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dimanche 14 octobre 2018

Les plus belles mains de Delhi, de Mikael Bergstrand

Après avoir abandonné à mi-parcours la lecture de La vieille sirène, roman de José Luis Sampedro sur lequel je fondais de grands espoirs, il me fallait un roman léger et facile à lire, une petite friandise livresque sans ambition démesurée (genre j’ai envie de rentrer à l’académie espagnole des belles lettres et je me regarde écrire avec beaucoup de complaisance). Comme quoi, on peut réunir tous les bons ingrédients (un auteur que j’apprécie, un sujet intéressant, une période historique qui me fascine le tout mâtiné d’une grande sensualité) et se prendre les pieds dans le tapis. Mais passons, là n’est pas le sujet de ce billet. Donc Mikael Bergstrand, écrivain suédois inconnu de votre serviteur mais visiblement très apprécié par son libraire, est l’auteur d’une trilogie qui rencontre un certain succès puisque le premier tome, Les plus belles mains de Delhi, s’est tout de même écoulé à plus de 15 000 exemplaires dans son pays. Rappelons pour les plus distraits, qu’en ces temps de disette culturelle et de crise du livre, un éditeur sabre le champagne à partir de 10 000 exemplaires et se paie une Rolls Royce à partir de 100 000 (oui je sais, c’est mathématiquement impossible, pas la peine de m’écrire pour me signaler qu’aucun éditeur français n’a les moyens de rouler en Rolls Royce phantom).

Dans Les plus belles mains de Delhi, un quinquagénaire originaire de Malmö (Göran Borg) se découvre une passion pour l’Inde et décide de s’y installer. Oui bon, en réalité Göran vient de perdre son boulot de webdesigner et n’encaisse toujours pas que sa femme l'ait quitté pour un bellâtre au portefeuille bien rempli il y a de cela quelques années. Alors le bonhomme déprime plus ou moins, cesse de surveiller sa ligne en s'empiffrant de crème glacée Ben & Jerry, traîne des journées entières sur d’obscurs forums consacrés au football club de Malmö et finit par perdre toute estime de lui-même. Alors quand l’un de ses plus vieux potes l’invite à partir séjourner deux semaines en Inde, Göran finit par se laisser tenter, pas tout à fait convaincu par l’intérêt du voyage, mais légèrement terrorisé à l’idée de se retrouver seul dans son appartement vide, sans boulot, sans femme et sans enfants puisque ces derniers vivent leur vie de jeunes adultes insouciants. Las, arrivé en Inde, Göran réalise que le voyage organisé par son ami ne fait pas exactement partie du gratin des tour operators : transports en bus interminables et inconfortables, hôtels miteux, restaurants douteux et visites touristiques à la limite du cliché. Pour l’authenticité tant promise, il faudra repasser. Pour couronner le tout, Göran est atteint dès les premiers jours d’une intoxication alimentaire qui le cloue au lit. Impossible pour lui de continuer avec le reste du groupe. Son ami Erik le laisse donc aux bons soins d’un certain Yogi, un Indien jovial et bon-vivant, éternel optimiste toujours prêt à voir la vie du bon côté. En compagnie de ce petit homme replet qui ne paie pas de mine, Göran découvrira l’Inde véritable, celle des contrastes ahurissants où la modernité côtoie la misère la plus effrayante, où les tours de la Silicon Valley indienne jouxtent les bidonvilles surpeuplés. Mais dans ce pays étonnant, notre Suédois découvrira aussi l’amour et s’ouvrira à nouveau à la simple joie de vivre.

Léger et enlevé, voilà ce qui caractérise le mieux ce roman sans prétention écrit sur un ton vif et légèrement ironique.  N’y cherchez pas un récit d’une grande profondeur ou une étude sociologique de l’Inde moderne, pas plus que vous n’y trouverez un guide touristique rempli de promesses de couleurs, de sensations ou d’odeurs que l’on associe forcément à ce pays. Le roman est même assez trivial, observant néanmoins l’Inde avec une certaine curiosité et ponctuant de nombreux chapitres de remarques assez fines sur les moeurs et les habitudes d’une contrée que l’on imagine forcément exotique (les ravages d’un soubresaut d’Orientalisme). Cette sobriété est finalement la bienvenue, nous épargnant ainsi de nombreux clichés et même tout misérabilisme. Le roman est finalement un point de vue sur la classe moyenne indienne, que l’on découvre avec un certain plaisir et même une grande dose de bonne humeur, à l’image de nombreux personnages que l’on y croise. De quoi secouer bien fort, et avec une pointe d’humour, les poncifs habituels ; on n’en attendait pas autant.

lundi 1 octobre 2018

Cold case : Le dernier Lapon, d'Olivier Truc

“Moi j’aime pas le froid”, comme disait ma fille de deux ans lorsqu’on la menaçait de la priver de glace (oui, comme tous ces parents cruels qui obligent leurs enfants à manger des légumes, il faut parfois user de méthodes coercitives pas franchement reluisantes). Bon ben son père c’est pareil, il n’aime pas le froid, mais alors pas du tout. Par contre il aime la glace. Bref, vous l’aurez compris, les contrées nordiques ne m’ont jamais réellement attiré, non pas que les paysages du Grand Nord ne possèdent aucun charme, loin de là, mais je préfère les admirer sur carte postale plutôt qu’en vrai, les pieds bien au chaud. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais cédé à la mode des polars venus du froid qui sévit depuis quelques années dans le milieu de l’édition, je crois même n’en avoir jamais lu aucun jusqu’à ce jour. C’est mal d’avoir des préjugés, oui c’est vrai, c’est la raison pour laquelle je vais dire du bien du livre d’Olivier Truc, qui pour le coup n’est pas vraiment scandinave, même s’il vit en Suède où il occupe la fonction de correspondant pour Le Monde.

Pour les incultes comme votre serviteur, la Laponie est un territoire d’Europe du Nord situé à cheval sur plusieurs pays (Norvège, Suède, Finlande et même une petite part de Russie) et à l’origine peuplé par les Samis (nous éviterons d’user du terme Lapons, issu du Suédois et péjoratif puisqu’à l’origine il signifiait “Porteurs de haillons”), qui furent colonisés par nos amis vikings à partir du XIIème siècle. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, la Laponie n’est pas seulement le pays du Père Noël, du steak de renne et des aurores boréales, mais une région à l’histoire complexe, dotée de structures politiques et administratives d’exception, destinées à reconnaître le statut, la culture et le mode de vie du peuple Sami. Ces exceptions concernent surtout des droits de pêche et de chasse, des droits de passage destinés à l’élevage des rennes, des frontières plus souples entre les différents pays qui se partagent la Laponie et une police particulière, transnationale, appelée “Police des rennes” et chargée de veiller à la bonne entente entre les différents éleveurs d’une région où près de 150 000 têtes de bétail (des rennes, hein, pas des vaches ou des moutons) se disputent une nourriture peu abondante en hiver. Ce particularisme peut faire sourire, mais l’élevage reste la principale ressource économique de la région ( riche en ressources naturelles, mais très protégée) et un élément fondamental de la culture sami. Les conditions climatiques peuvent parfois devenir compliquées et exacerber les tensions dans une communauté non violente par essence (le mot guerre n’existe pas en sami), mais où les esprits peuvent tout de même s’échauffer.

Klemet est d’origine Sami, membre expérimenté de la police des rennes, il parcourt des centaines de kilomètres sur sa motoneige à travers les steppes glacées en compagnie de sa jeune coéquipière, Nina, à qui il enseigne les bases du métier. Observation et préservation de la nature, visites auprès des éleveurs, parfois très isolés, surveillance des zones de pâturage… leurs missions sont nombreuses et capitales dans cette région, même si elle fait sourire certains de leurs homologues de la police de Kautokeino, leur base de rattachement. Mais leur routine quotidienne est subitement bouleversée par deux affaires d’importance, la première concerne le vol d’un tambour cérémoniel sami, récent don au musée de Kautokeino. La seconde n’est autre que le meurtre d’un éleveur de rennes, à qui les deux policiers avaient très récemment rendu visite. Associés, mais seulement à la marge, à ces deux enquêtes, Klemet et Nina sont persuadés que les deux affaires sont liés et que l’enquêteur principal fait fausse route. Mais les autorités mettent la pression sur les membres de la police locale car une conférence de l’ONU se tiendra très prochainement dans la région et l’enquête du tambour volé doit être résolue avant que les projecteurs ne se tournent vers la Laponie.

Avare en action débridée, ce qui me convient très bien, Le dernier Lapon compense largement ce menu défaut par une ambiance vraiment prenante, à la fois calme, pesante et un brin hors du temps. L’auteur ne cherche en aucune manière à impressionner son lectorat, à lui en mettre plein la vue à chaque page, mais s’attache au contraire à retranscrire avec simplicité et authenticité cet univers de glace et de nuit (le roman se déroule à la toute fin de l’hiver polaire, alors que le soleil réapparaît après plusieurs semaines d’absence). Il s’attache à décrire avec force détails et un grand sens du réalisme le mode de vie des hommes et des femmes qui peuplent cette région, leurs coutumes et leurs traditions, les relations entre les différentes populations et leurs éventuelles frictions, héritées parfois d’un lointain passé. Celui-ci ressurgit d’ailleurs à de multiples reprises et n’est pas sans rappeler l’histoire complexe des peuples amérindiens colonisés par les européens (on pourrait d’ailleurs facilement effectuer des rapprochements avec les romans de Tony Hillerman). L’enquête en elle-même, sans être foncièrement trépidante, est assez bien menée, sans violence (ou presque) et sans coup de feu, ce qui a tout de même le mérite d’être assez rare. Au cas où vous chercheriez des super-flics, des as de la déduction géniale doublés de champions de la gâchette, je vous conseillerais plutôt de vous diriger sur d’autres types de polar car les ressorts de celui-ci reposent sur d’autres arguments.