Bienvenue à Lankhmar, oups, pardon, bienvenue dans la Cité de la toge noire où Yors, ancien mercenaire sans le sou, tente de vendre ses services à qui voudra bien l’embaucher. Alors qu’une caravane de marchands franchit les portes de la cité, Yors remarque un jeune homme un peu lunaire, qui semble plutôt en fonds et caresse le projet de s’installer en ville comme magicien. Cet homme c’est Noon et si son attitude laisse quelque peu dubitatif, ses talents de sorcier semblent incontestables. Yors devient rapidement son homme à tout faire ; conseiller, guide, garde du corps…. Le bonhomme, un peu roublard sur les bords, connaît la ville et ses méandres comme sa poche et se révèle un atout indispensable pour éviter ennuis, arnaques et coups fourrés qui guettent les esprits candides comme Noon. Mais les débuts sont quelque peu chaotiques, l’installation n’a rien d’une sinécure dans une cité où le clientélisme est roi et où les guildes font la loi. Moyennant quelques entourloupes et un peu d’astuce, Noon parvient avec l’aide de Yors à installer sa boutique de sorcellerie, ou plutôt son cabinet de consultation, car l’homme n’est pas du genre à vendre des colifichets et autres babioles magiques à quatre sous, mais Noon semble pourtant prendre un malin plaisir à éconduire ses potentiels clients, au grand dam d’un Yors qui ne comprendre goutte à l’attitude de son patron. Mais que cherche donc à prouver Noon, quelles sont ses véritables intentions, est-il réellement le personnage ingénu qu’il semble vouloir incarner ?
Soyons honnêtes, malgré toutes les qualités dont font preuve Laure et Laurent Kloetzer, Noon du soleil noir n’est pour le moment qu’une aimable introduction, un tome d’exposition qui permet de faire connaissance avec les personnages et avec le décorum. En l'occurrence, celui-ci paraîtra forcément très familier aux lecteurs du cycle des épées puisqu’il s’agit ni plus ni moins que du monde de Nehwon revisité, même si les auteurs ne nomment pas les lieux de la même façon, on aura tôt fait de reconnaître Lankhmar (principale cité du cycle des épées) et ses spécificités. Pour autant, il ne s’agit pas à proprement parler d’un pastiche, l’évocation reste ici relativement discrète, et les auteurs ont su s’éloigner suffisamment de leur modèle de référence pour imprimer au récit sa propre marque. L’humour se fait aussi plus discret et le lecteur n’a pas le sentiment comme chez Leiber que l’univers relève de la vaste blague de potache. Sans se prendre au sérieux tout en respectant soigneusement l’oeuvre originelle, le roman a pris ses distances par rapport au ton gentiment parodique du cycle des épées, ce n’est clairement pas dans ce registre qu’il faudra attendre le couple Kloetzer. Pour le reste, ce premier tome fournit son lot d'aventures, de dépaysement et de personnages plus ou moins atypiques pour remporter assez rapidement l’adhésion du lecteur. Mais bien évidemment, c’est le personnage de Noon qui intrigue le plus tant il est entouré de mystère et nimbé d’une aura que son ingénuité de façade ne parvient pas totalement à effacer. On a envie d’en savoir davantage sur le personnage, de cerner ses motivations afin de savoir dans quelle direction nous mènera cette aventure pour le moment pleine de promesses.
Avec cette envie jubilatoire de retrouver le ton décomplexé de la Sword & Sorcery de nos jeunes années, Laure et Laurent Kloetzer ont mis carrément dans le mille avec ce projet plein d’une sincérité rafraîchissante et d’enthousiasme, dont on se régale à l’avance tant le premier volume regorge de potentialités. N’y cherchez pas une quelconque révolution stylistique ou thématique, ici on navigue en territoire connu, mais pour le plus grand plaisir des plus nostalgiques et bon sang, qu’est-ce que ça fait du bien. Vivement la suite !