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mercredi 7 juin 2023

Retour au Vieux Royaume : Le chevalier aux épines, de Jean-Philippe Jaworski

 

Attelé depuis près de dix ans à son cycle Rois du monde, qui se déroule dans la Gaule celtique, Jean-Philippe Jaworski revient à ses premiers amours et à l’univers du Vieux Royaume, grâce au Tournoi des preux, premier tome d’une nouvelle trilogie intitulée Le chevalier aux épines. Au programme : amours courtois, tournois de chevalerie et nécromancie. Le tout enrobé d’un soupçon d’intrigues de palais et de guerre de succession. J’en vois déjà qui se précipitent au premier rang et ils ont raison. 


Pour ceux qui ne seraient pas franchement familiers de l'œuvre de Jean-Philippe Jaworski, Le chevalier aux épines se déroule dans le même univers que Janua Vera et Gagner la guerre. L’un des personnages principaux du roman, le chevalier Aedan de Vaumacel est d’ailleurs l’un des protagonistes d’une nouvelle de l’auteur (“Le service des dames”,  Janua Vera. 2007), dont la lecture n’est pas forcément indispensable à la compréhension du contexte, mais néanmoins recommandable. L’auteur s’autorise au fil du récit, d’autres caméos que les lecteurs les plus familiers de son oeuvre ne manqueront pas de relever. Cette nouvelle trilogie est donc l’occasion d’explorer une autre facette du Vieux Royaume, mais cette fois loin de Ciudalia et de son ambiance Renaissance italienne pour se diriger vers les contrées d’inspiration plus médiévale du grand duché de Bromael, en proie à d’importantes querelles dynastiques. L’un des protagonistes principaux, le chevalier de Vaumacel, alors en délicatesse avec le pouvoir, y fait son retour par la petite porte. Autrefois champion de la duchesse Audéarde, Aedan ne s’est jamais présenté lors du procès les accusant tous les deux d’adultère, précipitant la disgrâce de la duchesse, répudiée par le duc Ganelon et enfermée dans un couvent. Désormais sur la piste d’enfants disparus dans les villages miséreux situés à la limite du comté de Kimmarc, Aedan est alors attaqué par un autre chevalier, le jeune et désargenté Yvorin de Quéant, qui n’a pas grand chose à perdre étant donné son statut et tout à gagner à faire du chevalier de Vaumacel son prisonnier. Mais l’affaire ne se déroule pas comme prévu et Yvorin est défait par Vaumacel. Curieusement, les deux preux finissent par trouver un terrain d’entente. Le chevalier aux épines accepte de ne pas faire d’Yvorin son prisonnier, à lui restituer ses armes et son destrier, s’il s’engage à défendre l’honneur de dame Audéarde à l’occasion d’un tournoi où la fine fleur des chevaliers de Bromaël et de Kimmarc s’affronteront ; pendant ce temps, Aedan continuera à enquêter sur la disparition des enfants, comme il en avait fait le serment, et rejoindra le tournoi de Lyndinas plus tard pour combattre lui aussi au nom de la duchesse déchue et restituer ainsi son honneur. 


Au fil de son récit, Jean-Philippe Jaworski s’amuse à alterner les points de vue et les personnages pour donner davantage d’ampleur à son intrigue et en exacerber les enjeux. La technique demande un peu de patience au lecteur pour entrer de plain pied dans ce nouveau roman et en saisir toute les dimensions politiques, les pesanteurs séculaires héritées de la tradition courtoise et les vieilles rancœurs familiales. Très progressivement, tous les éléments se mettent en place, laissant se dessiner en creux une guerre civile fratricide et immensément tragique. Bien que le rythme de ce roman de pure exposition soit assez lent, on finit par se laisser porter par un récit qui se complexifie au fil des pages et devient de plus en plus prenant. Ce petit tour de force n’est évidemment pas dû au hasard, on le doit au talent de styliste de Jean-Philippe Jaworski, dont les textes sont toujours extrêmement travaillés sur ce plan. Le chevalier aux épines rend évidemment hommage à la littérature médiévale, dans un style extrêmement riche sur le plan lexical (la précision du vocabulaire est remarquable), empreint d’un certain formalisme, mais structurellement assez moderne. Le mélange fonctionne parfaitement bien, sans jamais dévoiler la moindre lourdeur grâce à un savoir-faire qui n’a rien à envier aux plus grands stylistes de la littérature blanche. En ce qui me concerne, je dois confesser avoir éprouver une grande délectation à la lecture de ce premier tome, qui renferme de nombreuses promesses en gestation. Il y a toujours chez J.P. Jaworski une étonnante capacité à lier la forme et le fond avec une évidence qui frôle le génie. Bref, vous pouvez y aller les yeux fermés, d’autant plus que le prochain tome est annoncé pour le courant du mois de juin, ce qui ne gâche rien à l’affaire.