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samedi 25 juin 2022

Fantasy livresque : Magus of the Library, de Mitsu Izumi

 


D'abord il y a le dessin : une pure merveille de détails et de finesse et un amour éclatant des costumes dans une mise en page soignée. Tout cela attire l’œil...

Ensuite, on découvre l'histoire : ça parle de livres, de libraires et de bibliothécaires dans un univers fantasy complexe fait de nombreuses ethnies aux coutumes et aux costumes variés.

Que demander de plus pour se lancer dans la série ?

C'est donc l'histoire d'un petit garçon très pauvre, métis de deux peuples qui se sont rageusement fait la guerre pendant des années. Sa sœur se prive pour l'envoyer à l'école où il se fait brimer, et depuis qu'il a appris à lire, il adore les romans. Mais le bibliothécaire du village refuse qu'il fréquente la bibliothèque municipale au prétexte que tous les pauvres sont des voleurs et des abimeurs de livres. Heureusement, il a des amis : la fille du bibliothécaire qui a son âge et avec laquelle il partage ses enthousiasmes littéraires, et une magnifique créature mi lion-mi licorne réputée trop sauvage pour être apprivoisée.

Un jour arrive quatre inspectrices de la bibliothèque centrale, et son destin va s'en trouver bouleversé. Suite à cette rencontre pleine de péripéties, et après avoir sauvé la bibliothèque du feu, il devient quasiment la mascotte du village et va s'entraîner pour passer le redoutable concours de kahuna, ainsi qu'on appelle les gardiens des livres de la bibliothèque centrale, le lieu de tous les savoirs, mais aussi la garante de la paix entre les peuples.

Au fil de son voyage et de son apprentissage, il va bien entendu découvrir le monde et se faire plein d'amis étonnants, avec chacun une personnalité bien trempée.

Pour construire son univers, l'auteur puise à toutes les sources, mélangeant allègrement les peuples et les coutumes de nos bonnes vieilles civilisations pour créer son univers, avec un faible pour les noms de peuples amérindiens, les costumes exotiques et les arrière-plans du théâtre indonésien. Il construit son histoire comme un livre d'aventures, tout en découvertes et en exploration, avec de la magie de temps en temps !

Et comme les Kahunas portent des valeurs d'entraide, de travail, de sérieux et d'amour de la lecture, je l'ai placé dans les mains de mes collégiens. Résultat : les cinq tomes actuels ne reposent pas plus d'une journée sur l'étagère avant d'être empruntés. Le succès a été fulgurant. Un de mes grands lecteurs de mangas m'a dit d'un air extatique : "c'est un livre qui parle de livres, c'est de la lecture au carré !!!".

C'est pour le moins un univers qu'on lâche à regret, en attendant la suite des cinq premiers tomes parus avec impatience, en espérant ne pas tomber sur des voleurs de livres...

Ah, et j'allais oublier, cerise sur le gâteau : il y a des dragons (enfin, un pour le moment) ! Tout pour plaire !

mardi 21 juin 2022

Fantasy slave : Déracinée, de Naomi Novik

 

Avouez que, comme moi, vous n’auriez pas automatiquement associé culture slave et fantasy. Oh, bien entendu, un certain Andrzej Sapkowski a mis à l’honneur la fantasy polonaise grâce au succès assez phénoménal de The Witcher, mais d’aucun considérait cette réussite comme un épiphénomène. Il faut bien reconnaître que je m’étais indiscutablement fourvoyé, voire, carrément, introduit l’index dans la cavité orbitaire. Non seulement c’est très douloureux, mais en plus c’est beaucoup moins pratique pour lire. Heureusement, le hasard fait parfois bien les choses et en traînant dans les rayons d’une surface culturelle, je tombe sur deux livres de poche à la couverture intrigante, rappelant les codes graphiques du folklore des pays d’Europe centrale. Ce qui n’est pas courant en fantasy, où les couvertures sont souvent inspirées par une heroic fantasy largement influencée par le bestiaire de D&D (ok ok, je schématise). Evidemment, les origines de l’auteure (Naomi Novik est américaine, mais d’origine polonaise et lituanienne) n’y sont sans doute pas étrangères et il faut bien avouer que  le mélange a quelque chose d’incroyablement rafraîchissant.



Publié en 2017, Déracinée est un roman d’environ cinq cents pages, dont la qualité première est  de se suffire à lui-même. En débutant sa lecture, vous êtes assuré de ne pas vous aventurer dans une énième trilogie de trois mille pages (voire davantage). Ce qui prouve à ceux qui affirment sans cesse que la fantasy a besoin de longues phases d’introduction pour poser les enjeux d’un nouvel univers, qu’il s’agit d’une facilité dont usent ceux qui n’ont en réalité que peu d’imagination en matière de construction narrative. Naomi Novik s’affranchit allègrement de toutes ces ficelles éculées et plonge le lecteur immédiatement dans son univers ; à lui par la suite d’en reconstituer patiemment les enjeux, en récoltant les indices disséminés par l’auteur au fil de son récit.  Situé à l’orée d’un bois maléfique, le petit village de Dvernik est soumis à une étonnante tradition. Tous les dix ans, une jeune fille est choisie par le Dragon, un puissant magicien chargé de veiller sur la région et de juguler le pouvoir d’une forêt maléfique. La jeune Agnieszka fait partie des jeunes filles susceptibles d’être choisies, mais cette éventualité ne semble guère la préoccuper car le mage choisit immanquablement le plus jolie et la plus apprêtée des candidates en lice…. et sur ce terrain, Agnieszka n’est pas vraiment la plus à même de l’emporter. Dotée d’un visage sans grâce et d’une gaucherie légendaire, la jeune fille ne s’inquiète guère d’être une hypothétique “heureuse élue”, persuadée que cette place sera dévolue à sa meilleure amie, à la chevelure dorée et au visage angélique. Mais le jour de la cérémonie du choix, rien ne se passe comme prévu et contre toute attente, c’est Agnieszka qui est désignée par le mage. Commence alors pour elle, un long apprentissage pour révéler et développer son don latent pour la magie. Un pouvoir qu’elle ne soupçonnait pas, mais que le Dragon a immédiatement perçu en elle. 



La grande originalité du roman, en dehors du fait qu’il s’inspire avec un certain talent du folklore slave/balte, c’est qu’il prend le contre-pied de bon nombre de romans d’apprentissage classiques. Le schéma éculé du Grand Maître plein de sagesse prenant sous son aile  paternelle une jeune apprentie au potentiel  considérable mais inexploité a vécu. Naomi Novik le bat en brèche dès les premières pages. Rien ne correspond aux patterns habituels. Agnieszka n’est ni jolie ni particulièrement douée (tout du moins dans son apprentissage initial), elle est tête en l’air, désordonnée, maladroite et souvent butée, sa relation avec le Dragon est la plupart du temps conflictuelle en raison de son caractère quelque peu borné. Et pourtant cela fonctionne. Le roman de l’écrivaine américaine prend un malin plaisir à contourner les codes du genre tout en respectant l’essence même de ce qui fait tout le charme de la fantasy : le merveilleux. Avec un ton proche du conte, Naomi Novik nous plonge dans un univers féérique, à la fois familier et étonnant. Certes, on reste en territoire connu, on y croise des magiciens et des sorcières, des animaux fantasmatiques, des reines et des rois…. mais même la magie a quelque chose d’inhabituel. L’auteure oppose ici deux formes de magie, l’une très académique, repose sur des formules complexes nécessitant beaucoup de rigueur et d’entraînement, la seconde, relève davantage du ressenti, de l’instinct et de la pulsion primaire… et c’est celle qu’Agnieszka pratique naturellement, au grand désespoir de son maître. Cette opposition de style est au coeur de la dynamique de la relation entre le Dragon et son élève, elle la complexifie et la rend moins verticale (oserais-je dire moins conservatrice). Le maître apprend ici autant que son élève, chacun se nourrit du savoir et de l’expérience de l’autre, et le moins que l’on puisse dire c’est que dans le domaine de la fantasy cela n’a rien de courant. 


Alors certes, tout n’est pas parfait, on n’échappe pas totalement à quelques clichés et autres personnages stéréotypés, mais l’ensemble reste très rafraîchissant, original sur de nombreux points et indiscutablement très prenant. Sincèrement, j’ai été tellement convaincu par la plume de Naomi Novik, que j’ai immédiatement enchaîné sur La fileuse d’argent, que je vous recommande encore plus chaudement et qui plonge bien plus amplement dans les racines de la culture slave.

jeudi 16 juin 2022

SF au féminin toutes : Wombs, de Yumiko Shirai

 



Sur la planète Jasperia, deux groupes humains se font la guerre : les First, les premiers colons, se défendent face aux Seconds. La supériorité technique des Seconds leur a permis de prendre le contrôle d'une bonne partie de la planète, à l'exception des terres de la nation de Hast et la forêt primaire. Le seul atout des First dans cette guerre sans merci sont les forces spéciales de transfert. Ces dernières sont uniquement composées de jeunes femmes à qui on implante un greffon de niba, une espèce endémique de Jasperia, très mal connue, qui vit dans la forêt primaire. Grâce à ce greffon, et uniquement pendant les phases de la lune de Jasperia, les jeunes femmes peuvent se déplacer quasiment instantanément et emporter des troupes et du matériel.

Mana est l'une de ces jeunes recrues. Elle reçoit avec ses camarades un entraînement intensif d'une des pionnières, la sergente Almare. Et bientôt, elle connaît son premier combat. Mais porter un niba et se promener dans le plan des coordonnées n'est pas sans risque physique ou psychique, et bientôt Mana et ses camarades vont en faire l'expérience. Sans compter que d'autres dangers les guettent : les manoeuvres politiques, les manipulations scientifiques... Autour de leur unité si particulière se trame des choses pas très nettes.

Wombs est une courte série manga en cinq tomes qui nous entraîne dans un monde de science-fiction bien plus complexe qu'il ne paraît au premier abord. Tout comme les nouvelles recrues larguées dans le plan de coordonnées sans repères, on est vite perdu dans les méandres d'une histoire à tiroirs où il est parfois un peu compliqué, au début, de replacer tous les protagonistes sur l'échiquier et de comprendre leurs buts. Mais on se laisse peu à peu happer par l'intrigue et par les questionnements que se posent les jeunes femmes "porteuses" dans tous les sens qu'on peut donner à ce mot : porteuse du greffon, porteuse des soldats et de leur armement, porteuse d'espoir.

A quel prix toutefois ? Car petit à petit on apprend comment les forces spéciales se sont mises en place sur les cadavres des pionnières, on devine peu à peu qui sont les nibas, et on n'ose pas imaginer ce que trament certains dans l'ombre.


Porté par un dessin très dynamique, voici une série de science-fiction qui sort des sentiers battus, avec une réflexion sur la maternité, les traumatismes, les souvenirs, la place des femmes dans la guerre... Une jolie découverte !