasser, traquer et nous disputer les dernières reliques d’un passé révolu ? Ces dimensions semblent évidemment incontournables, dans Station Eleven la violence des survivants reste un élément prégnant du récit, mais le roman nous rappelle également que nous ne sommes pas réduits à nos besoins primaires, la survie contient aussi une dimension culturelle. Reste à savoir si cela signifie garder les yeux tournés vers le passé ou bien se réinventer, créer à nouveau, pour mieux se projeter dans l’avenir. Mais les survivants de ce nouveau monde sont encore trop proches de leur passé pour pouvoir s’en détacher complètement, ils célèbrent sans cesse l’ancien monde, contemplant le désastre, faisant sans cesse le bilan comptable de leurs pertes. Cette dimension mélancolique se reflète également dans la construction narrative du roman qui navigue sans cesse entre le passé et le présent, pour mieux nous permettre d’en percevoir toute la tragédie, que l’on reconstitue pièce par pièce avec une certaine sidération. Peu à peu, on s’attache à ces hommes et à ces femmes qui tentent de reconstruire une nouvelle société sur les cendres encore fumantes de la civilisation, essayant de préserver les savoirs essentiels (la médecine, les livres, la musique) tout en remisant au musée les objets devenus inutiles, mais que notre génération à pourtant portés au pinacle (téléphones, ordinateurs, talons aiguilles, jeux vidéo, sac à main….).


Roman doux-amer d’une parfaite mélancolie, Station Eleven est un récit d’une grande qualité, admirablement écrit et superbement construit, dont les ressorts narratifs reposent moins sur l’anxiété et la peur d’une fin du monde que l’on sent pourtant si proche, que sur l’espoir d’un avenir différent, moins matérialiste et plus proche de l’essentiel. Il n’en demeure pas moins qu’à l’issue de cette lecture, une question reste toujours en suspens : faut-il nécessairement que l’humanité soit confrontée à un cataclysme pour qu’elle change enfin de dynamique et cesse de détruire la planète qui lui a donné naissance ? 

mardi 24 janvier 2023

Roman historique : Avicenne ou la route d'Ispahan, de Gilbert Sinoué

 

Faut-il nécessairement présenter Ali Ibn Sina, alias Avicenne pour les Occidentaux, qui fut incontestablement l’un des plus grands savants de son temps et dont les traités de médecine et de philosophie (sans compter ses apports dans les domaines de l’astronomie ou des mathématiques) firent autorité jusqu’au début de la Renaissance. Si son nom est bien connu, sa vie reste, elle, nettement plus nébuleuse pour le grand public, mais c’est bien souvent le cas des grands personnages de l’Histoire, réduits la plupart du temps à quelques traits caractéristiques. Pour avoir un aperçu du véritable personnage, sans doute serait-il préférable de lire une authentique biographie, mais j’avoue avoir une certaine faiblesse pour les romans historiques, voire les biographies romancées, à plus forte raison lorsqu’elles ont un petit goût exotique comme c’est le cas dans ce roman de Gilbert Sinoué. 


Dans ce type de littérature, la “vérité” historique est toujours un point de crispation car le lecteur ne manquera pas de s’interroger sur les choix effectués par l’auteur pour pallier le manque de sources, combler un vide historique ou bien encore adapter la vie de son personnage aux besoins de la narration littéraire.  Un roman historique, de par sa nature, contient nécessairement une part non négligeable de fiction et il faudrait faire preuve d’une mauvaise foi caractérisée pour reprocher à l’auteur d’avoir pris quelques libertés avec l’Histoire. Il n’empêche que l’ensemble doit rester crédible  et vraisemblable, sous peine de sortir le lecteur du “flow”, de heurter de plein fouet la suspension d’incrédulité dont il fait preuve. L’auteur évolue donc sans cesse sur ce fil ténu, qui laisse à penser que l’écriture d’un roman historique n’est certainement pas un exercice facile.


La vie d’Avicenne est assez bien documentée puisqu’il rédigea, avec l’aide de son secrétaire et disciple Abou Obeid el-Jozjani, sa propre biographie. Gilbert Sinoué s’en inspire très largement et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’existence d’Avicenne fut pour le moins mouvementée. Depuis ses premiers pas comme médecin et enseignant à Boukhara, jusqu'à sa mort à Ispahan à l’âge de 57 ans (d’un cancer de l’estomac ou d’un empoisonnement, on ne sait trop), cet esprit brillant connut une vie pleine de rebondissements et d’aventures à travers le Moyen-Orient, fréquenta les plus illustres intellectuels de son temps, côtoya les puissants et fut même nommé vizir. Mais s’il connut les fastes des principales cours d’Iran, il fit les frais de quelques mésaventures assez savoureuses. Après s’être brouillé avec Abdul Malik, prince de Boukhara, Avicenne tomba en disgrâce. Il décida donc de quitter sa cité natale et se rendit plus au Nord, à Gurgandj (non loin de la mer d’Aral) où il s’établit durant neuf ans. Le prince du Khwarizm était un fin lettré, qui aimait s’entourer de nombreux savants, Avicenne y trouva des conditions idéales pour rédiger bon nombre de ses ouvrages. Mais la région demeurait politiquement instable et l’influence des Turcs s’y faisait de plus en plus insistante. Sommé de se rendre en compagnie de ses pairs à la cour du sultan ghaznévide, Avicenne décida à nouveau de prendre la fuite et finit par trouver refuge à Gorgan puis à Ray, où il fut invité par la reine régente, à soigner son fils atteint de mélancolie. Pris dans les intrigues de palais et victime d’une situation politique très instable, Avicenne se rend ensuite à Hamadan, où il se lie d’amitié avec l’émir Chams ad-Dawla, après l’avoir guéri de douleurs persistantes à l’estomac (probablement un ulcère). Nommé vizir, il est sans cesse pris dans les remous des guerres tribales qui agitent la région et doit mener de jour un travail ministériel harassant pour pouvoir consacrer ses nuits à ses travaux savants. A la mort de l’émir, Avicenne réalise que sa situation est pour le moins incertaine. Ses nombreux ennemis complotent contre lui et le pouvoir du nouvel Émir n’est pas encore suffisamment fort pour lui éviter d’être emprisonné plusieurs mois. Il réussit  néanmoins à s’échapper avec l’aide de ses proches et à se rendre à Ispahan, où il finira ses jours, bénéficiant de la protection de l’émir Ala ad-Dawla. C’est là qu’il produira la dernière partie de son œuvre immense. 


La grande réussite du roman de Gilbert Sinoué tient en premier lieu aux fabuleux talents de narrateur de l’écrivain, qui nous plonge dans une Perse plus vraie que nature. Un voyage prodigieux, qui, sur les pas d’Avicenne, nous mène de Boukhara à Ispahan, en passant par Hamadan (anciennement Ecbatane) ou Ray (Téhéran), traversant des désert immenses, franchissant des montagnes mythiques comme les monts Elbourz pour atteindre les confins du Moyen-Orient. Si ces noms fabuleux, souvent associés à la route des épices, vous font rêver, Gilbert Sinoué fait preuve d’un talent hors norme pour rendre cette époque étonnamment vivante et crédible. Mais tout cela ne serait sans doute rien si Gilbert Sinoué n’avait réussi à camper un Avicenne étonnamment attachant, avec ses forces comme ses faiblesses. Au personnage de l’intellectuel brillant, du savant admiré à travers tout le Moyen-Orient, l’auteur oppose une autre facette, plus humaine et tout aussi séduisante. Celle d'un amoureux de la vie, un bon vivant qui aime disserter des heures durant sur la poésie ou sur la philosophie tout autant qu’il aime partager un repas arrosé de bon vin en compagnie de ses amis puisque de toute façon les deux se conjuguent très souvent. Le banquet a ainsi une fonction sociale et intellectuelle tout autant que roborative. Sensible aux honneurs et parfois même un brin arrogant, Avicenne est aussi un grand humaniste, qui soigne les pauvres comme il soignerait les puissants. La médecine est bien une vocation chez lui et sa pratique relève autant de la stimulation intellectuelle que de la générosité purement désintéressée. 


La vie d’Avicenne, trépidante et passionnante, valait bien un roman tant le personnage paraît fascinant. Celui-ci le rend plus humain, épargnant la légende, préservant l’envergure du savant, mais sans pour autant sombrer dans l’hagiographie. Un beau tour de force de la part de Gilbert Sinoué.

vendredi 9 décembre 2022

Fiction documentaire : Le mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli

J’avoue être assez hermétique, en matière de littérature, aux annonces médiatiques et aux polémiques qui ne manquent pas de fleurir à l’occasion de chaque rentrée littéraire, mais les dissensions qui ont secoué le petit monde des prix littéraires n’ont pas manqué de susciter ma curiosité. Il faut dire que je rate rarement une occasion de brocarder le Goncourt tant cette récompense me paraît trop souvent cultiver l’entre-soi et le nombrilisme, voire le népotisme. Même si, pour être tout à fait honnête,  il leur arrive d’avoir un peu de flair… parfois. Je n’avais jusqu’à lors jeté qu’un œil distrait sur la sélection finale, mais Le mage du Kremlin m’avait déjà interpellé à la suite de plusieurs critiques élogieuses (presse et radio) et le livre avait atterri dans mon escarcelle. J’avais d’ailleurs été un peu surpris qu’il finisse dans le dernier carré du Goncourt puisque le livre n’est pas tout à fait une fiction. Visiblement, le roman de Giuliano da Empoli avait les faveurs du jury, mais il existe un règle tacite qui consiste à ne pas attribuer le Goncourt à un livre qui a déjà été primé, hors Le mage du Kremlin avait déjà été récompensé par l’Académie française. Une partie du jury se prononça donc en faveur du roman de Brigitte Giraud, créant un véritable schisme et une violente polémique, dont les effets de bord n’ont pas manqué d’éclabousser un prix qui n’en avait guère besoin. Tout le monde connaît la chute finale, c’est le président du jury qui fit pencher la balance en faveur de Vivre vite après moult tours de table. Le malaise était palpable, la faute sans doute à cette règle tacite parfaitement stupide, qui laisse entendre que la récompense n’a pas été attribuée au meilleur roman et que le lauréat est un second choix, un sorte d’usurpateur en quelque sorte. N’ayant pas lu le livre de Brigitte Giraud, je ne me prononcerai pas sur cette question, j’avoue d’ailleurs qu’elle ne m’intéresse pas vraiment, mais une chose est certaine, cette affaire à ravivé mon intérêt pour Le mage du Kremlin, qui a tôt fait de remonter en bonne place dans ma pile à lire. J’étais curieux de lire ce livre, qui avait fait couler tant d’encre et créé une ligne de fracture conséquente au sein du prix Goncourt. Alors, ce mage du Kremlin méritait-il tout ce battage médiatique ?


L’approche de Giuliano da Empoli est assez intéressante, il s’agit de retracer le parcours d’un certain Vadim Baranov, éminence grise, ou spin doctor comme on dit, de Vladimir Poutine, tsar de ce qu’il reste encore de l’empire russe. En réalité, le personnage s’inspire très librement de Vladislav Yuryevich Surkov, conseiller politique de Poutine et idéologue en chef du régime dans les années 2000 (chef de la propagande quoi). L’homme est d’une discrétion extrême et en réalité on sait très peu de choses sur lui, sa région d’origine et sa date de naissance restent floues, mais son rôle auprès de Poutine fut considérable… avant qu’il ne tombe subitement en disgrâce à partir de 2020, sans doute pris au piège de ses propres machinations à l’égard du pouvoir. Le parcours de Baranov est en grande partie calqué sur ce modèle, même si l’auteur italien préfère lui imaginer un passé plus romanesque (originaire de la noblesse russe, son grand-père était un excentrique, un amoureux de la culture occidentale qui méprisait ouvertement le pouvoir soviétique…. et qui fut un modèle pour Baranov). Le roman prend le prétexte d’un entretien avec un écrivain occidental, partageant une fascination commune pour Zamiatine, afin de retracer l’ascension fulgurante et la chute tout aussi rapide de Baranov. Le récit est par ailleurs émaillé de très nombreuses références à des événements historiques ou des affaires sensibles qui ont marqué le long règne de Poutine. L’ascension de Baranov est aussi et surtout l’occasion de retracer celle de Poutine et d’observer l’évolution politique et idéologique du chef du Kremlin, voire d’en cerner un peu la personnalité complexe, tout en mesurant sa lente mais constante dérive autoritaire. 


Le roman est indiscutablement très réussi. Narration fluide, écriture soignée, Le mage du Kremlin est un récit intelligemment pensé et très élégamment construit, mais alors que le roman prétend mettre en lumière de nombreuses zones d’ombre des années Poutine (disons que c’est davantage l’éditeur que l’auteur qui met ce point en avant), il ne fait en réalité qu’en révéler l’ampleur immense et insondable. Aucun livre ne vous permettra de pénétrer dans la tête de Poutine et d’en comprendre le mode de pensée. Une fois la dernière page tournée, l’homme restera encore et toujours une énigme, un personnage secret, complexe, parfois contradictoire. En revanche, l’auteur pose un regard très intéressant sur l’évolution politique de la Russie depuis l’époque tsariste jusqu’à nos jours, il réussit à capter très finement l’âme de son peuple et à cerner les mouvements tectoniques qui ont secoué la société russe depuis un siècle. Ainsi, s’il paraît difficile de lever le voile sur le personnage de Poutine en lui-même, le livre permet de comprendre les mécanismes politiques et sociologiques, qui ont permis à Poutine d’accéder au pouvoir, puis de le conserver durant plus de vingt ans grâce à un soutien populaire massif. 


Quant au personnage de Baranov, s’il est permis d’émettre quelques réserves lorsqu’il s’agit d’établir un parallèle avec Surkov, ce Raspoutine des temps modernes, il fait figure de personnage romanesque par excellence. Son élégance teintée d’ironie mordante, voire sa morgue délicieusement aristocratique, proposent un contrepoint en rupture totale avec l’idée que l’on se fait du pouvoir russe incarné par Poutine et ses prédécesseurs. L’austérité, la brutalité et l’efficacité froide qui semblent caractériser l’autocrate russe lui font parfaitement défaut. Baranov est un homme cultivé et pondéré, qui observe le monde avec un détachement quasiment philosophique, imperturbable marionnettiste dont les fils invisibles ont influé, funestement, sur le destin du monde durant près d’un quart de siècle. 


mercredi 23 novembre 2022

Testament littéraire : L'espion qui aimait les livres, de John Le Carré

Aussi surprenant que cela puisse paraître, je me rends compte que malgré l’admiration que j’éprouve à l’égard de John Le Carré, je n’ai jamais chroniqué un seul de ses romans sur ce blog.  Il aurait d’ailleurs été du meilleur goût de ne pas attendre la publication de son ultime roman pour réparer cette impardonnable erreur, mais que voulez-vous, on se laisse emporter par la démesure de sa pile à lire et l’on oublie les fondamentaux. Comme l’explique en postface  son fils Nick Cornwell (connu sous le nom de plume de Nick Harkaway),  L’espion qui aimait les livres est un roman posthume  de John Le Carré, sur lequel il avait travaillé pendant des années sans jamais en être totalement satisfait. A sa mort, son fils découvre un manuscrit quasiment terminé et, respectant la promesse faite à son père, a entrepris de le faire publier moyennant quelques retouches très très légères si l’on en croit ses dires (et il n’y a pas de raisons d’en douter). A ceux qui auraient l’outrecuidance de croire qu’il s’agit là d’un fond de tiroir, Nick Cornwell explique les raisons qui ont poussé son père à ne pas faire publier de son vivant L’espion qui aimait les livres et après avoir terminé le roman, on ne peut qu’abonder en son sens, car les qualités de ce livre sont indéniables. Il s’agit là d’un très très bon récit. Sans doute s’agit-il même d’une pièce maîtresse pour comprendre l'œuvre de John Le Carré et en appréhender toutes les dimensions politiques.


L’espion qui aimait les livres commence comme nombre de romans de l’auteur. Dès l'incipit, le lecteur est plongé dans une intrigue dont il ne maîtrise absolument aucun élément. Pas de chapitre introductif, pas de longues scènes d’exposition ou d’explications didactiques destinées à l’immerger progressivement dans l’histoire en le tenant gentiment par la main. A froid, cela peut paraître quelque peu déstabilisant, mais il suffit d’être patient. Lentement, mais sûrement, l’intrigue se met en place, les petites briques s’assemblent et s’imbriquent parfaitement, dévoilant l’ensemble de la trame avec la subtilité coutumière de l’écrivain britannique. Si vous êtes pressé, passez votre chemin, on n’est pas dans du Jason Bourne. L’histoire débute de manière assez innocente avec un certain Julian Lawndsley, ancien trader de la City, fatigué par la finance et reconverti dans le commerce des livres. Julian s’est choisi une nouvelle vie, a revendu sa Porsche et son appartement londonien hors de prix pour investir dans une petite librairie, loin de la capitale et de son affairisme mortifère. La vie est calme dans cette petite ville balnéaire et Julian tente de prendre ses marques dans son nouveau métier, en profite pour faire connaissance avec ses voisins et développer son réseau relationnel. Rien que de très normal en somme. A la candeur de Julian s’oppose celle d’un certain Edward Avon, personnage complexe et étrange, qui s’intéresse de près à la librairie de Julian et lui propose même de l’aider à étoffer son catalogue. Edward est si cultivé, aimable et urbain, que Julian ne lui oppose guère de résistance, lui laisse ordinateur, téléphone et fax à disposition, ravi de recevoir un peu d’aide. Pourtant Edward, aussi sympathique soit-il, semble être entouré d’une aura de mystère, ses origines polonaises sont intrigantes, il affirme avoir été ami avec son père lorsqu’ils étaient étudiants et semble avoir bourlingué du côté de la Yougoslavie pour, selon ses dires, enseigner dans plusieurs universités. Mais l’homme est sérieux, posé, ses manières sont irréprochables et il est marié à l’une des figures du village, une femme de caractère, héritière d’une grande propriété des environs, atteinte désormais d’un cancer en phase terminale. Un pedigree sans tache semble-t-il. 

A l’autre bout du spectre, les services de renseignement britanniques semblent sur le pied de guerre et s’interrogent sur la sincérité et la fidélité d’un ancien agent de terrain, Florian. Stewart Proctor, un directeur du service très expérimenté, est chargé d’enquêter sur le parcours de Florian et de retracer les événements qui auraient éventuellement pu l’amener à trahir la couronne britannique. 


Parcouru par une ambiance quelque peu crépusculaire, L’espion qui aimait les livres marque assurément un changement d’époque par rapport aux grands classiques de John Le Carré (ceux écrits à l’époque de la guerre froide). Le monde est devenu multipolaire et asymétrique.  Avec la chute du bloc soviétique, c’est toute une organisation qui s’en trouve chamboulée. L’ennemi n’est plus cette figure clairement identifiable, dont on connaît les forces, les faiblesses aussi bien que les réactions. Le petit univers des espions doit impérativement se reconstruire pour affronter un monde nouveau. Sauf que le passé refuse de mourir et que ces chamboulements géopolitiques impliquent d’importants changements de paradigmes. Quelque part, la machine autrefois bien huilée et très codifiée du renseignement s’est grippée. Les hommes et les femmes à son service ont vieilli et il ne leur reste guère que leur gloire passée. Certains, comme Florian, se sont trouvé d’autres causes, d’autres allégeances. Il leur fallait croire encore en quelque chose. Leur passé en bandoulière, il leur reste un dernier combat à mener, un combat de vieille garde. On triche, on ment, on trahit l’ami d’autrefois avec l’espoir que les zones d’ombre que l’on garde secrètes le resteront. Car finalement, nous dit Le Carré, le facteur humain reste la principale force du renseignement… aussi bien que sa principale faille. Les espions, ces êtres fragiles, qui doutent, se livrent ici à un ultime règlement de comptes, feutré et silencieux, ou presque.

 

jeudi 17 novembre 2022

Littérature levantine : Le livre des reines, de Joumana Haddad

 

La richesse de la littérature libanaise ne cesse d’étonner, sans doute est-ce en partie un effet de loupe étant donné les liens historiques et linguistiques qui unissent la France et le Liban. Nombre d’auteurs libanais écrivent en Français et ne nécessitent donc pas d’être traduits pour être publiés aisément sous nos latitudes. On estime que 40% des Libanais sont francophones, même si la place du Français par rapport à l’anglais à tendance à régresser, comme dans d’autres pays du pourtour méditerranéen. Notre langue reste néanmoins un facteur de distinction sociale et le marqueur d’un certain prestige. Loin de moi cependant l’idée de faire preuve d’un quelconque chauvinisme, il s’agit uniquement d’un constat qui explique en partie, à mon sens, la vitalité remarquable de la littérature libanaise dans les librairies françaises, toutes proportions gardées évidemment D’ailleurs, Joumana Haddad, journaliste, artiste et écrivaine libanaise, publie aussi bien en arable, qu’en français ou bien en anglais.  


Le livre des reines est son dernier roman en date et narre le parcours sinueux et semé d’embûches de quatre générations de femmes appartenant à la même famille. De la grand-mère, à la mère, en passant par la fille et la petite-fille, toutes ont la particularité d’avoir un prénom commençant par la lettre Q, les cheveux roux et un destin douloureux, marqué par les violences sous toutes leurs formes, la guerre et les pertes tragiques. Cette saga familiale débute en 1915, lors du génocide des Arméniens. Une mère arménienne et ses enfants tentent de fuir les massacres perpétrés par les soldats ottomans, mais ils sont arrêtés dans leur fuite avant d’atteindre la Syrie. La petite Qayah, impuissante, assiste au massacre de ses frères et sœurs, tandis que sa mère est capturée pour être régulièrement abusée par un commandant turc. C’est le début d’un long parcours qui la mènera à Alep puis à Beyrouth. Adoptée par un couple chrétien qui ne pouvait pas avoir d’enfants, Qayah trace son destin dans une époque qui connaît de nombreux bouleversements, de multiples guerres et reste soumise à des tensions perpétuelles liées au conflit israelo-pelestinien. A défaut de voir son amour de jeunesse se concrétiser, Qayah pourra fonder une famille et enfanter. Mais elle connaîtra encore la douleur et le chagrin. Sa fille et sa petite fille ne seront guère plus épargnées par les vicissitudes de la vie, poursuivies par un passé qui semble sans cesse vouloir les rattraper alors qu’elles n’en détiennent pas toutes les clés. 


Saga familiale à la fois poignante et dure, Le livre des reines est un roman empreint d’une grande fatalité, celle qui touche génération après génération ces femmes qui reproduisent les mêmes schémas psychologiques et qui, en dépit de leur volonté, de leur courage et de leur résilience, semblent ne pas pouvoir échapper à leur destin tragique. Une vie marquée du sceau de la violence, des non-dits et des secrets profondément enfouis dans l’inconscient familial. Face à tant d’adversité, le courage de ces femmes force le respect et prend aux tripes, d’autant plus que le récit semble en grande partie autobiographique. Joumana Haddad ne s’en est d’ailleurs jamais cachée, le roman est issu (en partie) de son histoire familiale et du destin tragique de sa mère et de sa grand-mère. Soutenu par une écriture d’une grande qualité (parfaitement traduire au demeurant), Le livre des reines est un roman d’une grande exigence et d’une immense sincérité, difficile certes, mais profondément émouvant et digne.

vendredi 14 octobre 2022

Littérature américaine : La vérité sur Lorin Jones, d'Alison Lurie

En ces temps de polarisation extrême de la société, au sujet de tout et de rien, mais où le féminisme moderne semble tout de même cristalliser les rancoeurs et crisper les réseaux sociaux, la lecture de cet excellent roman qu’est La vérité sur Lorin Jones, paraît plus que nécessaire. En premier lieu parce que les thématiques favorites d’Alison Lurie tournent très souvent autour des problématiques féministes et font écho aux questionnements qui continuent d’agiter la société trente ans plus tard (c’est dire le peu de chemin parcouru), en second lieu parce que la manière dont l’écrivaine américaine interroge son époque, me paraît nettement plus saine et constructive qu’à l’heure actuelle. Il y a chez Alison Lurie une capacité à s’emparer de la question féministe de manière à la fois sincère, engagée et dinstanciée, qui confine à l’exemplarité.



Assistante de conservation dans un grand musée new-yorkais, récemment divorcée et mère d’un garçon de 14 ans, Polly Alder s’apprête à rédiger la biographie d’une artiste peintre dont le travail la fascine depuis de nombreuses années : Lorin Jones. Archétype de l’artiste maudit, Lorin Jones fut une peintre en vue dans les années soixante, sa peinture avangardiste lui promettait un avenir radieux et un succès retentissant. Mais son ascension fut de courte durée et l’artiste retomba progressivement dans l’anonymat, au point d’être presque oubliée vingt ans plus tard et de mourir dans la misère et l’indifférence. A l’occasion d’une rétrospective qu’elle a portée à bout de bras, Polly réalise que le destin tragique de Lorin Jones n’est pas lié aux qualités intrinsèques de sa peinture, mais probablement à la manière dont elle fut traitée par les hommes de son entourage depuis son enfance jusqu’à sa mort. Forte de cette intuition, Polly demande un congé et obtient même une bourse pour financer la réalisation de son livre, mais le travail s’avère moins facile qu’attendu. D’une part, ses récents problèmes personnels pèsent sur son moral et sur sa manière d’aborder ses travaux de recherche, l’incitant à adopter un prisme fortement anti-masculiniste, d’autre part Polly réalise au fil de ses entretiens avec des proches de l’artiste (frère, ex-mari, galeristes, collectionneurs….), que la personnalité de Lorin Jones est éminemment plus complexe qu’elle ne l’avait envisagée. Des zones d’ombre persistent, des récits personnels se télescopent et se contredisent, la plongeant dans l’expectative. Plus ses recherches avancent, moins Polly semble réussir à cerner le personnage. Ainsi, au-delà de la personnalité timide et réservée, presque effacée, émerge une autre facette de Lorin Jones, moins séduisante, plus sombre, voire même antipathique. Le doute s’insinue et Polly ne sait plus  quel angle adopter pour dresser le portrait de l’artiste. Mais au-delà même des questions méthodologiques, ne se serait-elle pas fourvoyée dès le début, n’aurait-elle pas opéré une sorte de transfert, fascinée, par effet miroir, par les similitudes qu’elle observait avec sa propre vie. Angoissée par ses problèmes familiaux et par ses relations ambigües avec sa meilleure amie, Polly ne sait plus comment réagir, ses certitudes s’effondrent, ses sentiments se font contradictoires oscillant tantôt entre agacement et attirance envers les hommes. Le vaste édifice sur lequel reposait autrefois une vie stable et heureuse s’effondre comme un château de cartes, révélant une vérité que Polly n’est pas forcément prête à accepter. 



Admirablement construit sur le plan narratif, La vérité sur Lorin Jones est très certainement l’un des meilleurs romans d’Alison Lurie et mérite amplement son prix Femina (1989). Avec subtilité et humilité, l’auteure américaine interroge le travail de l’écrivain biographe de manière très fine, mais plus généralement c’est aussi notre rapport à l’autre qu’il dessine en creux. Connaissons-nous véritablement ceux qui nous entourent ? Notre conjoint, nos enfants, nos amis sont-ils bien ceux que nous percevons à la surface, cachent-ils d’autres facettes de leur personnalité, qui à l’occasion d’un conflit ou de tensions se révèlent au grand jour ? Sommes-nous enfermés dans une bulle émotionnelle qui nous empêche de percevoir l’autre dans toute sa globalité ? Autrement dit, l’autre n’est-il qu’une construction élaborée à partir de nos propres émotions et de notre histoire personnelle ? Ainsi, le fameux alter-ego ne serait  qu’un mythe, un doux rêve bercé d’illusions qui un jour vient s’écraser contre le mur du réel. Alison Lurie invite ainsi le lecteur à lever le voile des apparences, à s’interroger sur les motivations qui nous animent  lorsque nous acceptons une certaine forme d’aliénation dans nos rapports aux autres. Un compromis que Lorin Jones, tout au long de son existence, semble avoir totalement rejeté. Artiste totale, parfaitement libre, entièrement engagée dans sa peinture, au point d’en oublier les autres, Lorin Jones apparaît sous un jour qui n’est sans doute pas aussi flatteur qu’attendu, mais pourtant sincère et honnête. Un engagement synonyme néanmoins d’une grande solitude.


En filigrane apparaît un autre questionnement tout aussi subtil, qui parfois a été mal perçu par certains lecteurs. L’engagement d’Alison Lurie en faveur de la cause féministe ne fait aucun doute, c’est même une constante tout au long de son oeuvre et si l’auteure se montre assez critique à l’égard des féministes les plus radicales, elle ne fait que pointer les dérives d’une idéologie trop extrême dans son jusq’auboutisme. Si les fondements du combat des femmes lui apparaissent justes et nécessaires, et même vitaux, la radicalisation du discours à l’encontre des hommes lui semble au contraire délétère. Alison Lurie ne trahit pas la cause lorsqu’elle donne des hommes une image moins stéréotypée et plus contrastée au fil du récit, pas plus qu’elle ne tente d’atténuer le comportement affreusement machiste de nombreux personnages masculins. A contrario, certains n’ont vu dans dans ce roman, qu’un discours violemment misandre, dressant un tableau des hommes bien trop caricatural. Mais c’est oublier qu’il s’agit de la vision de Polly et qu’elle évolue tout au long du récit, pour se faire plus nuancée et plus subtile à la fin du roman. Ce tableau de la société bourgeoise de l’époque, teinté d’une ironie mordante, presque caustique, est néanmoins la marque de fabrique d’une écrivaine dont l’engagement en faveur de la cause féministe ne s’est jamais démenti et ne peut être remis en cause. Plus de trente ans plus tard, La vérité sur Lorin Jones reste un roman fondamental dans l’histoire des lettres américaines, une œuvre qui n’a pas pris une ride et  qui témoigne de son temps tout en restant parfaitement d'actualité.


 

mercredi 28 septembre 2022

Polémique culinaire : La véritable histoire des pâtes, de Lucas Cesari

 

Qu’y a-t-il de plus horripilant qu’un intégriste de la gastronomie vous assénant sa vérité absolue au sujet, au hasard, des pâtes à la carbonara ou bien encore de la sauce bolognaise (qui n’existe pas, rappelons-le aux plus distraits). Le maître-mot étant, comme il se doit, “l’authenticité”, car il est bien connu que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. Sans parler  de ceux qui détiennent le graal, la vérité absolue, la recette ultime, à savoir “la vraie recette”  et qui ne manqueront pas de vous rappeler que, plus la recette est ancienne plus elle est “authentique”. Tout le reste n’étant que billevesées et roupie de sansonnet. Cette course effrénée à l’authenticité a contaminé non seulement toute la littérature culinaire depuis la fin des années 90, mais elle est surtout devenue l’objet d’une lutte de tous les instants sur les réseaux sociaux. Malheur à celui qui oserait poster une photo de ses exploits en cuisine s’il ne respecte pas à la lettre la recette canonique érigée depuis la nuit des temps en Saint Graal. Depuis la nuit des temps ? Vraiment ? C’est la question que Lucas Cesari s’est posé après avoir subi la vindicte des twittos les plus hargneux au sujet d’un plat de pâtes à la carbonara réalisé avec quelques restes qu’il avait sous la main (des oeufs, du parmesan et de la pancetta, excusez du peu). Imaginez si notre spécialiste avait osé user d’un fromage aussi peu noble que l’emmental et arrosé le tout de crème fraîche comme on se plait à le faire de notre côté des Alpes. 



Au-delà du titre un peu facile et racoleur (bon ok, vendeur diront les commerciaux), Lucas Cesari s’emploie tout au long de son ouvrage  à démystifier les recettes les plus emblématiques de la gastronomie italienne. De la carbonara aux gnocchi, en passant par l’amatriciana, les lasagnes ou bien encore les tortellini de Bologne, l’auteur propose, grâce à une méthodologie solide et documentée (étude de manuscrits, traités et autres livres de recettes anciens), de retracer l’histoire de ces plats emblématiques, en remontant à leur origine, parfois bien plus récente que ne le laissent entendre les gardiens du temple. Nul doute que ces derniers monteront au créneau à coup d’attaques ad hominem, mais il faut bien avouer que si l’on s’efforce de dépassionner le débat on ne peut que se rendre à l’évidence, Lucas Cesari taille de véritables croupières aux “puristes” les plus intégristes en rétablissant quelques faits assez difficiles à réfuter. Ainsi, si l’on s’en tient à l’exemple le plus marquant du livre, à savoir la carbonara, on pourra constater avec une certaine allégresse que cette recette n’est pas très ancienne et remonte à la fin des années quarante. Si l’on scrute attentivement son évolution au fil des décennies, elle semble même très loin de faire consensus et propose une variété d’ingrédients et de techniques qui feraient défaillir les puristes les plus sectaires. Ainsi, même si certains gastronomes de l’école la plus dure (oeufs, guanciale, pecorino, poivre et un peu d’eau de cuisson pour la mantecatura finale) préfèrent l’oublier, même en Italie il était très courant d’utiliser un peu de crème fraîche (jusque dans les années 80) pour obtenir une sauce onctueuse et veloutée sans être un technicien de haute volée. Même chose en ce qui concerne le fromage (le parmesan était couramment utilisé) ou la viande (la pancetta a longtemps concurrencé le guanciale). Ce n’est que dans les années 80/90, qu’une poignée de gastro-intégristes de salon ont commencé à adopter une ligne plus dure, fixant leurs propres règles, décrétant officiellement ce qui relevait du canon et ce qui était à bannir, le tout sans aucun fondement historique. Alors certes, lorsque l’Academia Italiana delle Cucina fixe dans le marbre (dans les années 80) la recette de la Carbonara, cela a de quoi impressionner et tendrait à couper le sifflet à ceux qui auraient l’outrecuidance de n’en faire qu’à leur tête, mais ne nous y trompons pas, elle n’est qu’une recette parmi d’autres et n’a pas vocation à demeurer éternelle, la cuisine est vivante et évolue. Alors pourquoi une telle levée de bouclier chaque fois qu’un cuisinier tente de s’affranchir des règles ? Le rôle des réseaux sociaux n’est sans doute pas étranger à une telle polarisation, mais au-delà, on peut sans peine percevoir le désir de se distinguer du menu fretin, une volonté affichée de sélectionner par la technique (parce que réussir une carbonara stricte demande une certaine technicité et un vrai savoir-faire) et de se constituer en élite de la gastronomie. Rien de neuf sous le soleil pourrait-on dire, l’élitisme ne date pas d’hier et n’est pas près de disparaître. Remarquons par ailleurs, que pour les dix chapitres qui composent ce livre (soit dix recettes), le processus est souvent très similaire et la démonstration, si elle n’est pas toujours aussi spectaculaire que pour la carbonara, met une petite fessée aux plus rigides. En filigrane, on distingue également des raisons qui n’ont rien à voir avec l’élitisme, mais relèvent plutôt de l’influence de l’industrie ou des pratiques artisanales tendant à rationaliser la production. Ainsi, si certaines recettes actuelles privilégient tel ou tel ingrédients, c’est parce que les artisans et les industriels ont constaté qu’ils convenaient mieux à leurs procédés de fabrication, ce fut notamment le cas pour les gnocchi ou bien encore les tortellini ; certains livres de recettes du début du XXème siècle, ne proposent même plus de fabriquer soi-même ses tortellini, mais de privilégier des produits prêts à cuire, se focalisant uniquement sur la sauce ; il s’agissait alors de libérer la ménagère en faisant place au progrès. 



La tradition a donc bon dos et le livre de Lucas Cesari a le grand mérite de battre en brèche les idées reçues aussi bien que les diktats culinaires. Mais il est nécessaire de garder à l’esprit, qu’il ne faut pas pour autant faire tout en n’importe quoi en cuisine sous prétexte d’exercer son libre arbitre. La créativité a ses mérites, mais comme dans l’apprentissage de la musique, il convient de faire ses gammes et de respecter certains principes élémentaires, voire chimiques, de la cuisine. Les recettes canoniques ont aussi leurs mérites, en prônant l’usage des produits de qualité, en faisant preuve d’une certaine technicité et en élevant la cuisine vers des sommets gustatifs. Le tout est de savoir rester humble et de ne pas conspuer ou vouer aux gémonies ceux qui ne sont pas capables d’atteindre un haut niveau dans l’art de la cuisine. Si vous n’arrivez pas à réussir votre carbonara (trop sèche si vos pâtes sont trop chaudes, trop visqueuse si elles sont trop froides), faites à votre manière et ajoutez un filet de crème fraîche dans votre préparation, si cela vous permet d’obtenir la texture et le goût que vous souhaitez, après tout, nombre de mamma italienne l’ont fait pendant des décennies afin de régaler leur maisonnée. En attendant, faites vous plaisir en lisant le livre de Lucas Cesari, cela vous permettra de rabattre le caquet des ayatollahs et autres pseudo-savants de la tradition gastronomique.

lundi 12 septembre 2022

Uchronie turque : Les nuits de la peste, d'Orhan Pamuk

 

Le dernier roman d’Orhan Pamuk est un sacré pavé et il m’aura fallu pas loin de trois semaines pour en venir à bout…. Autant dire une éternité pour un lecteur. Mais ne prenez pas pour autant la poudre d’escampette car Les nuits de la peste est un bon roman, dont la densité est certes réelle, mais nullement insurmontable surtout pour les amoureux de la Méditerranée.  

A ce sujet, il convient d’apporter quelques précisions. Si Les nuits de la peste se présente comme un roman historique (dans sa thématique aussi bien que dans sa narration) et qu’il en présente toutes les caractéristiques formelles, il s’agit en réalité d’une pure fiction car l’île de Mingher n’a jamais existé et les événement qui s’y déroulent pas davantage. Il s’en dégage pourtant une impression de véracité tant le travail d’Orhan Pamuk paraît crédible et documenté (la narratrice se présente comme une historienne se basant sur des sources de première main). Il n’empêche que le contexte a tout de même quelques fondements historiques, puisqu’il est adossé à la chute de l’empire ottoman.


En ce début de XXième siècle, une épidémie de peste se déclare sur l’île de Mingher, perle de la Méditerranée orientale, notamment connue pour la culture de ses roses. Le sultan Abduhlamid II, dépêche donc sur place l’un de ses meilleurs virologues, Bonkowski Pacha, qui tente de convaincre le gouverneur de mettre en place des mesures drastiques afin d’endiguer l’épidémie. Las, personne sur l’île ne semble prendre la mesure de la gravité de la situation, l’administration temporise, la communauté musulmane  crie au complot et la minorité chrétienne, plus aisée, tente déjà par tous les moyens de fuir l’île. La situation devient d’autant plus intenable que la quarantaine est renforcée par un blocus exercé par plusieurs destroyers de guerre occidentaux, effrayés à l’idée que la peste se propage en Europe. Sur l’île, la situation devient hors de contrôle et les morts se multiplient, notamment dans les quartiers de la principale ville. Mais la situation se complique davantage encore lorsque l’envoyé spécial du Sultan est victime d’un assassinat. Les autorités doivent se rendre à l’évidence, la population est au bord de la rébellion et il faudra mener finement la lutte contre l’épidémie pour ne pas susciter de révolte. Pour apaiser les tensions, deux personnages de haut rang sont dépêchés sur place, la princesse Pakizê, nièce du sultan, et son mari, médecin spécialisé dans la lutte contre les épidémies. C’est notamment à travers les yeux de Pakizê, dont la correspondance abondante sera mise au jour, scrutée, analysée et commentée par sa petite fille (qui se présente comme la rédactrice du livre), que les événements seront relatés.


Roman d’une très grande maîtrise narrative, Les nuits de la peste pourra sans doute dérouter les lecteurs d’Orhan Pamuk qui ne connaîtraient qu’une seule de ses facettes, celle du conteur hors pair. Dans ce roman choral, le récit se montre plus formel, prend de la hauteur et une certaine distance avec les personnages, pour les étudier en tant qu’objets d’Histoire. Ce qui intéresse Orhan Pamuk, c’est indiscutablement d’observer la chute de l’empire ottoman à travers le prisme de cette île fictive, qui n’est autre qu’une allégorie de la société turque et dont les structures socio-politiques, voire économiques, sont en grande partie déliquescentes. L’empire se meurt et le pouvoir du Sultan sur ses vastes territoires se délite à mesure que l’Occident accroît ses propres possessions territoriales en Afrique du Nord et au Proche Orient. L’unité de l’empire se fissure et des dissensions importantes entre les différentes communautés se ravivent, notamment entre chrétiens orthodoxes et musulmans. Pris en tenaille entre différentes velléités impérialistes (Français, Anglais, mais aussi Russes), le sultan, conscient du danger mais quasiment impuissant, tente de sauver les derniers lambeaux d’un empire sur le point de s’effondrer. Toutes ces tensions agitent bien évidemment Mingher et entrent en résonance, donnant au lecteur un aperçu sans doute assez réaliste de cette époque troublée. Reste que l’ensemble, bien que passionnant, souffre parfois de quelques longueurs, qui ne doivent cependant pas masquer la grande maîtrise formelle de ce roman, admirable sur bien des points et qui n’est pas sans rappeler un certain T.E. Lawrence.