Après l’excellent Tokyo Sanpo, carnet de croquis issu de son séjour de six mois au Japon, Florent Chavouet récidive selon un principe identique avec Manabé Shima.
Cette fois le jeune dessinateur français a quitté le bruit et la fureur
de Tokyo et de ses trente millions d’habitants pour la petite île de
Manabé, un bout de terre minuscule situé dans la mer intérieure (au
large d’Osaka). Un îlot peuplé d’un peu plus d’une centaine d’habitants
et d’une palanquée de bêtes en tous genres (serpents, crabes, chats,
poissons fugu, insectes divers et variés....). Bien décidé à passer les
deux mois d’été sur l’île, Florent Chavouet loue une petite chambre dans
le seul hôtel du coin, fermé l’hiver et à peine sur le point de
redémarrer la haute saison touristique ; un bien grand mot puisque
l’essentiel des touristes fréquente surtout l’ïle voisine de Shiraishi,
dont les infrastructures sont nettement plus développées et en mesure de
répondre aux attentes des touristes pressés et avides d’activités
nautiques (et plus si affinités). Manabé c’est un peu l’antithèse du
dynamisme outrancier tokyoïte, un territoire au ralenti qui se laisse
doucement porter par le rythme des saisons et le mouvement lancinant du
ressac. N’y résident que des pêcheurs, des retraités (pêcheurs à la
retraite faut-il préciser) et quelques hurluberlus fatigués par la vie
moderne à la japonaise. Au milieu de ce petit monde foncièrement
sympathique, Florent Chavouet semble à son aise, sa maîtrise du japonais
reste très limitée, mais le bonhomme communique avant tout par le
dessin et dispose d’une aptitude remarquable pour mettre les habitants
dans sa poche.
Ce qui fascine chez l’auteur c’est son talent inné pour l’observation,
sa capacité à donner du sens à chacun de ses dessins à travers les
détails. Lancé sur ce faux rythme qui fait toute la force de ses albums,
Chavouet semble partir dans toutes les directions, dessinant au gré de
ses pérégrinations et de ses découvertes, s’arrêtant sur de petits
détails insignifiants au premier abord, mais lourds de sens lorsqu’on
prend la peine de suivre la démarche du dessinateur. C’est d’ailleurs
cet aspect composite, cette accumulation de détails, d’anecdotes et de
portraits, qui fait toute la saveur de ses albums et permet, une fois la
dernière page tournée, d’appréhender avec une grande proximité et
beaucoup de tendresse les lieux qu’il nous décrit.
Un peu comme l’était Tokyo Sanpo, Manabé Shima
est un éloge de la curiosité doublé d’une étude en profondeur de la
société japonaise, mais abordée par la bande avec force détails. C’est
d’autant plus vrai que cette fois Chavouet s’éloigne du Japon moderne
pour aborder une autre facette de cet étonnant pays, peut-être plus
exotiques encore que ne l’était Tokyo tant elle correspond mal aux
stéréotypes véhiculés habituellement sur le Japon. S’il fallait résumer
le projet de Florent Chavouet ce serait celui de faire de la banalité
des autres quelque chose de résolument exotique et fascinant. C’est
probablement cette approche qui constitue l’élément de réussite de
chacun de ses carnets car il faut bien avouer que ce sont ces
différences qui nous attirent le plus lorsque nous observons nos voisins
de l’étranger.