Après avoir abandonné à mi-parcours
la lecture de La vieille sirène, roman de José Luis Sampedro sur
lequel je fondais de grands espoirs, il me fallait un roman léger et
facile à lire, une petite friandise livresque sans ambition
démesurée (genre j’ai envie de rentrer à l’académie espagnole
des belles lettres et je me regarde écrire avec beaucoup de
complaisance). Comme quoi, on peut réunir tous les bons ingrédients
(un auteur que j’apprécie, un sujet intéressant, une période
historique qui me fascine le tout mâtiné d’une grande sensualité)
et se prendre les pieds dans le tapis. Mais passons, là n’est pas
le sujet de ce billet. Donc Mikael Bergstrand, écrivain suédois
inconnu de votre serviteur mais visiblement très apprécié par son
libraire, est l’auteur d’une trilogie qui rencontre un certain
succès puisque le premier tome, Les plus belles mains de Delhi,
s’est tout de même écoulé à plus de 15 000 exemplaires dans son
pays. Rappelons pour les plus distraits, qu’en ces temps de disette
culturelle et de crise du livre, un éditeur sabre le champagne à
partir de 10 000 exemplaires et se paie une Rolls Royce à partir de
100 000 (oui je sais, c’est mathématiquement impossible, pas la
peine de m’écrire pour me signaler qu’aucun éditeur français
n’a les moyens de rouler en Rolls Royce phantom).
Dans Les plus belles mains de Delhi, un
quinquagénaire originaire de Malmö (Göran Borg) se découvre une
passion pour l’Inde et décide de s’y installer. Oui bon, en
réalité Göran vient de perdre son boulot de webdesigner et
n’encaisse toujours pas que sa femme l'ait quitté pour un bellâtre
au portefeuille bien rempli il y a de cela quelques années. Alors le
bonhomme déprime plus ou moins, cesse de surveiller sa ligne en
s'empiffrant de crème glacée Ben & Jerry, traîne des journées
entières sur d’obscurs forums consacrés au football club de Malmö
et finit par perdre toute estime de lui-même. Alors quand l’un de
ses plus vieux potes l’invite à partir séjourner deux semaines en
Inde, Göran finit par se laisser tenter, pas tout à fait convaincu
par l’intérêt du voyage, mais légèrement terrorisé à l’idée
de se retrouver seul dans son appartement vide, sans boulot, sans
femme et sans enfants puisque ces derniers vivent leur vie de jeunes
adultes insouciants. Las, arrivé en Inde, Göran réalise que le
voyage organisé par son ami ne fait pas exactement partie du gratin
des tour operators : transports en bus interminables et
inconfortables, hôtels miteux, restaurants douteux et visites
touristiques à la limite du cliché. Pour l’authenticité tant
promise, il faudra repasser. Pour couronner le tout, Göran est
atteint dès les premiers jours d’une intoxication alimentaire qui
le cloue au lit. Impossible pour lui de continuer avec le reste du
groupe. Son ami Erik le laisse donc aux bons soins d’un certain
Yogi, un Indien jovial et bon-vivant, éternel optimiste toujours
prêt à voir la vie du bon côté. En compagnie de ce petit homme
replet qui ne paie pas de mine, Göran découvrira l’Inde
véritable, celle des contrastes ahurissants où la modernité côtoie
la misère la plus effrayante, où les tours de la Silicon Valley
indienne jouxtent les bidonvilles surpeuplés. Mais dans ce pays
étonnant, notre Suédois découvrira aussi l’amour et s’ouvrira
à nouveau à la simple joie de vivre.
Léger et enlevé, voilà ce qui
caractérise le mieux ce roman sans prétention écrit sur un ton vif
et légèrement ironique. N’y cherchez pas un récit d’une
grande profondeur ou une étude sociologique de l’Inde moderne, pas
plus que vous n’y trouverez un guide touristique rempli de
promesses de couleurs, de sensations ou d’odeurs que l’on associe
forcément à ce pays. Le roman est même assez trivial, observant
néanmoins l’Inde avec une certaine curiosité et ponctuant de
nombreux chapitres de remarques assez fines sur les moeurs et les
habitudes d’une contrée que l’on imagine forcément exotique
(les ravages d’un soubresaut d’Orientalisme). Cette sobriété
est finalement la bienvenue, nous épargnant ainsi de nombreux
clichés et même tout misérabilisme. Le roman est finalement un
point de vue sur la classe moyenne indienne, que l’on découvre
avec un certain plaisir et même une grande dose de bonne humeur, à
l’image de nombreux personnages que l’on y croise. De quoi
secouer bien fort, et avec une pointe d’humour, les poncifs
habituels ; on n’en attendait pas autant.