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lundi 9 décembre 2019

Direct du droit : King county sheriff, de Mitch Cullin

King County sheriff de Mitch Cullin, c’est cent vingt pages de noirceur enrobée d’une plume à la fois poétique et épurée, un monologue halluciné écrit en vers libres qui glace le sang et rappelle les plus belles pages d’un certain Jim Thompson. 



Si vous êtes fan d’American psycho, d’Un tueur sur la route ou bien encore de The killer inside me, la novella de Mitch Cullin devrait vous ravir puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de mettre le lecteur dans la tête d’un véritable psychopathe. Doté d’une apparence un peu bonhomme, marié à une épouse amoureusement choyée (Mary) dont il élève le fils issu d’un premier mariage, le sheriff Branches a tout du parfait citoyen texan. Ce qui lui importe avant tout c’est que la paix et le calme règnent sur sa petite ville, ce qui n’est pas bien difficile au regard des missions qui lui échoient. Il y a bien quelques Mexicains qui tentent de traverser la frontière illégalement ou bien encore cette histoire de chiens empoisonnés à travers le comté, mais les responsables croupissent depuis au fond d’un puits. Affaire réglée. D’ailleurs ce puits, c’est celui dans lequel il vient d’envoyer le fils de Mary, celui-là même qui le considérait comme son père et qui petit venait poser sa tête sur ses genoux en lui réclamant un peu d’attention. Cette chère tête blonde qui brusquement s’est mise à grandir, à se raser le crâne et à porter des rangers et des treillis militaires. Mais c’est surtout cette fascination pour les croix gammées et les discours extrémistes qui l’ont convaincu de mettre un terme à cette dérive. Pendant que l’ado hurle depuis son trou, le sheriff Branches n’aspire qu’à une chose, retrouver un peu de tranquillité, celle de son foyer dans lequel Mary l’attend, c’est soirée Burritos ce soir et personne ne les prépare mieux que sa femme, un vrai cordon bleu. Il aura tout le temps d’imaginer une stratégie pour expliquer la disparition de son beau-fils, d’ailleurs il prendra les choses en main, soulèvera des montagnes, organisera une battue et mettra la ville en effervescence pour le retrouver. Il doit bien ça à sa tendre Mary. De toute façon, il a maintenant compris qui était responsable de ces meurtres de chiens et ce n’est que justice qu’il ait rejoint ces deux pauvres Mexicains au fond du puits, bientôt il faudra pourtant que ces cris cessent, il n’en peut plus de l’entendre hurler et supplier, après tout à quoi bon entretenir amoureusement son magnifique Colt s’il ne peut de temps à autres en soupeser toute l’efficacité. Bientôt le silence régnera à nouveau sur la vieille maison de son enfance et il pourra rentrer chez lui. De toute façon, à part lui personne n’y vient jamais, il n’en reste que des ruines depuis l’incendie. 


    Autant être direct, King county sheriff ne s’adresse pas à tous les lecteurs et très honnêtement j’ai rarement eu l’occasion de lire un livre aussi noir et aussi sombre. Bien évidemment, il existe des romans qui usent du même principe et ce n’est pas la première fois qu’un écrivain nous plonge dans la tête d’un psychopathe, mais c’est sans doute la première fois qu’un auteur nous laisse aussi démunis. Le texte nous immerge directement dans l’horreur sans nous laisser le moindre répit et puis nous abandonne en rase campagne, sans explication, sans avoir pris soin de prendre le temps de souffler, d’avoir pris la mesure des choses. C’est un uppercut puissant, direct en pleine poire et on en ressort un brin hébété, K.O. par la violence du propos. L’intensité de l’impact est liée à la fois à la narration et au format très bref du roman (à peine 120 pages), mais également au style absolument brillant de Mitch Cullin, admirablement traduit soit-dit en passant. On se laisse rapidement emporter par le rythme de la prose, sa métrique implacable, voire même son élégance en dépit des mots crus et de la violence sous-jacente, ponctuée à l’occasion de quelques traits de poésie naïve. C’est sans doute dans cette parfaite dichotomie entre la violence des faits et la légèreté du propos que réside la force de ce roman brillant et glaçant.