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vendredi 15 avril 2022

Amours modernes : Conversations entre amis, de Sally Rooney

 

En temps normal, les bandeaux publicitaires sur les livres ont tendance à me faire fuir. Rien de pire qu’un “Vendu à un million d’exemplaires” pour que je tourne de l'œil. Oui, je sais, c’est une posture un peu ridicule, voire un réflexe pavlovien, mais la promotion, quelle que soit sa forme, a tendance à me hérisser le poil. Conversations entre amis cumule, qui plus est, deux tares rédhibitoires, non seulement il est affublé  d’un bandeau jaune affirmant qu’une certaine Sarah Jessica Parker l’a “lu en une journée” (on se demande en quoi ça peut bien être un argument de vente), mais en plus on apprend que le premier roman de Sally Rooney, Normal People s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. De quoi provoquer une hémorragie de la sphère oculaire chez votre modeste serviteur, voire, carrément, une crise d’apoplexie. Rassurez-vous, je plaisante puisqu’en réalité j’aime bien les bandeaux publicitaires, surtout les rouges, dont je me débarrasse assez vite en les apposant sur d’autres romans, qui à mon sens ont bien davantage besoin de publicité. Avouez que coller un bandeau “Lu en une journée” sur Lire aux cabinets de Henry Miller aurait quelque chose d’assez jouissif. Bref, on s’amuse comme on peut dans les librairies. En réalité, si je me suis intéressé au roman de Sally Rooney, c’est que j’ai justement vu l’excellente série télévisée Normal people, que je vous recommande chaudement au passage. Comme quoi, je ne suis pas aussi hermétique au marketing que je le souhaiterais, mais mon choix s’est néanmoins porté sur le second roman de Sally Rooney. L’attrait de la nouveauté sans doute.



A Dublin, Frances et Bobbi tentent de mener de front leurs études universitaires et une carrière de performeuses dans le domaine de la poésie. Autrefois amantes, les deux jeunes femmes sont liées de longue date et si leurs caractères sont diamétralement opposés, elles entretiennent une amitié solide et riche en échanges. Au cours d’une soirée, elles font la rencontre  de Mélissa et Nick, un couple d’artistes un peu plus âgés qui semble filer le parfait amour. Elle est écrivaine et photographe alors que lui est acteur pour le théâtre et la télévision. Ils sont beaux, riches, vivent dans une belle maison et leur vie sociale semble bien remplie. De quoi susciter l’admiration des deux jeunes femmes, voire une certaine envie. Mais alors qu’elles sont invitées à dîner, Frances et Bobbi perçoivent que leur couple traverse une crise profonde, dont elles ont néanmoins du mal à percevoir les causes. Sans réellement le vouloir et sans qu’elles sachent dans quelle mesure Nick et Melissa tentent de favoriser ces rapprochements, les quatre jeunes gens s’apprêtent à entamer une relation à quatre qui promet de bouleverser leurs vies et leurs sentiments. 



Roman très contemporain dans sa capacité à capter plutôt brillamment l’air du temps, Conversations entre amis n’est pourtant ni véritablement une comédie romantique ni même un campus novel cher aux anglo-saxons. S’il est bien sage et ne propose réellement aucune critique du milieu petit-bourgeois dans lequel se déroule l'essentiel du roman, il sait en revanche parfaitement retranscrire les émotions et les processus psychologiques de ses personnages. En réalité, le roman repose en grande partie sur les mêmes mécanismes narratifs que Normal People et l’histoire glisse peu à peu au second plan pour ne se concentrer que sur le ressenti. Sally Rooney s’interroge sans cesse sur la nature de nos relations. Qu’est-ce qu’être amis ? Qu’est-ce qu’aimer aujourd’hui ? Ce qui fascine c’est évidemment la relation complexe et ambigüe que Frances entretient avec son ami Bobbi, mais aussi et surtout avec Nick, dont elle tombe peu à peu amoureuse. Tous les deux sont des êtres d’une très grande fragilité et leur sensibilité à fleur de peau les amène à tomber dans les bras l’un de l’autre, mais aussi à se déchirer de manière parfois assez incompréhensible. Tout du moins en apparence, car ce qui se dessine c’est la relation passionnelle de deux êtres, qui, irrésistiblement attirés l’un par l’autre, n’essaient jamais d’imposer leur amour. En résulte une succession de rapprochements et de tensions épuisante, faute d’avoir su communiquer et se comprendre. Et c’est le paradoxe de ce roman que de rappeler cette évidence ; l’on peut s’aimer passionnément sans avoir jamais la certitude que l’autre partage les mêmes sentiments. Pour paraphraser la célèbre citation que l’on prête à Paul Valéry : “Aimer passionnément, c'est vivre et mourir d'un pari infernal qu'on fait et refait nuit et jour quant à l'état réel de l'âme d'un autre”. 

Conversations entre amis est un roman qui reflète parfaitement son époque. A la fois tendre mais également empreint d’un certain malaise, il pose un regard compatissant et interrogatif sur une jeunesse en mal de repères, qui construit ses relations à coups de textos et de messageries électroniques, mais qui tremble dès qu’il s’agit de prononcer un simple “je t’aime”. Sally Rooney l’a bien compris, le mal de notre siècle, c’est notre incapacité à communiquer sans nous cacher derrière nos artifices électroniques, cette faillite absolue des relations directes, celles qui nous permettent de mieux percevoir les autres formes de langages et d'entrevoir l’âme de l’autre. Malgré toute la pertinence et la subtilité du propos, on reste tout de même sur sa faim concernant le style de l’auteure, que personnellement j’ai trouvé assez peu travaillé, voire un peu plat.