L’écrivain américain Glenn Cook est surtout connu pour être l’auteur du cycle de la Compagnie noire, une série à succès que d’aucuns affirment classer dans la dark fantasy. On n’épiloguera pas ad vitam eternam sur ce qualificatif, qui visiblement a été amputé de son sens premier en franchissant l’Atlantique. Alors que les anglo-saxons l’emploient essentiellement pour cataloguer les oeuvre relevant du fantastique horrifique, les fans français considèrent que la dark fantasy est une variante de l’heroic fantasy dont les protagonistes ne seraient plus les sauveurs du monde, mais plutôt les potes de Sauron. Honnêtement, la polémique fleure bon l’odeur de moisi et les classifications étant le plus souvent abusives, on se contentera d’en sourire et d’attaquer l’oeuvre proprement dite. La compagnie noire bénéficie d’une réputation plutôt élogieuse (les onze tomes de la série prouvent que le succès commercial est au rendez-vous) et la lecture du pitch laisse apparaître quelques bonnes idées, surtout pour les lecteurs fatigués de suivre les aventures de héros falots et pleins de bons sentiments. Cook nous promet une histoire plus sombre, plus mature et beaucoup moins manichéenne. On demande à voir, mais surtout on se procure la version poche à pas cher parce que tout de même on n’est pas vraiment rassuré par la lecture des premières pages.
Le scénario n’a, à priori, rien de compliqué, sous la plume du narrateur (appelé Doc), nous découvrons l’engagement d’une compagnie de mercenaires pas vraiment sans foi ni loi au service de la Dame, une puissante souveraine dont les desseins paraissent sinon maléfiques au moins obscurs. Sans le savoir, les hommes de la compagnie noire ont en réalité accepté un marché de dupe et ont pris position dans un conflit séculaire qui oppose des forces qui les dépassent. Installée dans la cité de Beryl, au service d’un dirigeant dont les jours au pouvoir semblent comptés, la compagnie noire doit faire face à la contestation populaire et fuit la ville après avoir plus ou moins massacré la garnison. Ils franchissent la mer en direction du Nord après avoir accepté l’offre de l’homme lige de la Dame et s’engagent à rejoindre le gros de ses forces. Durant le voyage, Doc dévoile quelques éléments supplémentaires. On apprend que dans les temps anciens, le Dominateur et son épouse (la Dame) maintenaient leur emprise implacable sur le monde. Pour mettre fin à leur règne machiavélique, la Rose Blanche, une puissante magicienne de la Rébellion, faute de pouvoir détruire définitivement leur pouvoir, les enterra vivants dans un tombeau en compagnie de leurs dix asservis (des mages très puissants). Comme toutes les bonnes choses ont une fin, le mal tente à nouveau d’étendre son emprise sur le monde et les forces du bien se soulèvent contre le pouvoir renaissant de la Dame et de ses asservis.
C’est suffisamment rare pour être souligné, mais après cent cinquante pages d’une lecture poussive et confuse La compagnie noire a eu raison de ma patience. J’avoue rester dubitatif quant-au succès remporté par cette série, même si je suis capable de lui reconnaître certaines qualités, notamment la volonté affichée par son auteur de sortir des canons du genre et de tenter une approche plus mature. Hélas la lecture de l’ouvrage se révèle d’un ennui mortel. Les enjeux restent obscurs, les forces en présence demeurent floues, les personnage manquent singulièrement de substance. Cook nous plonge directement dans le bain, sans explication, ce serait formidable si l’auteur savait dans quelle direction mener sa barque, mais le sentiment de voguer à vue persiste tout au long des cent premières pages, voire davantage. Cet aspect brouillon du roman use la patience du lecteur, qui aimerait bien comprendre ce qui se passe. Même les promesses initiales ne semblent pas tenues, on assiste bien à un massacre en règle au début du roman, puisque la compagnie égorge une garnison complète par surprise (comprendre, pendant que les hommes se reposaient), il est vrai que c’est assez vil, mais quelques chapitres plus loin, Doc et ses acolytes sauvent un petit vieux et une gamine qui se faisaient violenter par des brutes appartenant à une compagnie alliée. La gamine, surnommée Chérie est ensuite adoptée comme mascotte. De vrais durs on vous dit. Avec une écriture de grande qualité on pourrait s’y retrouver et lire pour la beauté du texte, hélas, Cook n’est pas exactement un grand styliste ; les descriptions sont sommaires et ses dialogues pour le moins basiques. Quant à la construction narrative elle brille par son classicisme. L’ambiguïté du propos, la gestion efficace de l’ellipse, les potentialités cachées du non-dit, autant d’éléments qui sont les ingrédients d’un roman de qualité, mais qui, mal maîtrisés, tombent littéralement à plat et ne participent qu’à la confusion du lecteur. Suis-je trop obtus pour comprendre le génie de Glenn Cook, sans doute, mais les romans dont j’ai lâché la lecture après cent cinquante pages se comptent sur les doigts de la main.
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lundi 21 février 2011
mercredi 9 février 2011
Mexico connection : Cosa Facil, de Paco Ignacio Taibo II
Ecrivain engagé, et pour cause le bonhomme est né dans une famille d’anarcho-syndicalistes espagnols, Paco Ignacio Taibo II est un auteur atypique. Naturalisé Mexicain vers l’âge de dix ans, il partage désormais sa vie entre le Mexique, l’Espagne et la France. Auteur d’une biographie passionnante de Che Guevara et d’un livre co-écrit avec le sous-commandant Marcos, Paco Ignacio Taibo II a surtout rencontré le succès grâce aux enquêtes du détective Hector Balascoaran Shayne, détective privé mexicain aux origines basques et irlandaises.
Cosa Facil est le second roman de la série Balascoaran. Ecrit au milieu des années 70, alors que le Mexique connaît pour quelques années encore une importante croissance économique et l’émergence d’une véritable classe moyenne, Cosa Facil laisse apparaître quelques lignes de cassure. Le miracle mexicain touche à sa fin, la machine se grippe et les syndicats montent au créneau. C’est là qu’entre en marche la répression étatique et policière. Le roman illustre à merveille ce basculement dans la violence sociale et économique liée à la libéralisation de la société mexicaine, et c’est probablement ce qui en fait toute la force. Au milieu de ce chaos annoncé, qui pour le moment n’en est pas encore un, Hector Balascoaran Shayne, ex-ingénieur aujourd’hui détective sans le sou, partage ses bureaux avec un plombier, un tapissier et un ingénieur spécialiste des canalisations et des égouts. Hector Balascoaran Shayne, que l’on nommera par ses initiales HBC, c’est plus court, mène une vie pour le moins compliquée. Sa vie sentimentale est un champ de ruines et ses affaires lui rapportent plus de coups et de blessures que de pesos. Cette fois, notre détective doit mener trois affaires de front : un illustre illuminé, persuadé que Zapata n’a jamais été assassiné, lui demande de se lancer à sa recherche, une actrice populaire sur le déclin charge HBC de veiller sur sa fille victime de plusieurs agressions, enfin, les dirigeants d’une grosse entreprise de Mexico lui demandent d’enquêter sur l’assassinat d’un ingénieur dans une usine secouée par un mouvement de grève important.
“Si vous me demandez pourquoi il est détective privé, je serais bien en peine de vous répondre. Il est évident qu’à certains moments, il préférerait ne pas l’être, comme il y a des moments où je préférerais être n’importe quoi, sauf écrivain.”
Raymond Chandler
Ce qui fascine au premier abord dans le personnage de HBS c’est qu’il s’inscrit dans la longue tradition du polar hard-boiled. Il s’agit d’un détective dans le plus pur style behavioriste (un dur à cuire capable d’une grande finesse d’analyse, sensible, profondément solitaire mais gardant les pieds ancrés dans la réalité sociale), qui s’éloigne toutefois des canons du genre pour mieux se singulariser (a obtenu sa licence en suivant des cours par correspondance, se déplace la plupart du temps en bus, consomme des sodas plutôt que du whisky, partage son bureau avec trois autre énergumènes, très proche de ses frères et soeurs qu’il met souvent à contribution pour ses enquêtes). Globalement HBS reste un redresseur de torts, un défenseur de la veuve et de l’orphelin incapable de mener une enquête qui entrerait en conflit avec ses propres préceptes moraux, philosophiques ou politiques (fortement ancrés à gauche), l'appât du gain n’est pas sa première motivation, son moteur c’est l’adrénaline que lui procure son boulot, c’est d’une certaine manière sa liberté d’action et de choix, qui l’autorise régulièrement à envoyer bouler son employeur. HBS surprend souvent, déçoit rarement, mais reste profondément humain, il n’est pas infaillible et reçoit régulièrement son lot de grosses galères. Bref, il est tout simplement l’archétype de l’anti-héros attachant. L’autre force de Paco Ignacio Taibo II, c’est sa capacité à ancrer son héros et ses enquêtes dans le réel, chaque roman est l’occasion de plonger au coeur de la société mexicaine, d’en comprendre les lignes de fracture et les enjeux (émergence des revendications de la classe moyenne, corruption, violences policières, zones de non droit et impunité des politiques). C’est d’ailleurs l’occasion pour l’auteur d’étaler toute sa science du détail.
Dernière qualité et pas des moindres. Paco Ignacio Taibo II est un écrivain qui sait prendre son temps. Il s’attarde sur des descriptions à priori futiles, mais finalement lourdes de sens, nous plonge dans les réflexions perplexes de son détective, nous permet de partager quelques tranches de vie savoureuses. Bref, tout ce qui fait les qualités d’un bon roman, mais fait hélas défaut à nombre de polars trop attachés à la notion de suspense, un artifice dont Paco Ignacio Taibo II sait parfaitement se passer.
Cosa Facil est le second roman de la série Balascoaran. Ecrit au milieu des années 70, alors que le Mexique connaît pour quelques années encore une importante croissance économique et l’émergence d’une véritable classe moyenne, Cosa Facil laisse apparaître quelques lignes de cassure. Le miracle mexicain touche à sa fin, la machine se grippe et les syndicats montent au créneau. C’est là qu’entre en marche la répression étatique et policière. Le roman illustre à merveille ce basculement dans la violence sociale et économique liée à la libéralisation de la société mexicaine, et c’est probablement ce qui en fait toute la force. Au milieu de ce chaos annoncé, qui pour le moment n’en est pas encore un, Hector Balascoaran Shayne, ex-ingénieur aujourd’hui détective sans le sou, partage ses bureaux avec un plombier, un tapissier et un ingénieur spécialiste des canalisations et des égouts. Hector Balascoaran Shayne, que l’on nommera par ses initiales HBC, c’est plus court, mène une vie pour le moins compliquée. Sa vie sentimentale est un champ de ruines et ses affaires lui rapportent plus de coups et de blessures que de pesos. Cette fois, notre détective doit mener trois affaires de front : un illustre illuminé, persuadé que Zapata n’a jamais été assassiné, lui demande de se lancer à sa recherche, une actrice populaire sur le déclin charge HBC de veiller sur sa fille victime de plusieurs agressions, enfin, les dirigeants d’une grosse entreprise de Mexico lui demandent d’enquêter sur l’assassinat d’un ingénieur dans une usine secouée par un mouvement de grève important.
“Si vous me demandez pourquoi il est détective privé, je serais bien en peine de vous répondre. Il est évident qu’à certains moments, il préférerait ne pas l’être, comme il y a des moments où je préférerais être n’importe quoi, sauf écrivain.”
Raymond Chandler
Ce qui fascine au premier abord dans le personnage de HBS c’est qu’il s’inscrit dans la longue tradition du polar hard-boiled. Il s’agit d’un détective dans le plus pur style behavioriste (un dur à cuire capable d’une grande finesse d’analyse, sensible, profondément solitaire mais gardant les pieds ancrés dans la réalité sociale), qui s’éloigne toutefois des canons du genre pour mieux se singulariser (a obtenu sa licence en suivant des cours par correspondance, se déplace la plupart du temps en bus, consomme des sodas plutôt que du whisky, partage son bureau avec trois autre énergumènes, très proche de ses frères et soeurs qu’il met souvent à contribution pour ses enquêtes). Globalement HBS reste un redresseur de torts, un défenseur de la veuve et de l’orphelin incapable de mener une enquête qui entrerait en conflit avec ses propres préceptes moraux, philosophiques ou politiques (fortement ancrés à gauche), l'appât du gain n’est pas sa première motivation, son moteur c’est l’adrénaline que lui procure son boulot, c’est d’une certaine manière sa liberté d’action et de choix, qui l’autorise régulièrement à envoyer bouler son employeur. HBS surprend souvent, déçoit rarement, mais reste profondément humain, il n’est pas infaillible et reçoit régulièrement son lot de grosses galères. Bref, il est tout simplement l’archétype de l’anti-héros attachant. L’autre force de Paco Ignacio Taibo II, c’est sa capacité à ancrer son héros et ses enquêtes dans le réel, chaque roman est l’occasion de plonger au coeur de la société mexicaine, d’en comprendre les lignes de fracture et les enjeux (émergence des revendications de la classe moyenne, corruption, violences policières, zones de non droit et impunité des politiques). C’est d’ailleurs l’occasion pour l’auteur d’étaler toute sa science du détail.
Dernière qualité et pas des moindres. Paco Ignacio Taibo II est un écrivain qui sait prendre son temps. Il s’attarde sur des descriptions à priori futiles, mais finalement lourdes de sens, nous plonge dans les réflexions perplexes de son détective, nous permet de partager quelques tranches de vie savoureuses. Bref, tout ce qui fait les qualités d’un bon roman, mais fait hélas défaut à nombre de polars trop attachés à la notion de suspense, un artifice dont Paco Ignacio Taibo II sait parfaitement se passer.
mardi 8 février 2011
Polars pop corn : Le Faucheux (J. Sallis) / Signé Moutain (P. Corris)
Un billet rapide pour signaler deux polars sympathiques, mais qui ne méritent pas à proprement parler une chronique de 3000 signes. Le premier était attendu puisqu’il s’agit du Faucheux de James Sallis, auteur dont j’avais entendu le plus grand bien ici et là et dont j’attendais forcément beaucoup. Inévitablement, les chances d’être déçu augmentent sensiblement dans ce cas de figure. Ce roman, qui n’en est pas exactement un, est en réalité un fixup composé de quatre nouvelles mettant en scène Lew Griffin, ex barbouze devenu détective privé à la Nouvelle Orléans. Un grand black tout en muscles porté sur la bouteille, appelé à de multiples reprises à sauver la veuve et l’orphelin. Mouais, honnêtement j’attendais mieux de Sallis, porté aux nues par certains de mes camarades et souvent encensé par la critique. Le personnage est légèrement binaire, très américain sans son attitude et ses conceptions du bien et du mal (normal après tout, on est quand même aux USA). On s’ennuie ferme dans cette série d’enquêtes un peu molles du genou, bien que les deux derniers textes finissent par convaincre le lecteur qu’en grattant quelque peu ce vernis pourtant pas bien épais, un auteur d’une toute autre envergure transparaît. Même Big Easy déçoit, il y a bien quelques fulgurances, quelques détails typiquement louisianais, mais une désagréable impression de saupoudrage persiste durant les trois quarts du livre. L’action pourrait se dérouler à Detroit ou Seattle sans que le lecteur puisse réellement sentir la différence.
Pas vraiment plus consistant, Signé Mountain de Peter Corris est un petit polar bien rodé mettant en scène une nouvelle enquête du détective Cliff Hardy, un autre genre de dur à cuire. Si le suspense est cette fois mieux géré et l’enquête rondement menée, ce roman, qui se déroule en Australie, plus exactement dans la ville de Sydney, pêche par son absence d’ambiance caractéristique. L’action se déroule entre l’appartement de Cliff Hardy (situé vraisemblablement quelque part dans Sydney), son bureau (situé quelque part dans Sydney), l’appart du principal suspect (situé quelque part dans Sydney) et un pub (là aussi, allez savoir où ça se trouve). Bon ok, Cliff Hardy va également faire un tour dans l’arrière-pays et du côté de Melbourne. On me rétorquera qu’il s’agit d’un polar et pas d’un guide touristique, mais pour le dépaysement faudra tout de même chercher ailleurs (du côté de Sharkbait ou Dogfish de Susan Geason par exemple en ce qui concerne le polar).
Bref, deux romans en demi-teinte, qui certes se lisent bien, mais demeurent sans grande saveur. De la littérature pop corn, qui divertit mais s’oublie en un clin d’oeil.
Pas vraiment plus consistant, Signé Mountain de Peter Corris est un petit polar bien rodé mettant en scène une nouvelle enquête du détective Cliff Hardy, un autre genre de dur à cuire. Si le suspense est cette fois mieux géré et l’enquête rondement menée, ce roman, qui se déroule en Australie, plus exactement dans la ville de Sydney, pêche par son absence d’ambiance caractéristique. L’action se déroule entre l’appartement de Cliff Hardy (situé vraisemblablement quelque part dans Sydney), son bureau (situé quelque part dans Sydney), l’appart du principal suspect (situé quelque part dans Sydney) et un pub (là aussi, allez savoir où ça se trouve). Bon ok, Cliff Hardy va également faire un tour dans l’arrière-pays et du côté de Melbourne. On me rétorquera qu’il s’agit d’un polar et pas d’un guide touristique, mais pour le dépaysement faudra tout de même chercher ailleurs (du côté de Sharkbait ou Dogfish de Susan Geason par exemple en ce qui concerne le polar).
Bref, deux romans en demi-teinte, qui certes se lisent bien, mais demeurent sans grande saveur. De la littérature pop corn, qui divertit mais s’oublie en un clin d’oeil.
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