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lundi 7 décembre 2020

Polar fatal : Le dernier baiser, de James Crumley

 

Seconde incursion dans l’univers de James Crumley, non pas cette fois en compagnie du désespéré et notoirement alcoolique Milo Milodragovitch, mais aux côtés du détective privé C.W. Sughrue, à peine moins assoiffé et tout aussi peu fréquentable. Autant dire que le bonhomme s’inscrit parfaitement dans la longue tradition du privé à l’américaine, un dur à cuire au cœur tendre porté sur la bouteille, les femmes (surtout si elles sont compliquées) et autres produits illicites. Redoutablement intelligent et raisonnablement cultivé, bien qu’il prenne un malin plaisir à le cacher, Sughrue et d’un fatalisme consommé, celui des gens lucides mais déçus par le genre humain. Bien qu’évoluant dans la fange de l’humanité, Sughrue a également l’étonnante capacité de faire toujours émerger un peu de lumière des ténèbres, suscitant ainsi l’étonnement et l’émotion. Si vous ajoutez à cela un sens de l’humour hautement corrosif et un don pour la répartie aiguisé comme une lame de rasoir, vous obtenez l’un des personnages les plus attachants et les plus flamboyants de la littérature américaine. On s’étonne encore qu’un bonhomme de cette trempe n’ait jamais eu les faveurs du cinéma….. sans doute manquait-il un acteur au charisme suffisant pour interpréter un tel rôle. 



Pour les présentations, direction Sonoma, au nord de San Francisco. Le décor est des plus simples. Un bar à bière un peu miteux, tenu par une serveuse entre deux âges, Rosie, fatiguée par de trop nombreuses années de service. Au comptoir, deux poivrots à moitié analphabètes et, au fond du bar, un vieil écrivain alcoolique effondré sur sa table. A ses pieds veille un chien à l’air renfrogné et au caractère difficile, que l’on peut néanmoins amadouer à coup de bières bien fraîches. Ce sont eux que cherche C.W. Sughrue, enfin l’écrivain alcoolique, pas le chien.  Mandaté par l’ex-femme de celui qu’il est bien difficile de nommer “homme de lettres”, Sughrue a pour mission de retrouver ledit soiffard et de le racompagner chez lui, dans le Montana, avec sa rate et son foie. Une mission plutôt facile, qui permettra à notre détective privé de remporter une somme rondelette. Oui mais comme la simplicité n’est pas de ce monde et que les choses ne se déroulent pas toujours comme on le souhaiterait, voilà notre détective privé, après une bagarre bien sentie et une bonne cuite, sur la piste de la fille de Rosie, disparue voilà une bonne dizaine d’années. Accompagné par notre ivrogne d’écrivain et Fireball, le bouledogue amateur de bière, Sughrue devra tirer les fils d’une série d’indices aussi minces qu’une feuille de papier à rouler. 



Si vous aimez les polars bien ficelés, avec une intrigue taillée au cordeau et un suspense digne des meilleurs Hitchcock, vous n’avez pas toqué à la bonne porte. Ici c’est plutôt ambiance sexe, drogue et rock n’roll, enfin sans le rock, mais avec beaucoup de sexe et d’alcool. L’intrigue est des plus relâchée, mais elle n’est de toute façon que secondaire. Bien sûr, on a envie de connaître le dénouement de l’enquête, mais comme le dit l’adage, le voyage vaut mieux que la destination, surtout si l’on est bien accompagné. Vous l’aurez donc compris, ce roman tient avant tout par ses personnages, certes hauts en couleur, mais profondément humains et viscéralement attachants. Les dialogues sont une pure merveille et si vous appréciez l’humour noir et le cabotinage, vous serez copieusement servi. Mais tout cela ne serait rien sans le style inimitable de James Crumley, à la fois enlevé, drôle, incisif, incroyablement dynamique et d’une fluidité exemplaire. L’écriture se savoure et fera certainement les délices de ceux qui ont déjà fait quelques incursions du côté de Jim Harrison, avec lequel on retrouve quelques similitudes, à la fois dans le style et dans la philosophie de vie. Mais si Crumley est lui aussi porté sur les femmes et la bouteille, il est en revanche moins fin gourmet. Vu comme ça, le portrait pourrait paraître assez peu flatteur, mais ce serait rester en surface que de s’arrêter à ce machisme de façade car Crumley ne se départit jamais de son ironie mordante et égratigne aussi bien les hommes que les femmes. Et dans cette galerie de personnages écorchés par la vie, il y a tellement d’humanité qu’on a tôt fait d’oublier leurs grandes gueules pour ne plus percevoir que la beauté de leurs âmes mises à nu.