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dimanche 30 avril 2023

Être combattant : Sous le feu, de Michel Goya

 

Je sais que ce blog est essentiellement un blog littéraire, mais il y a des traités de sociologie qui se lisent comme des romans. Sous le feu, de Michel Goya, est de ceux-là. Aussi je me permets de vous en toucher un mot.

Ce petit livre (250 pages en édition poche) détaille le métier de soldat, qui n’est pas tout à fait un métier comme un autre, en ce sens que comme l’indique le sous-titre, il faut prendre en compte « la mort comme hypothèse de travail ».

Ici pas de panégyrique du combattant héroïque ou du devoir sacré. Les récits qui émaillent cette étude sont ceux de soldats qui ont connu le feu, hier et aujourd’hui, sans pathos, sans lyrisme, mais sans la sécheresse d’un rapport non plus. Simplement la description de leurs émotions au moment de l’engagement, que ce soit en partant à l’assaut de la tranchée adverse pendant la première guerre mondiale ou lors d’une embuscade lors de l’intervention en Afghanistan.

Alternant ces témoignages avec des études sociologiques et psychologiques dont plus d’une peuvent nous surprendre, l’auteur replace les notions de courage et d’héroïsme dans leur contexte, démêle la part intime et la part du collectif dans les réactions du soldat face à sa mort et à celle de l’ennemi. Il parle aussi de commandement sous le feu et à l’arrière, quand la décision doit être rapide et efficace sous peine de mort ; de la chance indispensable, mais qu’il faut savoir aider, par un bon entraînement par exemple (mais qu’est-ce qu’un bon entraînement?). Il parle aussi des raisons qui poussent les soldats vers le combat, sans distinguer les « bonnes » des « mauvaises ». Il parle enfin de la peur, tout au long du livre, sous de nombreuses formes, omniprésente, à la fois sauvegarde (on fait attention quand on a peur) et dangereuse quand elle paralyse.

Le colonel Michel Goya est à la fois un historien et un militaire du rang (sous-officier puis officier). Il a connu plusieurs fois le feu, notamment au siège de Sarajevo. Il décrit donc quelque chose qu’il a vécu, mais il cite d’abord les autres. Il décrit le courage, l’héroïsme, la lâcheté, la stupeur, la peur sous toutes ses formes, les moments paroxystiques, et la camaraderie ou esprit de corps, le ciment des armées. Il dévoile les arbitrages nécessaires pour former un bon combattant, entre le trop et le pas assez dans tous les domaines. Il nous apprend à comprendre le combattant d’aujourd’hui, qui voit rarement son ennemi, mais plutôt ses bombes plus ou moins artisanales, ses missiles, ses drones et, au plus près, entend les balles de ses fusils automatiques.

Ce texte n’a rien d’une propagande pour l’armée, mais rien non plus d’un pamphlet pacifiste. Il se contente de constater que la guerre existe et qu’elle est menée par des êtres humains qui n’ont pas toujours choisi de devenir soldat, mais qui ont souvent de bonnes raisons de se battre.

Et tout à coup m’est revenu l’envie de revoir certains films de guerre. Non pas ceux qui glorifient les généraux, les snipers héroïques ou les soldats perdus, mais ceux qui racontent l’affrontement et ce qui s’ensuit juste après : « Capitaine Conan, de Bertrand Tavernier » ; la scène du débarquement de « Il faut sauver le soldat Ryan » ; Et toute la série « Band of Brothers », dont certaines scènes me revenaient en flashes lors des explications de l’auteur sur l’entraînement, la chance au combat, l’esprit de corps, mais aussi la peur, l’usure des affrontements répétés, tout ce qui fait du combattant un "frère d'armes".

Et ce qui est certain, c’est qu’après cette lecture, on n’écoutera plus jamais les récits et les reportages de guerre de la même manière. Et on regardera le combattant d’un autre œil, pas plus admiratif ou plus critique. Un autre regard, simplement.