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lundi 12 septembre 2022

Uchronie turque : Les nuits de la peste, d'Orhan Pamuk

 

Le dernier roman d’Orhan Pamuk est un sacré pavé et il m’aura fallu pas loin de trois semaines pour en venir à bout…. Autant dire une éternité pour un lecteur. Mais ne prenez pas pour autant la poudre d’escampette car Les nuits de la peste est un bon roman, dont la densité est certes réelle, mais nullement insurmontable surtout pour les amoureux de la Méditerranée.  

A ce sujet, il convient d’apporter quelques précisions. Si Les nuits de la peste se présente comme un roman historique (dans sa thématique aussi bien que dans sa narration) et qu’il en présente toutes les caractéristiques formelles, il s’agit en réalité d’une pure fiction car l’île de Mingher n’a jamais existé et les événement qui s’y déroulent pas davantage. Il s’en dégage pourtant une impression de véracité tant le travail d’Orhan Pamuk paraît crédible et documenté (la narratrice se présente comme une historienne se basant sur des sources de première main). Il n’empêche que le contexte a tout de même quelques fondements historiques, puisqu’il est adossé à la chute de l’empire ottoman.


En ce début de XXième siècle, une épidémie de peste se déclare sur l’île de Mingher, perle de la Méditerranée orientale, notamment connue pour la culture de ses roses. Le sultan Abduhlamid II, dépêche donc sur place l’un de ses meilleurs virologues, Bonkowski Pacha, qui tente de convaincre le gouverneur de mettre en place des mesures drastiques afin d’endiguer l’épidémie. Las, personne sur l’île ne semble prendre la mesure de la gravité de la situation, l’administration temporise, la communauté musulmane  crie au complot et la minorité chrétienne, plus aisée, tente déjà par tous les moyens de fuir l’île. La situation devient d’autant plus intenable que la quarantaine est renforcée par un blocus exercé par plusieurs destroyers de guerre occidentaux, effrayés à l’idée que la peste se propage en Europe. Sur l’île, la situation devient hors de contrôle et les morts se multiplient, notamment dans les quartiers de la principale ville. Mais la situation se complique davantage encore lorsque l’envoyé spécial du Sultan est victime d’un assassinat. Les autorités doivent se rendre à l’évidence, la population est au bord de la rébellion et il faudra mener finement la lutte contre l’épidémie pour ne pas susciter de révolte. Pour apaiser les tensions, deux personnages de haut rang sont dépêchés sur place, la princesse Pakizê, nièce du sultan, et son mari, médecin spécialisé dans la lutte contre les épidémies. C’est notamment à travers les yeux de Pakizê, dont la correspondance abondante sera mise au jour, scrutée, analysée et commentée par sa petite fille (qui se présente comme la rédactrice du livre), que les événements seront relatés.


Roman d’une très grande maîtrise narrative, Les nuits de la peste pourra sans doute dérouter les lecteurs d’Orhan Pamuk qui ne connaîtraient qu’une seule de ses facettes, celle du conteur hors pair. Dans ce roman choral, le récit se montre plus formel, prend de la hauteur et une certaine distance avec les personnages, pour les étudier en tant qu’objets d’Histoire. Ce qui intéresse Orhan Pamuk, c’est indiscutablement d’observer la chute de l’empire ottoman à travers le prisme de cette île fictive, qui n’est autre qu’une allégorie de la société turque et dont les structures socio-politiques, voire économiques, sont en grande partie déliquescentes. L’empire se meurt et le pouvoir du Sultan sur ses vastes territoires se délite à mesure que l’Occident accroît ses propres possessions territoriales en Afrique du Nord et au Proche Orient. L’unité de l’empire se fissure et des dissensions importantes entre les différentes communautés se ravivent, notamment entre chrétiens orthodoxes et musulmans. Pris en tenaille entre différentes velléités impérialistes (Français, Anglais, mais aussi Russes), le sultan, conscient du danger mais quasiment impuissant, tente de sauver les derniers lambeaux d’un empire sur le point de s’effondrer. Toutes ces tensions agitent bien évidemment Mingher et entrent en résonance, donnant au lecteur un aperçu sans doute assez réaliste de cette époque troublée. Reste que l’ensemble, bien que passionnant, souffre parfois de quelques longueurs, qui ne doivent cependant pas masquer la grande maîtrise formelle de ce roman, admirable sur bien des points et qui n’est pas sans rappeler un certain T.E. Lawrence.

8 commentaires:

Carmen a dit…

Merci Manu pour cette belle chronique qui m’incite à franchir le pas.
Tu dirais que ça rappelle par moment Neige,un de ses autres romans.?
En tous les cas on ne peut s’empêcher de penser que ça renvoie un peu à ce qu’on a vécu avec la quarantaine du Covid.
Je voulais te signaler un autre auteur turc que je lirai à l’occasion,Yachar Kemal.
Après chez Pamuk il y a souvent des longueurs, c’est un peu rébarbatif, mais on finit par s’y faire.

Emmanuel a dit…

Bonjour Carmen, pour moi ça ne rappelle pas vraiment ce que j'ai lu précédemment d'Orhan Pamuk, c'est plus distancié par rapport aux personnages, plus désincarné et finalement on se sent moins proche d'eux. C'est sans doute la raison pour laquelle le roman peut paraître un peu long (bon honnêtement parfois Pamuk tourne un peu en rond vers le milieu du roman).

Quant au rapprochement avec le COVID, oui et non. Le roman a été écrit avant la crise sanitaire, mais effectivement, les mesures de lutte contre l'épidémie, le confinement, la réaction de la population, tout cela ne peut que nous rappeler des souvenirs pas très éloignés.

Soleil vert a dit…

Je ne connaissais pas ce roman.
Content de te lire

Emmanuel a dit…

Content de te voir passer SV ;-)

Carmen a dit…

J’ai élargi un peu ma recherche sur des romans de Pamuk que je n’ai pas lus et j’ai vu que la peste était un sujet abordé dans son roman” Le château blanc”.
Deux écoles s’affrontaient, celle qui voyait un châtiment divin et l’école scientifique qui proposait un traitement.
En tous les cas son dernier roman est troublant, on ne peut s’empêcher de faire un parallélisme avec ce qu’on a vécu.
Contente de te relire aussi.

Emmanuel a dit…

Je n'ai pas lu ce roman de Pamuk, mais je note la référence. Merci Carmen !

Ubik a dit…

Salut camarade,
Je ne connaissais pas ce roman. Une uchronie, cela attire forcément mon attention. Je vais tâcher d'y remédier, si j'arrive à libérer du temps.

Emmanuel a dit…

Hello, ça fait plaisir de te croiser dans les parages. J'imagine que ton programme de lecture est tout aussi chargé que le mien ;-)