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jeudi 17 novembre 2022

Littérature levantine : Le livre des reines, de Joumana Haddad

 

La richesse de la littérature libanaise ne cesse d’étonner, sans doute est-ce en partie un effet de loupe étant donné les liens historiques et linguistiques qui unissent la France et le Liban. Nombre d’auteurs libanais écrivent en Français et ne nécessitent donc pas d’être traduits pour être publiés aisément sous nos latitudes. On estime que 40% des Libanais sont francophones, même si la place du Français par rapport à l’anglais à tendance à régresser, comme dans d’autres pays du pourtour méditerranéen. Notre langue reste néanmoins un facteur de distinction sociale et le marqueur d’un certain prestige. Loin de moi cependant l’idée de faire preuve d’un quelconque chauvinisme, il s’agit uniquement d’un constat qui explique en partie, à mon sens, la vitalité remarquable de la littérature libanaise dans les librairies françaises, toutes proportions gardées évidemment D’ailleurs, Joumana Haddad, journaliste, artiste et écrivaine libanaise, publie aussi bien en arable, qu’en français ou bien en anglais.  


Le livre des reines est son dernier roman en date et narre le parcours sinueux et semé d’embûches de quatre générations de femmes appartenant à la même famille. De la grand-mère, à la mère, en passant par la fille et la petite-fille, toutes ont la particularité d’avoir un prénom commençant par la lettre Q, les cheveux roux et un destin douloureux, marqué par les violences sous toutes leurs formes, la guerre et les pertes tragiques. Cette saga familiale débute en 1915, lors du génocide des Arméniens. Une mère arménienne et ses enfants tentent de fuir les massacres perpétrés par les soldats ottomans, mais ils sont arrêtés dans leur fuite avant d’atteindre la Syrie. La petite Qayah, impuissante, assiste au massacre de ses frères et sœurs, tandis que sa mère est capturée pour être régulièrement abusée par un commandant turc. C’est le début d’un long parcours qui la mènera à Alep puis à Beyrouth. Adoptée par un couple chrétien qui ne pouvait pas avoir d’enfants, Qayah trace son destin dans une époque qui connaît de nombreux bouleversements, de multiples guerres et reste soumise à des tensions perpétuelles liées au conflit israelo-pelestinien. A défaut de voir son amour de jeunesse se concrétiser, Qayah pourra fonder une famille et enfanter. Mais elle connaîtra encore la douleur et le chagrin. Sa fille et sa petite fille ne seront guère plus épargnées par les vicissitudes de la vie, poursuivies par un passé qui semble sans cesse vouloir les rattraper alors qu’elles n’en détiennent pas toutes les clés. 


Saga familiale à la fois poignante et dure, Le livre des reines est un roman empreint d’une grande fatalité, celle qui touche génération après génération ces femmes qui reproduisent les mêmes schémas psychologiques et qui, en dépit de leur volonté, de leur courage et de leur résilience, semblent ne pas pouvoir échapper à leur destin tragique. Une vie marquée du sceau de la violence, des non-dits et des secrets profondément enfouis dans l’inconscient familial. Face à tant d’adversité, le courage de ces femmes force le respect et prend aux tripes, d’autant plus que le récit semble en grande partie autobiographique. Joumana Haddad ne s’en est d’ailleurs jamais cachée, le roman est issu (en partie) de son histoire familiale et du destin tragique de sa mère et de sa grand-mère. Soutenu par une écriture d’une grande qualité (parfaitement traduire au demeurant), Le livre des reines est un roman d’une grande exigence et d’une immense sincérité, difficile certes, mais profondément émouvant et digne.

4 commentaires:

Carmen a dit…

Je ne connaissais pas cette autrice libanaise. Ce livre est un peu une catharsis pour elle on dirait.
On voit que les femmes dans ce récit portent la marque d’un lourd héritage de malheurs. C’est bien triste.
Ce qui m’a toujours épatée, c’est la mobilité de ces peuples armeniens,libanais,qui malgré les difficultés ont survécu.
Merci pour cette belle chronique.

Emmanuel a dit…

Oui, probablement, elle a avoué en interview que son histoire familiale la hantait depuis toute petite et que ce livre était en gestation au plus profond d'elle même depuis de nombreuses années. Ce qui se comprend aisément.

Carmen a dit…


Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’écrivains libanais d’expression arabe.La plupart c’est vrai écrivent en français parce que c’est la 2 ème langue au Liban.
Mais je vois que là,elle est traduite en français depuis l’anglais.
Bon,je vais piocher un peu sa bibliographie.
Bonne soirée.

Emmanuel a dit…

Elle a également écrit en français, deux romans si je ne m'abuse. C'est une autrice intéressante, je reviendrai certainement sur son oeuvre.