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lundi 9 octobre 2023

Le chevalier aux épines (T2) : Le conte de l'assassin, de Jean-Philippe Jaworski

 

Inutile d’en faire un mystère étant donné la fin du premier tome du Chevalier aux épines, don Benvenuto Gesufal est de retour, pour la plus grande joie des lecteurs de Jean-Philippe Jaworski. Ce personnage gouailleur et haut en couleurs, assassin de son état, ou plutôt tueur à gages pour les puissants seigneurs de la cité-état de Ciudalia, avait fait sa première apparition dans “Nouvelle donne”, un texte figurant au sommaire de l’excellent recueil de nouvelles Janua Vera, puis il avait définitivement conquis le coeur des amateurs de fantasy un brin crapuleuse en incarnant le personnage principal de Gagner la guerre, pierre angulaire de l’oeuvre de Jean-Philippe Jaworski, qui lui permit de s’imposer comme l’un des grands maîtres de la fantasy moderne. Il faut bien reconnaître que le bougre nous avait manqué. Sa verve insatiable, son franc-parler et sa morale douteuse teintée d’une certaine malice, nous avaient tant régalés dans Gagner la guerre, que retrouver  ce bon vieux Benvenuto à la fin de l’acte un du Chevalier aux épines a été à la fois une immense surprise et un plaisir indicible. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Jean-Philippe Jaworski a même eu l’excellente idée de lui consacrer ce second acte en prenant littéralement le contrepied du premier volume afin de présenter le point de vue du camp adverse, celui du Duc Ganelon.


Résumons succinctement le premier tome. Afin de laver l’honneur de la duchesse Audéarde, répudiée par son mari le duc Ganelon de Bromael pour un supposé adultère, ses partisans organisent un tournoi afin de défier le parti du Duc. Cette faction, plus ou moins ouvertement séditieuse, réussit même à rallier l’ancien champion de la duchesse, le chevalier de Vaumacel, longtemps parti en exil à la suite de sa disgrâce, mais aujourd’hui bien décidé à faire valoir son point de vue, dans le sang si nécessaire. Mais aussi prestigieux soit-il, le tournoi n’est qu’une feinte, une diversion destinée à permettre au fils aîné de la duchesse de libérer sa mère du couvent où elle est enfermée. En réalité, dans l’ombre œuvrent des forces qui dépassent ces champions obnubilés par leur honneur de pacotille, des mouvements souterrains puissants s’activent dans le secret afin de renverser l’équilibre fragile des pouvoirs. Bien malin celui qui réussira à tirer son épingle du jeu, mais le chevalier de Vaumacel n’en fera sans doute pas partie, puisqu’au cours du tournoi, il est poignardé par un soudard à la trogne peu amène et aux manières assez peu chevaleresques. Les lecteurs avertis auront immanquablement reconnu le style peu académique, mais redoutable, de Don Benvenuto. C’est sur ce revirement surprenant que prend fin l’acte un, laissant le lecteur dans un état proche de la sidération. 


Ce second tome ne démarre pas exactement là où s’arrêtait le premier volet, puisque Jean-Philippe Jaworski préfère opérer un judicieux retour en arrière, pour que l’on puisse comprendre l’enchaînement des événements qui ont permis à Don Benvenuto, pas vraiment à sa place dans un combat de chevalerie, de se retrouver au coeur de la mêlée et de poignarder sournoisement  le chevalier de Vaumacel. Si les considérations dynastiques et politiques du premier tome vous paraissaient déjà un peu obscures, l’auteur se permet d’élargir le champ et nous fait entrer de plain-pied dans la géopolitique complexe du vieux royaume. Et  soudain, Ciudalia et ses intrigues de palais dignes des Borgia paraissent moins éloignées. Je me permets donc d’amender quelque peu ce que j’avais énoncé dans la chronique du premier volet, avoir lu Gagner la guerre est, sinon indispensable, très appréciable tant les références aux aventures initiales de Don Benvenuto sont nombreuses. Difficile en effet de comprendre les griefs de Clara Ducatore, désormais épouse du duc Ganelon, à l’encontre de notre maître assassin, si l’on n’a pas connaissance de leur orageuse relation passée. Toujours est-il, qu’à la suite du mariage de la fille du Podestat Leonide Ducatore (Clara) avec le duc Ganelon, le père de la mariée s’est engagé à verser une dot colossale à son gendre, agrémentée d’un bonus conséquent pour la naissance de leur héritier. Mais pour convoyer ce trésor de guerre (plus de 400 000 florins d’or et le le reste en lettres de créances), il faut, certes, une flotte de combat armée jusqu’aux dents, mais également des hommes de confiance. Le podestat envoie donc une délégation composée de son neveu, d’un sénateur de pacotille destiné à tromper la vigilance de son gendre et de ses conseillers et du fidèle don Benvenuto, nommé pour l’occasion grand argentier et responsable du trésor, un comble pour un personnage aussi peu recommandable que notre assassin préféré.  A charge pour lui, de remplir ensuite les objectifs officieux de sa mission, c'est-à-dire collecter un maximum de renseignements compromettants et accéder aux désirs de la nouvelle duchesse, sans pour autant porter atteinte aux intérêts de Ciudalia, autrement dit du podestat.  Autant vous dire que ce bon Don Benvenuto marche sur des charbons ardents, non seulement il déteste prendre la mer, mais en plus Clara Ducatore ne le porte pas vraiment dans son cœur. Benvenuto ne pourra pourtant pas y échapper,  il reste pieds et poings liés en tant qu’homme du podestat. 


Alors que le premier volume se voulait plus choral, enchaînant les personnages et les lieux, Le conte de l’assassin se montre plus linéaire puisqu’il est davantage centré sur la personne de Benvenuto, mais le récit reste construit de manière assez habile, multipliant les flashbacks pour rappeler les enjeux passés, parfois de manière enchâssée, ce qui démontre la maîtrise de l’auteur en matière de construction narrative. Evidemment, le style a largement évolué pour s’adapter à la gouaille populaire de Don Benvenuto, très largement inspirée de l’argot (ce qui fait sens puisque les origines de l’argot sont liées aux communautés de voleurs, bandits et autres malandrins peuplant les quartiers mal famés), mais toujours avec une recherche stylistique qui force le respect et qui, sans aucun doute, demande tout autant de travail d’écriture. L’ensemble paraîtra sans doute moins ampoulé et moins précieux, mais ne demandera pas moins d’efforts de lecture et c’est tant mieux car on apprécie tout le soin que Jean-Philippe Jaworski apporte au travail de la langue. Oui, cela s’appelle l’exigence stylistique et c’est d’autant plus précieux qu’elle a tendance à disparaître ces derniers temps. 

Que dire d’autre, si ce n’est que ceux qui n’ont jamais apprécié le personnage de don Benvenuto n’auront pas vraiment l’occasion de réviser leur avis, ce coquin est toujours aussi détestable que truculent. son fond de commerce reste le crime, le viol et le meurtre. Les cœurs sensibles sont prévenus.  Il est évident que l’un des principaux ressorts du roman provient en partie du plaisir coupable et ambivalent lié au personnage de Benvenuto.  Moralement, l’homme est tout à fait déplorable, mais on ne peut s’empêcher d’éprouver une forme de fascination, voire de jubilation, à le voir évoluer dans un monde qui ne vaut guère mieux que lui, tirant son épingle du jeu au milieu des coups fourrés et autres intrigues de palais. Cette position d’équilibriste sans cesse sur la brèche incite pourtant le lecteur à une certaine mansuétude vis-à -vis de cette bonne vieille crapule de don Benvenuto, comme s’il était difficile de définitivement condamner un homme acculé et prisonnier de sa propre condition. Dont acte ! Les âmes sensibles s’abstiendront de suivre les aventures de don Benvenuto, alors que les plus endurcis reprendront bien une dose de Jean-Philippe Jaworski. Rendez-vous pris pour le troisième et ultime volet de cette trilogie, afin d’en découvrir le dénouement sans doute passionnant. 


lundi 2 octobre 2023

Littérature américaine : Conte d'automne, de Julia Glass

 

Un peu oubliée par la critique française, Julia Glass n’en demeure pas moins une auteure populaire aux Etats-Unis et son succès en librairie témoigne de la fidélité et de la constance de son public. Les éditions Gallmeister ne s’y sont pas trompées et publient avec la régularité du métronome les ouvrages de l’écrivaine américaine, pour notre plus grande satisfaction il faut bien le reconnaître. Bien que parfaitement indépendants, ses romans forment un univers cohérent où l’on retrouve parfois quelques personnages récurrents,  mais sans qu’il s’agisse pour autant de suites ou de séries, tout juste des caméos qui confèrent une certaine unité à son œuvre. On peut également lui reconnaître un talent assez unique de conteuse, Julia Glass est capable de nous envelopper dans des histoires aux thématiques parfois assez dures, mais toujours avec bienveillance et finesse. Publié en grand format sous un titre différent (Les joies éphémères de Percy Darling), est son quatrième roman.


Ancien bibliothécaire de l’université de Harvard, désormais à la retraite, Percy Darling vit seul depuis de nombreuses années dans sa grande et vieille maison de Nouvelle Angleterre, non loin de la prestigieuse cité de Cambridge. Sa maison est l’une des plus anciennes de la ville et son cadre bucolique, ainsi que son cachet, ne manquent pas de susciter admiration et convoitise. Mais cette propriété est aussi le cadre d’une grande tragédie puisque son épouse trouva la mort dans le petit étang qui borde la propriété, alors qu’elle y pratiquait son bain quotidien. Depuis Percy vit seul et s’est construit une petite vie confortable et tranquille, loin du tumulte de la vie universitaire, soucieux surtout du bien-être de ses filles et de sa relation privilégiée avec son petit-fils de vingt ans. Mais curieusement, Percy se laisse assez facilement convaincre par sa fille aînée de louer son immense grange, dans laquelle sa femme donnait autrefois des cours de danse, à une école maternelle privée pour parents bobos fortunés. Drôle d’idée pour un homme pourtant si attaché à sa tranquillité et auquel le tumulte de la vie moderne fait horeur. Sans doute ne s’attendait-il pas à ce que l’arrivée des enfants et de leurs professeurs bouleverse si profondément son quotidien, sa vie familiale et même sentimentale. 


Conte d’automne est, à l’image d’autres romans de Julia Glass, une chronique familiale au rythme paisible, mais d’une grande profondeur et d’une rare justesse. L’auteure décortique au fil des pages, sous l’apparence de la banalité du quotidien, l’histoire familiale de Percy Darling, ses souvenirs s’entremêlent avec le présent pour dresser une vaste fresque de son univers. Mais le roman ne sombre jamais dans la mélancolie, les souvenirs ne sont là que pour mieux éclairer le présent et comprendre la dynamique familiale à l'œuvre. Mais à travers cette fresque familiale, c’est tout un pan de la société que Julia Glass examine et décrit avec brio. Le regard subtil et aiguisé qu’elle porte sur les classes sociales aisées nous en offre une image assez juste. C’est très finement observé, avec la distance critique nécessaire pour ne jamais sombrer dans la caricature.