Si un jour on m'avait dit que je lirais un livre entier de poésie, je ne l'aurais pas cru un instant. Et pourtant.
Mais reprenons l'histoire depuis le début. Joseph Ponthus, éducateur spécialisé en banlieue parisienne, part s'installer avec sa compagne en Bretagne. Et là, comme il y a nettement moins besoin d'éducateur, il se retrouve au chômage. Et comme il faut bien rapporter des sous à la maison, le voilà intérimaire, d'abord dans une usine agroalimentaire de poissons et crustacés, puis à l'abattoir. Après toutes ces études, comme soupire sa maman (et comme dirait la mienne et pas mal d'autres). Il travaille à la chaîne, dans des hangars réfrigérés, à manier des sacs de dizaines de kilos de bulots, de langoustines et de pinces de crabes, ou des carcasses de bœuf. C'est violemment physique, c'est nerveusement horrible, c'est intellectuellement abêtissant.
La dimension littéraire, la manière de mettre en page... moi je vous dis que c'est de la poésie. Pas de la poésie d'amour (mais il y en a aussi), pas de la poésie de combat (mais il y en a aussi). Non, ce qui m'est venu à l'idée, ce sont les vers de François Villon, ses ballades désespérées et violentes. Certes, on ne meurt pas dans ce livre, enfin pas de mort violente (sauf quand on est bœuf ou bulot), mais d'usure quotidienne. On pend quand même, toutes ces carcasses. Si c'était un tableau, ce serait du Caravage.
Pas de rimes, pas de beaux sonnets bien calibrés. Des mots bruts, des amoncellements de mots qui font sens, des phrases courtes, des petits bouts de phrases, du rythme, mais jamais tout à fait le même, toujours de la douleur mais jamais de la même manière, et toute une vie de travail harassant se dessine comme un tableau impressionniste, par petites touches littéraires.
Du grand art.