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mercredi 30 janvier 2019

SF de l'empire céleste : Le problème à trois corps, de Liu Cixin


En 1967, pendant la révolution culturelle, la jeune Ye Wenjie assiste au meurtre par les gardes rouges de son père, un astrophysicien de renom, qui a refusé de renoncer à sa science pendant une séance d’autocritique. Elle se renferme sur elle-même et part, comme tous les « jeunes instruits », à la campagne pour aider aux travaux des champs. Au moment où elle pensait trouver un peu de chaleur humaine, elle est trahie et accusée d’un crime contre-révolutionnaire qui aurait dû lui valoir une lente mort dans un camp de rééducation. Mais ses connaissances en astrophysique en font un précieux atout dans un projet ultra-secret, avec lequel le gouvernement chinois cherche à communiquer avec d’éventuels extraterrestres. Elle est donc sauvée et emmenée vers une base qui renferme une immense antenne tournée vers l’espace.
Enfermée dans la base, mais pouvant mettre son savoir et son intelligence à profit, Ye Wenjie, par un concours de circonstances extraordinaire, reçoit le premier message d’une civilisation extraterrestre. Et c’est elle et elle seule qui prend la décision de la réponse, mêlant ainsi son histoire intime au cosmos.

Près de 40 ans plus tard, un physicien spécialiste des nanomatériaux, Wang Miao, est interrogé par des policiers et des militaires sur une société de scientifiques aux ramifications mystérieuses, et apprend le suicide de plusieurs physiciens de niveau international qui en faisaient partie. On lui demande d’infiltrer cette société, tandis qu’il doit faire face à des phénomènes étranges et incompréhensibles à son cerveau scientifique. Et peu à peu il comprend avec fascination et angoisse la nature de ces événements en entrant dans un jeu vidéo très spécial…

Mené tambour battant, avec juste ce qu’il faut de science pour que l’imagination décolle en restant ancré dans un réel qui bascule lentement, le roman nous entraîne dans un engrenage sur lequel il semble que personne n’a prise. Le monde tel que nous le connaissons est déjà en danger, les autorités mondiales semblent en avoir conscience, tout en restant entièrement démunies.
Chaque personnage de cette histoire a une personnalité marquée, même les plus secondaires. Chacun a son rôle dans cette tragédie qui pourrait se terminer sombrement, sans espoir. Mais chaque acteur de cette pièce joue son rôle et offre une histoire complexe, marqué par les affrontements idéologiques, en particulier dans le monde scientifique, dont on ne nous montre généralement pas les clivages. Le problème, qui n’est pas qu’à trois corps (encore que ce dernier suffirait à remplir une vie de physicien), est connu des autorités et du monde scientifique. Les attitudes face à ce danger divergent totalement, et l’avenir de l’humanité est en jeu, sans qu’aucune solution ne se profile.
Pourtant, la désespérance à l’œuvre dans de nombreuses pages est balayée d’une seule et fulgurante phrase, qui n’est bien entendu pas la réflexion d’un scientifique. Et s’il faut attendre le second tome pour (éventuellement, je ne l’ai pas encore lu) savoir si une solution sera trouvée, au moins les héros de cette histoire auront-ils repris espoir en leurs capacités à affronter l’avenir.

Métaphore des bouleversements climatiques qui nous attendent ? Coups de griffes à un monde scientifique parfois un peu trop sûr de lui et traversé par des courants rien moins que rationnels ?  On peut mettre derrière la prose de Liu Cixin bien des interprétations, mais au final il nous reste un roman bien rythmé qui nous emmène très loin dans l'imaginaire et qu'on a du mal à fermer avant la dernière page pour reprendre le cours d'une vie banale.

En fin de compte, que deviendrons-nous ? Nous avons 450 ans pour résoudre ce problème… Ou bien acheter les deux tomes suivants !

jeudi 24 janvier 2019

SF de façade : Invasion, de Luke Rhinehart

L’ennui lorsqu’on a publié dès le début de sa carrière un roman culte, c’est que les lecteurs ont tendance à se focaliser sur cette oeuvre, oubliant sans doute que chaque auteur a le droit d’avoir ensuite une carrière riche et variée. C’est un peu ce qui est arrivé à Luke Rhinehart, George Cockcroft de son vrai nom, après avoir publié en 1971 L’homme dé, brûlot anticonformiste et pierre angulaire de la contre-culture américaine. Et votre serviteur ne sort pas tellement plus glorieux de cet examen de contrôle puisque : 1- il pensait que George Cockcroft avait passé l’arme à gauche. 2- Il n’avait pas la moindre idée de ce que le bonhomme avait publié à la suite de L’homme dé. C’est donc avec une grande surprise et une certaine joie, qu’il découvrit récemment la publication de Invasion, dernier incident livresque commis par l’écrivain américain, âgé désormais de 86 ans mais toujours aussi alerte sur le plan intellectuel.

Autant être honnête, Invasion relève avant tout de la farce, mais sous son aspect initialement potache le lecteur découvre avec délice une satire sociale de l’Amérique assez incisive, quoiqu’un brin redondante. Imaginez la Terre envahie par des extraterrestres totalement déjantés, des boules de poils à l’intelligence supérieure, mais qui ne pensent qu’à s’amuser et à faire des blagues aux dépens des humains. C’est l’une de ces étranges créatures, que Billy Morton, pêcheur établi au nord de Long Island, découvre un jour sur son bateau. La bestiole étant inoffensive et amusante, Billy décide de la ramener à la maison pour amuser ses deux garçon, qui s’empressent de l’adopter et de la surnommer Louie. Mais la famille Morton réalise assez rapidement que Louie n’est pas un animal comme les autres, ses capacités intellectuelles semblent nettement plus élevées et il prend un malin plaisir à changer de forme pour amuser la galerie. Alors lorsqu’il se met à parler et à utiliser l’ordinateur familial pour hacker le site web de la CIA, les Morton commencent à réaliser que Louie n’est pas exactement un animal de compagnie, d’autant plus que les Protéens commencent à se multiplier partout à travers la planète et décident de mettre en oeuvre leur grand projet : s’amuser à tout prix et mettre le bazar partout où ils passent ; et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne font pas les choses à moitié. Bien décidés à montrer aux humains toute la bêtise de leur organisation sociale et économique, les Protéens prennent un malin plaisir à pirater les banques afin de redistribuer plus équitablement les richesses, à contrecarrer les plans de l’armée américaine, notamment au Proche Orient, à piller les banques de données des agences de sécurité (notamment la NSA, le FBI et la CIA) et de manière générale à ridiculiser les autorités. Autant dire que le gouvernement américain commence sérieusement à prendre en grippe les Protéens et à classer l’espèce dans la liste des terroristes à éradiquer, un jeu que Louie et ses amis trouvent très amusant, mais que les Morton commencent à trouver pénible et dangereux.

Drôle, irrévérencieux, foncièrement satirique, le début du roman de Luke Rhinehart est mené à un rythme d’enfer sous la plume acérée d’un écrivain qui n’a rien perdu de son mordant.  Pointant du doigt les incohérences et les impasses d’une Amérique en panne de justice sociale, de cohésion et tout simplement d’humanisme, Invasion dénonce la mainmise du complexe militaro-industriel, l’obsession sécuritaire et les dérives d’une société sous surveillance sclérosée par ses inégalités. Mais la forme et le fond atteignent rapidement les limites de l’exercice, Rhinehart tourne un peu en rond et surtout son roman souffre d’être bien trop long. La farce amuse, puis finit par lasser quelque peu à force de redondances. On aurait aimé que le roman soit allégé de 200 pages, il aurait gagné en force et en impact sans pour autant lasser le lecteur. La critique elle-même manque de perspective et de hauteur, Rhinehart dénonce, mais s’en tient à des généralités antisystème qui n’apportent guère d’eau au moulin. Les Protéens, aussi drôles soient-ils ne proposent aucun modèle cohérent, et le jeu, qui reste fondamental dans leurs rapports aux autres, ne constitue hélas pas un socle suffisant pour construire une société juste, tolérante et équitable. Certes, on sourit, on rit même parfois, et dans l’ensemble on passe un agréable moment de lecture, mais en refermant la dernière page, on ne peut s’empêcher de garder à l’esprit que tout ce cirque est tout de même un poil vain. Alors que L’homme dé était une oeuvre profondément critique et dérangeante, qui pouvait mettre le lecteur dans une position très inconfortable, Invasion se contente d’être un roman mineur dont on oubliera probablement rapidement le contenu.

mardi 8 janvier 2019

Italian connection : Le gang des rêves, de Luca Di Fulvio

Homme de théâtre et écrivain à la carrière déjà prolifique en Italie, Luca Di Fulvio est devenu en peu de temps un véritable phénomène éditorial avec la publication de son roman Le gang des rêves (100 000 exemplaires en Italie, plus d’un million en Allemagne). L’auteur italien avait déjà été traduit et publié en France notamment dans la Série Noire, mais sans beaucoup de succès. Il aura fallu attendre l’arrivée d’un nouvel éditeur parisien (Slatkine et Cie) pour que la machine se mette en marche. L’éditeur cherche alors à se faire un nom et à se constituer un catalogue raisonnable mais solide, visant essentiellement un public de grands lecteurs sensibles à la qualité des romans proposés. Le gang des rêves apparaît comme du pain béni pour Slatkine puisqu’en dépit d’un énorme succès à l’étranger, les éditeurs français semblent s’être désintéressés de l’auteur italien (la traduction d’un roman de plus de 700 pages reste un investissement conséquent et explique sans doute cette frilosité pour un auteur resté jusqu’à présent confidentiel). Coup de poker gagnant pour Slatkine (et pour Pocket qui a signé les droits pour l’édition de poche), qui fort du soutien massif des libraires et des excellents retours critiques vend plus de 20 000 exemplaires du roman de Luca Di Fulvio (100 000 pour l’édition de poche). Et ce n’est pas fini puisque les deux romans suivants de l’auteurs italien semblent suivre le même chemin.

    Oui oui, bon d’accord me direz-vous, toutes ces considérations économiques et éditoriales sont certainement passionnantes, mais au-delà du phénomène commercial Le gang des rêves est-il un bon livre ?

    Italie. Début du XXème siècle. Violée par un notable du village, la jeune et belle Cetta, quinze ans à peine,  quitte l’Italie pour rejoindre l’Amérique. Avec elle, elle amène son tout jeune fils, Natale, qui une fois arrivé à New-York sera rebaptisé Christmas (traduction littérale de son prénom italien).  Mais le rêve américain de la jeune-femme se brise rapidement sur les écueils de la vie des pauvres gens. Sans ressources, seule et isolée, Cetta n’a pas d’autre choix que de vendre son corps dans l’un des nombreux bordels de la ville. Son univers se résume à peu de choses : un quartier, le Lower East Side, un petit appartement sordide qu’elle partage avec un couple de vieux Italiens, son souteneur (secrètement amoureux d’elle) et son fils, petit trublion à la gueule d’ange et à l’énergie débordante. Son seul credo : l’intégration à tout prix.  Devenir Américain, Cetta n’a que ces mots à la bouche et ne cesse de les marteler à Christmas tout au long de son enfance. Mais dans cette partie populaire de la ville où les immigrés italiens et irlandais se disputent le territoire et le travail, Christmas a surtout de bonnes chances de finir voyou, jusqu’au jour où son destin croise celui de la jeune Ruth. Elle, vient des quartiers chics de Manhattan. Issue d’une riche famille juive new-yorkaise, Ruth s’ennuie de cette vie facile et fade que confère l’argent. Ses parents s’intéressent peu à sa personne et il n’y a guère que son grand-père, un personnage à la force de caractère peu commune, avec qui elle puisse avoir une relation riche et digne d’intérêt. Les destin sera pourtant impitoyable envers Ruth. Abusée, violée et même mutilée par un employé de ses parents peu scrupuleux (un psychopathe qui s’ignorait jusqu’à présent), Ruth est laissée pour morte. C’est Christmas et l’un de ses amis qui découvriront son corps meurtri sur le bord de la route et entre eux débutera une relation puissante, capable de renverser les barrières imposées par la sociétés et les différences de classe.


Prenant, plaisant, passionnant à l’occasion, Le gang des rêves est assurément un bon livre, avec des qualités de narration évidentes, un sens du rythme maîtrisé et une certaine capacité à émouvoir le lecteur. Oui mais voilà, le roman souffre néanmoins de menus défauts qui ne l’empêchent pas d’être une lecture à conseiller, mais certainement pas un des romans majeurs de ces dix dernières années. D’abord parce qu’il n’évite pas certaines longueurs, ensuite parce que l’auteur sombre parfois dans la facilité tant sur le plan de l’écriture que dans la caractérisation des personnages. Énonçons-le clairement, cette tendance qui consiste à rendre le monde de la pègre éminemment romanesque aurait pu fonctionner à plein régime si l’auteur avait quelque peu modéré sa tendance à l’emphase et son utilisation immodérée des clichés. Je n’ai rien contre les stéréotypes, ils ont le mérite de faire rentrer facilement le lecteur dans un univers, mais chacun sait que toute forme d’abus risque de contrecarrer l’intention initiale. A trop exagérer, on finit par perdre l’adhésion du lecteur et à trop vouloir rendre les truands new-yorkais sympathiques, Luca Di Fulvio les réduit à des caricatures manichéennes et sans contraste. Malgré tout, le roman de l’écrivain italien fonctionne bien, grâce à ses personnages attachants et pleins de vie, mais aussi et surtout grâce à leur capacité à susciter l’émotion. Il y a des romans durs et terriblement déprimants, mais en dépit des premiers chapitres très sombres du roman Le gang des rêves réussit l’exploit d’être résolument optimiste et c’est probablement cette énergie positive qui finit par l’emporter au final.