Rechercher dans ce blog
jeudi 14 janvier 2010
Retour au bayou : Prisonniers du ciel, de James Lee Burke
Second roman de la série Dave Robicheaux, "Prisonniers du ciel" nous entraîne une nouvelle fois en Louisiane, mais cette fois exit La Nouvelle Orléans et bienvenue au bayou, le vrai, l'authentique.
A la fin de "La pluie de néon", Dave Robicheaux avait démissionné de ses fonctions de lieutenant de police. Il est désormais installé dans sa ville natale, New Iberia, à proximité du bayou Tèche, où il tient une petite boutique de location de bateaux et de matériel de pêche. Il coule des jours heureux en compagnie d'Annie, qu'il a désormais épousée. Mais la petite vie pépère de notre ex-flic ne dure pas bien longtemps. Alors qu'il pêchait en compagnie de sa femme dans le golfe du Mexique, Dave assiste au naufrage d'un petit bimoteur qui embarquait cinq personnes. Seule survit une petite fille d'origine salvadorienne, âgée seulement de cinq ans et ne parlant pas un mot d'anglais. Le couple accueille la petite Alafair sous son toit, cachant sa présence sur le sol américain aux services de l'immigration. Mais les choses ne sont pas aussi simples. En intervenant, Dave Robicheaux a surtout mis les pieds où il ne fallait pas ; plus précisément dans une affaire de trafic de drogue. De quoi énerver quelques caïds locaux et d'anciens tontons macoutes à la lame agile et à la gâchette facile. Rapidement, les réflexes de l'ancien flic remontent à la surface, Dave se sent pisté, suivi, observé et en plus les services de l'immigration et de la lutte anti-drogue lui collent aux basques. Son rapport mentionnait en effet la présence d'un passager mystérieusement disparu à l'arrivée des gardes-côte et de la police. L'adversaire se révèle une nouvelle fois coriace et Dave Robicheaux y perdra plusieurs dents et surtout quelques êtres chers.
Plus sombre, plus tragique, "Prisonniers du ciel" est, sur la forme, indiscutablement plus abouti que les précédents romans de James Lee Burke. Narration mieux maîtrisée, intrigue plus resserrée, envolées lyriques plus discrètes, les défauts de "La pluie de néon" sont progressivement gommés, signe d'une plus grande maturité littéraire chez l'auteur. Burke s'enfonce également plus profondément dans la Louisiane et en pays cajun, on y gagne indiscutablement en singularité et en authenticité, pour s'éloigner progressivement du polar classique à l'américaine. Le roman est cependant d'une rare violence et la poudre parle aussi souvent que les poings, les amateurs de Derrick et Colombo passeront donc certainement leur chemin. Ce second volume est également l'occasion de creuser davantage le personnage de Dave Robicheaux, on connaissait son penchant pour la violence et la bouteille, mais on pensait que son mariage l'aurait remis dans le droit chemin. Hélas, l'alcool est un vieux démon et l'on ne met pas un terme à l'alcoolisme du jour au lendemain. Robicheaux reste un personnage attachant, mais ambigu par sa complexité psychologique. S'il est indiscutablement du côté de la loi, ses méthodes et ses principes s'accommodent assez facilement des recettes de voyou et la fin justifie souvent les moyens. Sa fascination pour la violence a un côté morbide, Robicheaux a administrativement mis un terme à sa carrière dans les services de police de la Nouvelle Orléans, mais il reste définitivement un flic et à la moindre alerte ses réflexes de vieux flic refont surface. Cette attitude, parfois infantile par son manque de recul, est l'occasion de tensions entre Robicheaux et sa femme, qui ajoutent une indiscutable épaisseur au roman, grâce à la maîtrise de l'implicite dont fait preuve assez régulièrement James Lee Burke. Les silences, les non-dits, les petites altercations contenues alternent avec les moments de joie et de plaisir ; c'est ce savant mélange de tension et d'apaisement qui rythme le roman et lui donne toute sa substance.
Une nouvelle fois, James Lee Burke impressionne par la qualité de son ouvrage et nous offre un polar bien noir à l'ambiance lourde et pesante. A partir d'ingrédients on ne peut plus communs (des flics, des voyous, des flingues, de la drogue et des filles faciles), Burke construit un roman original et impeccablement maîtrisé, consolidant son personnage principal au fil des épisodes. L'auteur imprime donc sa patte, à la manière d'un Tony Hillerman, sur un genre qui ne cesse de nous surprendre par son inventivité.
vendredi 8 janvier 2010
Roadbook halluciné : Florida Roadkill, de Tim Dorsey
Digne héritier des grands écrivains floridiens, souvent comparé à Dave Barry et Carl Hiaasen en raison de certaines similitudes dans leurs techniques d'écriture, Tim Dorsey est pourtant un auteur d'une grande singularité. Par certains côtés, ses romans rappellent ceux de Donald Westlake (personnages loufoques, humour omniprésent), mais la farce est chez Tim Dorsey poussée à son paroxysme. On évolue indiscutablement en plein registre burlesque, exacerbé par l'emploi systématique du caméo, un procédé littéraire qui consiste à multiplier les brèves apparitions d'une foultitude de personnages secondaires plus ou moins liés entre eux. Le caméo relève généralement du clin d'oeil plus ou moins appuyé, mais chez Tim Dorsey, c'est un mode d'écriture à part entière qui fait toute l'essence de son style.
S'il n'y a pas à proprement parler de héros dans les romans de Tim Dorsey, Serge A. Storm, sociopathe caractérisé d'obédience floridienne, est ce qui s'en rapproche le plus. Accompagné de son pote déjanté, Coleman, toxicomane patenté et ivrogne notoire, ils forment un couple de joyeux fêlés, auquel vient se greffer la délicieuse mais vénéneuse Sharon, une stripteaseuse cocaïnomane de classe internationale. L'intrigue des romans de Tim Dorsey est souvent assez lâche, pour ne pas dire ténue, même si dans le cas présent nos trois lascars ont entrepris de monter une arnaque à l'assurance tout ce qu'il y a de plus classique, afin de toucher un petit pactole de 5 millions de dollars. Seul souci, la victime n'est pas consentante. Ce dentiste quinquagénaire voit d'un mauvais oeil le plan de Serge, qui consiste à lui couper plusieurs doigts de la main, principal outil de travail qu'il avait pris soin d'assurer pour une somme assez coquète (précisément 5 millions de dollars). Il voit d'un plus mauvais oeil encore l'idée lumineuse de Serge, qui consiste à partager le magot en quatre parts égales. Notre dentiste lâche donc quelques dizaines de milliers de dollars aux trois compères et prend la tangente pour se dorer la pilule dans les Keys. Mauvais plan ! Serge, Coleman et Sharon se lancent à sa poursuite pour récupérer le pognon et en profitent pour faire du tourisme, délester quelques portefeuilles et mettre sur les dents la moitié des effectifs de police de l'état. A cette trame principale, viennent se greffer des dizaines de petites saynètes savoureuses, avec leur lot de personnages plus ou moins récurrents.
Pour un premier roman, force est de constater que Tim Dorsey maîtrise parfaitement son sujet et sa technique d'écriture. Certes, il faut impérativement adhérer à ce type de narration, à ce faux rythme qui casse la linéarité du récit, sous peine d'être rapidement perdu. Certains esprits chagrins relèveront que l'auteur ne sait pas trop où il va, que son roman n'a ni queue ni tête ou bien encore que l'intrigue est mal ficelée. Grave erreur que de penser cela. "Florida roadkill" est un roadbook certes déjanté, mais extrêmement bien maîtrisé sur le plan formel. Chaque personnage y a sa place et sa fonction. Rien n'est laissé au hasard et chaque saynète trouve sa résolution au fil de la progression faussement chaotique de Tim Dorsey. S'il fallait trouver un défaut à ce roman, on pourrait souligner que l'auteur dresse un panorama de la société américaine bien moins virulent que dans ses romans ultérieurs. L'acidité de ses propos est nettement moins marquée, laissant la place à un humour plus bon enfant et moins acide. Alors que l'humour burlesque se révélait être une arme d'une confondante efficacité dans un roman comme "Triggerfish Twist", l'auteur évolue ici dans un registre plus basique, certes efficace mais nettement moins percutant.
Reste tout de même un roman au rythme infernal, totalement barré et parfaitement hallucinant, dont on à peine à trouver l'équivalent chez la concurrence. A condition d'être amateur d'humour noir et loufoque, saupoudré d'une bonne dose de second degré, vous allez certainement adorer. Alors foncez, la suite est encore meilleure.
jeudi 3 décembre 2009
Blues on the bayou : La pluie de néon, de James Lee Burke
Dave Robicheaux, Cajun et fier de l'être, exerce la difficile profession de lieutenant de police à La Nouvelle Orléans. Robicheaux se plait à se considérer comme un bon flic et c'est aussi l'avis de sa hiérarchie ; intègre, méthodique, plutôt fin dans ses analyses, il a pourtant la fâcheuse habitude de mettre les pieds dans le plat, ce qui en Louisiane est un défaut majeur. Robicheaux a un autre défaut, il est obstiné, et lorsqu'on lui fait comprendre qu'il fourre son nez dans des affaires qui ne le regardent pas, le bonhomme ne se laisse pas faire. Jusqu'au jour où il découvre le cadavre d'une jeune prostituée dans l'un des nombreux bayous de la région. Le sherif du comté conclut à une simple noyade, mais Robicheaux est convaincu qu'il s'agit d'un meurtre et décide de mener sa propre enquête. Il faut croire que l'affaire est plus sérieuse qu'il n'y paraît car il apprend d'un détenu condamné à la chaise électrique, que sa tête a été mise à prix par des trafiquants colombiens. Rapidement, un faisceau d'indices le dirige sur la piste de Segura, un truand local dont la cote de popularité auprès des services de police ne cesse d'augmenter. Mais l'affaire sent décidément le soufre, alors qu'il s'apprêtait à sortir avec sa petite amie, Robicheaux est séquestré et torturé par trois gros bras commandités par de gros bonnets du crime ayant pignon sur rue ; un ancien général de l'armée américaine et même la CIA semblent plus ou moins liés à un trafic d'armes avec les Contras. L'affaire dérape, Robicheaux et son co-équipier logent accidentellement une balle dans la tête de Segura et les deux flics doivent désormais faire face à la hargne de leurs collègues des affaires internes, qui rêvent de les clouer au pilori. Et comme les mauvaises nouvelles vont toujours par deux, Robicheaux est cette fois victime d'une tentative de meurtre maquillée en accident de la route, l'un de ses contacts, un agent fédéral du contre-espionnage, perd la vie dans l'accident. Accusé d'être un mauvais flic porté sur la bouteille, assailli par les collègues des affaires internes, pourchassé par les trafiquants d'armes, Robicheaux est suspendu et frôle la crise de nerfs.
Premier roman de la série Dave Robicheaux, ce flic de la Nouvelle Orléans à la personnalité complexe et aux méthodes pas toujours orthodoxes, La pluie de néon est l'occasion d'être confronté à la méthode James Lee Burke ; une littérature sans concession, brute de décoffrage et profondément ancrée dans le réel. Evidemment, cela tient à la fois au personne même de Robicheaux, mais également à la géographie (humaine et physique), au terroir pourrait-on dire, dans lequel se déroulent les romans de James Lee Burke. La Louisiane est ici un personnage à part entière, on découvre ses étonnantes spécificités et l'auteur prend souvent un malin plaisir à en tordre les clichés. Cet état américain, l'un des plus pauvres des Etats-Unis, vit sans cesse sur sa gloire passée et le lecteur est plongé dans une atmosphère pesante, moite, voire déliquescente. Bien avant Katrina, La Nouvelle Orléans était déjà en tête du hit parade des villes les plus violentes des Etats-Unis, le chômage, les inégalités sociales et le désoeuvrement constituant le terreau privilégié de cette criminalité galopante. Le temps ou New Orleans, perle du Sud, brillait par la richesse de sa vie mondaine et culturelle est bel et bien révolu. On comprend alors aisément pourquoi James Lee Burke, auteur profondément attaché à la Louisiane, à son histoire, à ses traditions et à son avenir, a choisi pour héros un flic ; qui en effet aurait pu donner une image plus fidèle de la réalité d'un état socialement, politiquement et économique moribond bien avant que l'ouragan ne dévaste "Big easy".
A la fois cynique, violent et désabusé, La pluie de néon, à l'instar de nombreux polars hard-boiled, vaut moins pour la qualité de son intrigue que pour son portrait de la Louisiane et de la société américaine à l'orée des années 90. Cette critique acide est contre-balancée par des descriptions plutôt lyriques des paysages de la Louisiane, exercice dans lequel on sent l'auteur probablement moins à l'aise (voire maladroit), mais qui reflètent sont propre attachement à cette contrée du Sud. En bon connaisseur du milieu qu'il décrit, James Lee Burke use modérément du cliché, ce qui participe indiscutablement à la réussite et à l'authenticité de ses romans. La pluie de néon manquera certainement de rythme pour les lecteurs accros au suspense, mais ce faux rythme participe indiscutablement à l'ambiance générale du roman, à la fois langoureuse et poisseuse, un peu comme la Louisiane (Hein ? oui, j'aime bien finir sur un cliché).
SF uchronique : Le printemps russe, de Norman Spinrad
La science-fiction a ceci d'amusant qu'au fil des années, voire des décennies, certains romans que l'on pouvait classer initialement sous l'étiquette "anticipation" sont devenus tellement caduques qu'il est nécessaire de les lire désormais comme des uchronies. C'est le cas du Printemps russe de Norman Spinrad, une vaste fresque à la fois politique, sociale et familiale sur fond de conquête spatiale. L'épaisseur du roman, qui s'étale tout de même sur près de 800 pages, laissait augurer du meilleur, tout du moins si l'on s'en tient à ce qu'annonce la quatrième de couverture, et Norman Spinrad n'est pas non plus le premier des débutants ; même si dès le départ, l'auteur se prête à un exercice hautement périlleux, qui ne pouvait déboucher que sur une magnifique gamelle. Mais il faut bien reconnaître que publier en 1991 un roman sur l'avenir du bloc soviétique avait quelque chose d'à la fois hautement casse-gueule et extrêmement culotté. A condition de ne pas avoir de connaissances trop approfondies sur la géopolitique de l'URSS, l'on pouvait encore se laisser prendre au jeu à l'orée des années 90. Hélas, force est de constater que 18 ans après sa publication originale, Le printemps russe ressemble à une oeuvre parfaitement bancale, tant sur le plan littéraire que sur celui de l'analyse politique.
La toile de fond de cet imposant roman est finalement assez simple. Alors que les Etats-Unis s'enfoncent dans une lente récession économique, sous le poids de sa dette publique et de ses dépenses militaires abyssales (notamment en raison du programme militaire spatial, sorte de programme "Guerre des étoiles" rebaptisé désormais "Etoile d'Amérique"), que le pays s'enferme dans un réflexe protectionniste et autoritaire avec la bénédiction d'une bonne partie de la population, que "l'Amérique" jadis tant aimée et admirée est désormais honnie par une bonne partie de la planète en raison de ses agissements scandaleux en Amérique latine, l'URSS a quasiment achevé sa lente métamorphose amorcée sous l'ère de la pérestroïka habilement orchestrée par Gorbatchev. A peu de choses près, l'URSS a libéralisé son économie tout en préservant la mainmise du PCUS sur l'appareil d'état et sans que l'oppressante bureaucratie soviétique n'en ait souffert (ce qui paraît déjà plus étonnant). Le bloc soviétique, tout en maintenant son unité géographique et politique, s'est ouvert vers l'Occident ; tout du moins vers l'Europe, dont l'union est désormais achevée et qui représente la première puissance économique mondiale et la seule véritable fédération d'états démocratiques. Coincée entre l'impérialisme américain et le pseudo socialisme semi-autoritaire du bloc soviétique, l'Union européenne ne joue qu'un rôle de tampon économique et politique. Chose amusante, ce ne sont pas les Etats-Unis qui ont gagné la course aux étoiles, mais l'URSS, qui est bien la seule à croire en un avenir spatial pour l'humanité ; les Américains sont concentrés sur leur programme militaire, alors que l'ESA souffre d'un cruel manque d'ambition exacerbé par les éternelles hésitations politiques des européens. Mais les choses changent et les européens sont désormais prêts à inscrire leurs pas dans les traces des russes.
C'est la raison pour laquelle l'ESA débauche à grands frais un jeune ingénieur américain, Jerry Reed, qui végétait gentiment chez Rockwell en attendant que la Nasa/Pentagone se décide à envoyer à nouveau des hommes dans l'espace plutôt que des satellites militaires. Mais les choses ne sont pas si simples, Jerry Reed est détenteur d'informations et de technologies que les Américains ne veulent absolument pas voir tomber dans l'escarcelle des européens, et, à fortiori, encore moins dans celle des soviétiques. Contraint par les autorités américaines à faire un choix entre son rêve et son pays, Jerry Reed décide de faire défection et de rejoindre les rangs de l'ESA ; il est alors déchu de sa nationalité américaine et un retour aux Etats-Unis lui est désormais interdit. Mais son choix n'a pas seulement été dicté par sa conscience et son désir d'étoiles, les charmes de la jeune Sonia Gagarine ne sont pas totalement étrangers à cette décision de vivre désormais en Europe, aux côté de la femme qu'il aime. Autant dire que les soviétiques, désormais alliés des européens concernant le développement du programme spatial de l'ESA, voient d'un très bon oeil cette relation entre les deux jeunes tourtereaux.
On connaissait le talent de Norman Spinrad en matière de narration et son style percutant, voire coup de poing, fait comme d'habitude des merveilles lorsqu'il s'agit d'enquiller les 800 pages du roman, on connaissait également sa propension à truffer chaque chapitre de scènes de sexe assez crues, mais on connaissait moins le goût de l'auteur pour les romans feuilletons à la Santa Barbara (ou Dallas, c'est comme vous voulez). Et là, force est de constater que Spinrad se laisse quelque peu aller à la facilité. Si j'étais méchant, je dirais qu'en dehors du format et du langage un peu cru, Le printemps russe aurait parfaitement sa place dans la collection Harlequin. Le lecteur subit au fil de la narration, une succession de clichés et de scènes assez surréalistes chez un auteur dont on appréciait plutôt la férocité, l'ironie et la virulence du propos. Les Français s'appellent tous Marcel, Emile ou Nicole, Paris n'est que lumières et bistrots pittoresques à l'ombre des platanes (et si possible le long des quais de la Seine), les Russes sont tous des bureaucrates alcooliques dont l'esprit est totalement embrumé par la propagande du parti ; incapables du moindre sentiment, leur seul objectif est d'oeuvrer pour la gloire de la patrie, quel qu'en soit le prix. Certes, lorsqu'il s'agit de dénoncer les travers de l'Amérique, quitte à grossir quelque peu le trait, Spinrad est toujours aussi incisif, mais l'acidité de la critique est quelque peu tempérée par des dialogues ou des scènes d'un sentimentalisme larmoyant, voire d'un chauvinisme déplacé, souvent ponctuées d'un "Je suis fier d'être américain, même si mon pays fait de vilaines choses". On a connu l'auteur un poil plus subtil. On repassera également en ce qui concerne l'analyse géopolitique, à peu près du niveau de certaines conversations du café du commerce, ou sur les invraisemblances flagrantes qui parsèment le roman (on se demande bien comment un hippie à moitié socialiste pourrait bien arriver jusqu'à la présidence des USA , alors quand ce dernier désamorce ce qui s'annonce comme la troisième guerre mondiale à la façon d'un joueur de poker, on abandonne). Que Norman Spinrad se soit en grande partie trompé concernant l'évolution du bloc soviétique (même s'il faut lui accorder certains points) n'est pas le plus important, les meilleurs analystes se fourvoient eux aussi régulièrement, en revanche on peut être plus circonspect quant à sa capacité à maîtriser un roman aussi ambitieux. L'ensemble manque singulièrement de profondeur et de subtilité, d'autant plus que l'auteur n'y manie que très modérément le second degré.
Pour autant, Le printemps russe n'est pas totalement dénué d'intérêt car l'auteur s'y dévoile de manière assez prononcée ; Jerry Reed c'est un peu Norman Spinrad. Le déracinement, l'exil plus ou moins forcé, son amour pour Paris (même s'il est teinté de nombreux clichés), cette relation d'amour-haine avec son pays, la critique acerbe du modèle social américain et de son son système politique, son écoeurement vis à vis du monde politique en général et de la politique politicienne en particulier, on y retrouve nombre d'éléments du discours habituel de l'auteur, avec quelques remarques et quelques scènes empreintes d'un vécu réel que l'on sent nettement poindre ici et là. Tout cela fait incontestablement de Jerry Reed un personnage fort attachant, mais c'est sans doute insuffisant pour faire du Printemps russe une oeuvre majeure de Norman Spinrad.
Polar déjanté : Triggerfish twist, de Tim Dorsey
Complètment barré, totalement déjanté, définitivement loufoque, tels sont les termes qui viennent immédiatement à l'esprit à la lecture des romans de Tim DORSEY. Cet homme est fou, sachez le, et ses bouquins sont de petites pépites d'humour noir, de critique acide et de dinguerie totalement assumée. Tim DORSEY c'est drôle, intelligent, pétillant, absurde, mais surtout, ça n'a ni queue ni tête. Le pire c'est que ça marche.
A vrai dire, si vous souhaitez commencer par le début, la lecture de Florida Roadkill est à envisager, mais il ne s'agit pas à proprement parler d'un passage obligé car Triggerfish twist n'est pas une suite, même si l'on y croise plusieurs personnages récurrents créés par Tim DORSEY. En bon auteur du terroir, Tim DORSEY parle de ce qu'il connaît le mieux, à savoir la Floride et son cortège de doux dingues, d'allumés en tous genres, de voyoux à la petite semaine et autres dégénérés attirés par le soleil, la plage, les jolies filles et les alligators. Pour être honnête, chez l'écrivain américain les gens « normaux » se comptent sur les doigts de la main, alors lorsque la famille Davenport déboule de son Indiana natal du côté de Tampa, on se dit que le malentendu risque d'être de courte durée. Jim Davenport est consultant, c'est à dire que son boulot consiste à se balader d'entreprise en entreprise afin d'observer le travail des salariés et de pondre des rapports qui permettront à tout ce joyeux petit monde de travailler dans la joie et l'efficacité (voire la félicité). Aussi, lorsque la société qui emploie Jim ouvre une succursale à Tampa, ce dernier saute sur l'occasion et demande sa mutation pour la Floride. L'aubaine était trop belle, d'autant plus que la revue Où vivre en Amérique : les meilleures villes, vient de classer Tampa à la troisième place des villes les plus agréables du pays. Hélas, ce que ne sait pas Jim, qui en tous points représente la parfaite victime, c'est que ce classement est surtout le résultat d'une légère boulette, celle d'un stagiaire sous-payé du journal, visiblement fâché avec Excel. Les Davenport emménagent donc dans un joli petit pavillon de Tampa, du côté de Triggerfish Lane, un quartier en apparence plutôt tranquille : maisons cossues, pelouses bien entretenues, allées propres bordées de palmiers. Ce qu'ils ne savent pas non plus, c'est que ce quartier est la prochaine cible d'un agent immobilier véreux, qui projette de racheter toutes les maisons appartenant à des particuliers. Sa stratégie est d'une simplicité désarmante ; chaque fois qu'il rachète une maison, ce bon Lance Boyle installe des locataires douteux afin de faire fuir à vil prix les derniers propriétaires du voisinage. Une fois que Lance aura racheté l'intégralité du quartier, il lui suffira de raser toutes ces baraques miteuses pour y construire un magnifique centre commercial.
En réalité, si les Davenport et leurs malheurs de voisinage semblent constituer le point central du roman, Tim DORSEY émaille son histoire de personnages secondaires dont les parcours, tout aussi éditifants, viennent se greffer à la trame principale. Trame est cependant un bien grand mot pour ce qui s'avère être en réalité une succession de petites saynettes totalement ubuesques et loufoques. Le roman n'est d'ailleurs pas sans rappeler un certain Pulp Fiction, en plus barré. Ceux qui ont lu les romans précédents de l'auteur auront par ailleurs le plaisir de retrouver Serge A. Storms, psychopathe de son état, et ses deux comparses déjantés, Sharon la strip teaseuse cocaïnomane et Coleman, buveur impénitant de Budweiser et grand spécialiste du pétard. A vrai dire, tout ceci pourrait n'être qu'un vaste carnaval si, sous ce vernis qui craque de tous côtés, n'apparaissait une critique assez virulente de la société américaine. Et en la matière, on peut dire que DORSEY a la plume plutôt acérée et ses dialogues, taillés au millimètre, sont tout simplement exemplaires.Ecrit à un rythme effrené, Triggerfish Twist est très certainement la plus grande poilade de ces dernières années en matière de polar. Autant dire que Tim DORSEY tient la dragée haute à un Donald WESTLAKE ou un Charles WILLIAMS, ce qui n'est pas le moindre des compliments.
mercredi 20 mai 2009
BD blues : Le rêve de Meteor Slim
Il est noir, pauvre et décide un beau matin d'abandonner femme et enfant pour partir sillonner les routes du Mississippi avec sa guitare. Lui, c'est Edward Ray Cochran, alias Meteor Slim, et son rêve tient en quelques mots : devenir un bluesman. Mais plaquer trois accords sur une guitare en chantant quelques couplets sur douze mesures ne suffit hélas pas à faire de ce brave Ed l'égal d'un Charley Patton, car il lui manque l'essentiel, ce petit supplément d'âme qui donne au blues toute sa dimension culturelle et artistique. Et même s'il avait le talent, vivre de sa musique dans l'Amérique des années trente, alors que le pays vient de subir de plein fouet la crise économique, est loin d'être une sinécure. Pourtant Ed est tenace et son parcours relève tout autant de l'entêtement que de l'apprentissage. Les routes poussiéreuses du delta, les jukejoints crasseux où l'on joue pour quelques cents ou une bouteille de bourbon, l'alcool, les femmes, les embrouilles, tout cela ne l'effraie pas ; cette misère tragi-comique contribue à forger son expérience, enrichit ses textes et son jeu de guitare, qui se fait plus profond, plus mélancolique et plus subtil. Et puis il y a ces rencontres étonnantes. Robert Johnson d'abord, celui qui n'est ni encore un mythe ni même une icône, croise la route d'Ed, lui donne quelques leçons d'humilité, l'encourage à donner le meilleur de lui-même. Puis vient le grand Big Bill Broonzy, qui éclipse le temps d'une soirée le talent émergeant de notre apprenti bluesman, ou bien encore Johnny Shines, le grand ami de Robert Johnson. Ed traîne ses souliers usés sur toutes les routes du delta, de Memphis à Jackson, en passant par Clarksdale ou Cleveland, partout où l'on veut bien de sa musique il pose son sac et sa guitare, chante quelques chansons et repart vers une nouvelle destination. Ce quotidien sans lendemain, à la fois solitaire et riche en rencontres étonnantes, Ed en fait la matière première de sa musique ; tantôt triste et mélancolique, parfois drôle et coquine, mais toujours brute et sans artifices. Cette vie est pourtant comme un feu de paille qui se consume en quelques instants, intense mais brève. Les regrets et la culpabilité, finissent par l'assaillir et contribuent à achever définitivement la transformation de celui qui est devenu un bluesman et qui en a payé le prix. Ne dit-on pas que Robert Johnson avait vendu son âme au diable quelque part au croisement de Clarksdale, afin d'acquérir son talent. Le prix d'Edward Ray Cochran est, lui, sans commune mesure.
Avec cet album, Franz Duchazeau offre un hommage émouvant au delta blues. Le dessin au fusain, qui au premier abord peut déconcerter, colle à merveille à l'ambiance des années trente et à cette fable tragique et sombre. Chaque planche est un véritable travail d'orfèvre et l'on navigue entre le sublime et le magnifique. Ce graphisme épuré sert aussi le propos et contribue à mettre en valeur le sujet central de cette fresque : le blues. Cela n'est pas la première fois que le blues est mis en scène en bande dessinée, on pense notamment à la collection BD Blues proposée par les éditions Nocturne (déclinée également en BD Jazz), grâce à laquelle on peut découvrir la vie légèrement romancée de quelques artistes majeurs (B.B. King, Big Bill Broonzy ou bien encore Muddy Waters), en revanche, c'est bien la première fois que la réussite artistique est aussi totale ; à la fois respectueuse, émouvante et incroyablement juste. C'est également toute l'intelligence de Franz Duchazeau, que d'avoir imaginé un personnage fictif qu'il fait évoluer dans un cadre réel et réaliste ; son personnage n'écrase ainsi pas le récit et lui autorise certaines libertés qu'un respect scrupuleux de la biographie n'aurait pas permis. Tout amateur averti saura par ailleurs mesurer à sa juste valeur la connaissance profonde de Franz Duchazeau en matière de delta blues, qu'il conviendra d'apprécier en écoutant par exemple le double album « complete recordings » de Robert Johnson ou bien encore quelques blues bien roots signés Son House.
A noter qu'il existe un tirage de luxe de cet album, limité à 1000 exemplaires numérotés et signés, accompagné d'un disque vinyle comportant quatre titres. Franz Duchazeau a par ailleurs récidivé avec son dernier album, cette fois consacré à la musique country, intitulé « Les jumeaux de Conoco station ».
samedi 21 mars 2009
Polar de Harlem : La reine des pommes, de Chester Himes
A l'occasion de la sortie de Cercueil et Fossoyeur dans la collection Quarto de Gallimard (quand je vous disais que je faisais dans le recyclage de chroniques), un omnibus regroupant les huit romans du cycle de Harlem, il convient de revenir sur Chester Himes, auteur américain essentiel, que l'on a parfois un peu tendance à oublier. Pourtant, son influence sur des auteurs comme Donald Westlake ou bien encore Ed Bunker reste fondamentale. La reine des pommes, adapté en bande dessiné par Wolinski mais également au cinéma (« Rage in Harlem »), est sans doute son roman le plus connu. Et pourtant, rien de prédestinait Chester Himes à écrire des polars hard-boiled ; c'est sa rencontre avec Marcel Duhamel, traducteur et directeur de la collection Série Noire chez Gallimard, qui convainc l'écrivain qu'il a la capacité de se fondre dans le genre. Quatre semaines plus tard, l'auteur confie le manuscrit de La reine des pommes à Duhamel. Le roman obtient en 1958 le grand prix de la littérature policière, c'est le début du succès pour Chester Himes (tout du moins en France), qui avait déjà quitté les Etats-Unis plusieurs années auparavant, mais qui désormais s'installe définitivement en France. Hértier de Raymond Chandler et de Dashiell Hammett, Chester Himes n'a pas grand chose à leur envier, même si en l'occurence La reine des pommes, par son humour noir omniprésent, rappelle davantage 1275 âmes (Jim Thompson) ou bien encore Fantasia chez les ploucs (Charles Williams). Ses romans suivants sont plus sombres, politiquement plus engagés, dénonçant ouvertement la condition des noirs aux Etats-Unis.
« Si les coups durs, c'était du fric, y a longtemps que je s'rais millionnaire. »
La reine des pommes est le premier roman à mettre en scène les fameux détectives Ed Cercueil et Fossoyeur Jones, deux policiers à la gachette facile, qui traînent leurs guêtres dans le ghetto de Harlem. Ils y cotoient la misère et la violence d'une population méprisée et matraitée par les blancs, qui se serre les coudes face à la police, mais ne pratique guère la solidarité outre-mesure. Vivre à Harlem, c'est un peu défier la mort chaque jour. Un secteur où seuls les proxénètes, les dealers et les entrepreneurs de pompes funèbres réussissent à faire leur beurre. Triste époque, triste quartier dans lequel même les petites frappes ont du mal à joindre les deux bouts. Entre deux combines foireuses, on tente tant bien que mal de ne pas se faire dépouiller, en espérant que demain sera mons pire qu'aujourd'hui.
Jackson, modeste employé de pompes funèbres ne roule pas franchement sur l'or, aussi lorsque deux malfrats à la petite semaine lui proposent de transformer ses pâles économies en gros tas de billets bien craquants, le petit noir au ventre bedonnant fonce tête baissée dans la combine. C'est que Jackson voudrait bien offrir quelques douceurs à sa belle, la très séduisante Imabelle, à laquelle il fait une confiance aveugle. A tort visiblement, puisque cette dernière est de mèche avec nos deux arnaqueurs, trop heureux de trouver un pigeon pour le fameux « coup de l'explosion ». En un tour de main, Jackson se retrouve dépouillé de ses économies et seul. Comble de la malchance, un faux policier tente de lui extorquer 500 dollars, qu'il s'empresse de faucher à son patron afin de ne pas finir en prison. Le pauvre benet, désargenté, abondonné, mis à la porte de son logement et recherché par la police pour vol et, croit-il, pour complicité avec de faux monnayeurs. S'enfuit demander l'aide de son frère jumeau, Goldy. Ce dernier, qui n'est pas né de la dernière pluie, n'est pas non plus le moindre des coquins ; le jour, il se déguise en bonne soeur afin d'extorquer quelques pièces aux passants, le soir, il retrouve quelques-uns de ses bons amis pour se shooter à l'héroïne et de temps à autres à la cocaïne. Accessoirement, Goldy fait également office d'indicateur de la police, car il n'y a pas de petit profit. Commence alors à travers les rues mal famées de Harlem, une course-poursuite digne des meilleurs vaudevilles.
A vrai dire, ce roman ne brille ni par la qualité de son intrigue, simplissime, ni par la véracité des procédures policières. Pas de temps mort, un ryhtme affolant, visiblement, l'auteur n'a que faire des règles classiques du roman policier, et c'est finalement tant mieux. A la fois très noir et loufoque au possible, La reine des pommes, sous cette apparence bon enfant, est également un portrait bien sombre de la situation dans les ghettos américains à l'orée des années soixante. Misère extrême, saleté, chomage, violence, racisme, il ne fait pas bon vivre à Harlem ou dans le Bronx, et pourtant aucun noir ne voudrait vivre ailleurs. Tout du moins, pas au milieu des blancs. Un paradoxe qui fait également toute la richesse de l'oeuvre de Chester Himes, à égalité sans doute avec la philosophie dont nous gratifient les personnages hauts en couleur de ses romans.
Polar romantique : Sylvia, de Howard Fast
Ecrivain engagé, sympathisant communiste, ce qui lui valut d'être inscrit sur la liste noire du maccarthysme, Howard FAST a dressé à travers une quarantaine de romans un portrait très personnel de l'Amérique. Ses ouvrages sont en grande partie inspirés par son enfance new-yorkaise. Une enfance difficile, dans un milieu social plutôt défavorisé. Un père qui ne travaille qu'épisodiquement, une mère décédée alors qu'il était encore très jeune, dès l'âge de onze ans FAST doit travailler pour subvenir avec l'aide de son frère aux besoins de la famille. Mais en dépit de ces difficultés, il parvient à fréquenter l'école et se prend de passion pour l'écriture. En 1932, il réussit à vendre une nouvelle au magazine « Amazing stories » pour la somme de 25 dollars. C'est décidé, il deviendra écrivain. Il se spécialise dans le roman historique et obtient un certain succès, avant que sa carrière ne soit stoppée net par son engagement politique. Entré en 1943 au parti communiste, ses ennuis commencent lorsqu'il entre dans le collimateur du comité MacCarthy, on lui demande alors de dénoncer les sympathisants communistes. Il refuse et écope de trois mois de prison. A sa sortie, plus aucun éditeur ne veut publier ses textes. Il publie « Spartacus » à compte d'auteur (qui sera ensuite adapté à l'écran par Kubrick), puis se lance dans le polar en utilisant des pseudonymes. Sylvia fait partie d'une série de treize romans publiés sous le nom d'E.V. Cunningham, dont douze portent le nom du personnage féminin principal de l'histoire.
Alan Macklin, détective privé désargenté, est engagé par un riche homme d'affaire californien afin d'enquêter sur le passé d'une jeune femme qu'il souhaite épouser. Cette dernière semble s'être construit une histoire personnelle assez éloignée de la vérité, qui laisse supposer qu'elle a quelque chose à cacher ? Macklin ne sait rien de Sylvia West, ou si peu, d'ailleurs s'agit-il de son véritable nom ? Muni d'un seul indice, un recueil de poésie que la jeune femme a publié à compte d'auteur, et d'un gros paquet de dollars destiné à payer ses frais et à arroser flics, indics et de manière générale toute personne qui pourra faire progresser l'enquête, Alan Macklin remonte la piste qui le conduira à découvrir le triste passé de Sylvia West. De Los Angeles à Pittsburgh, en passant par El Paso et New York, l'enquêteur met à nu la vie de la jeune femme, il découvre ses blessures, ses peurs et ses angoisses et, sans jamais avoir rencontré une seule fois Sylvia, il tombe amoureux. Mais Macklin est-il amoureux de Sylvia West ou bien de l'image qu'il s'est contruite d'elle au fil de son enquête ?
Sylvia est souvent considéré comme le roman le plus réussi d'Howard Fast, on ne saurait contredire les spécialistes du roman policier tant il est vrai que l'auteur a réussi à s'éloigner des canons du genre (pas de meurtre, pas de fusillade, pas de course poursuite), tout en rattachant son roman à la grande tradition du polar américain à la Dashiell Hammett. Macklin se défend sans cesse d'être un détective privé classique, mais il en a pourtant tous les attributs. Intelligent et cultivé, il porte un regard noir et cynique sur le monde qui l'entoure, à la manière d'un Philip Marlowe ou d'un Sam Spade, ce dur à cuir est au fond un idéaliste désabusé auquel la vie n'a réservé que des crasses. En reconstruisant le passé de Sylvia West, Macklin découvre un être avec qui la vie a été encore moins tendre et c'est assez logiquement qu'il en tombe amoureux.
L'écriture de Fast n'est pas en reste, assez éloignée de ses pairs qui pratiquaient abondamment l'écriture behavioriste, où les personnages se révélaient à travers leurs actions, elle laisse davantage place à l'introspection et à la réflexion de Macklin, qui apparaît comme un personnage complexe, intelligent, sensible et extrêmement lucide, notamment vis à vis de son métier. Le style quant à lui, irréprochable, bénéficie d'une assez bonne traduction.
Un très beau roman, terriblement efficace, qui résonne durablement dans l'esprit du lecteur une fois la dernière page tournée.
samedi 14 mars 2009
Tchernobyl, confessions d'un reporter, d'Igor Kostine
Comment rendre compte de l'horreur d'une catastrophe comme Tchernobyl, d'un mal invisible appelé radioactivité, qui ravage un territoire vaste comme un département français (et bien au-delà encore) en l'espace de quelques secondes sans que la moindre feuille ait tremblé ? En rapportant les témoignages des survivants de ce que l'on peut appeler un cataclysme thermo-nucléaire, Svetlana Alexievitch nous avait déjà confronté à l'horreur, à la maladie et à la mort, mais surtout à l'indifférence d'un système qui préférait le silence à la vérité.
Surnommé « l'homme légendaire » par le Washington Post, Igor Kostine fut l'un des témoins privilégiés de la catastrophe. Le 26 avril 1986, quelques heures seulement après l'explosion du réacteur, le reporter-photographe de l'agence Novosti se rend en hélicoptère sur les lieux du drame ; muni de son appareil photo, il mitraille la centrale éventrée sans réaliser immédiatement l'importance du danger. Au dessus du chaos, Kostine perçoit la chaleur affolante du réacteur en fusion, son appareil se grippe, des bouffées de radioactivité l'assaillent, Kostine a de plus en plus de difficultés à respirer et à avaler sa salive. Rapidement l'hélicoptère fait demi-tour et retourne à Kiev. Kostine fonce dans son labo pour réaliser que les vingt malheureux clichés qu'il a pu prendre ont été intégralement noircis par la radioactivité. Sans qu'il ait encore compris l'étendue du danger, Kostine vient déjà d'être gravement irradié. Seul un cliché, de mauvaise qualité, est sauvé ; il fera le tour du monde car il s'agit de la seule photographie au monde datant du jour même de la catastrophe. Pendant ce temps, l'information se propage à l'étranger grâce aux images prises par un satellite espion américain, alors même que les gens sur place ne savent toujours pas ce qu'il s'est réellement produit. Gorbatchev comprend alors qu'il ne peut cacher plus longtemps l'accident. Cinq médias russes reçoivent alors des accréditations pour se rendre sur les lieux, dont l'agence de presse Novosti dont fait partie Igor Kostine. Ce n'est que trois jours plus tard que La Pravda révèle enfin qu'un « incident » a eu lieu à Tchernobyl, sans publier une seule photo. Ni le gouvernement ni les scientifiques n'expliquent qu'il sagit d'un accident nucléaire majeur, nul ne s'étend sur l'ampleur de la catastrophe, sur les morts et les blessés, sur les doses massives de radioactivité libérées dans l'atmosphère. C'est le blackout médiatique.
Kostine, lui, décide de rester sur place pour témoigner de l'incroyable sacrifice de ses compatriotes. Des centaines de milliers d'hommes et de femmes choisissent (selon la version officielle) de sacrifier leur vie pour arrêter la réaction de fusion du réacteur, déblayer les décombres de l'explosion, décontaminer au plus vite les lieux et construire un sarcophage de béton. Les pilotes chargés de larguer les sacs de sable au-dessus du réacteurs ont des malaises en plein vol, les protections sont ridicules (des hommes transportent à mains nues des blocs radioactifs) et la moindre tâche est interrompue au bout de quelques minutes en raison des radiations. Kostine se lie rapidement d'amitié avec ceux que l'histoire retiendra sous le nom de « liquidateurs », son témoignage, au plus près de ces hommes et de ces femmes, révèle l'ampleur de leur sacrifice et les moyens dérisoires dont ils disposaient. Sans le travail des 800 000 liquidateurs qui se sont succédés, l'ampleur et les conséquences de la catastrophe auraient été bien pires, en Ukraine et en Biélorussie, mais également dans le reste de l'Europe, dont la moitié de la population aurait dû être déplacée et dont la moitié de sa superficie n'aurait plus été cultivable. Jour après jour, Kostine photographie, jetant des kilos de pellicules rendues hors d'usage par les radiations, usant trois appareils photo Nikon et accessoirement sa santé. Mais le travail d'Igor Kostine ne se limite pas au travail des liquidateurs, aussi important soit-il, il témoigne également de la détresse des populations locales durant les vingt années qui ont suivi la catastrophe. L'évacuation des villes et des villages, l'exode forcé, les cimetières de machines poubelles nucléaires à ciel ouvert, les jardins et les vergers contaminés, la mort, la maladie, le désespoir, mais aussi le courage de ces populations confrontées à un mal insidieux, un danger que l'on ne peut voir mais qui détruit de l'intérieur.
La photographie de Kostine, alternant aléatoirement couleur et noir et blanc, dépasse le simple pouvoir de l'imagination. Il faut voir pour croire, car le texte, aussi puissant soit-il ne peut révéler certaines horreurs et certaines horreurs ne peuvent être révélées que par la légende qui accompagne la photographie. Comme ce paysage idyllique où poussent les coquelicots et les pissenlits sous un ciel bleu azur, un paysage bucolique vers lequel on aimerait s'élancer mais au milieu duquel trône un panneau frappé du signe de l'atome. Une scène allégorique, qui nous rappelle une triste réalité, mais qui recèle aussi un peu d'espoir.
Aujourd'hui, Igor Kostine est toujours en vie.
1275 âmes, de Jim Thompson : chef d'oeuvre absolu du polar américain
Nick Corey est le shérif pas très net du petit comté de Pots, le garant de l'ordre et de la loi parmi une population qui manque singulièrement de classe. Entre d'indécrotables ploucs au quotien intellectuel plus proche d'une moule que de l'être humain moyen et de gentils notables pas très dégourdis mais pleins de bonne volonté, on peut dire que le shérif Corey est bien entouré. Mais ce serait oublier qu'il est marié à une femme acariâtre et flanqué d'un beau-frère à moitié décérébré dont l'occupation principale consiste à épier sous les fenêtres des jolies dames la nuit venue. Heureusement notre shérif sait prendre du bon temps et mène une relation épuisante avec une maîtresse qui sait tirer le meilleur de lui même, c'est à dire pas grand chose. Persuadé, à juste titre, que ses concitoyens seraient bien embêtés s'il se mettait subitement à faire respecter la loi, le shérif Corey organise ses journées en bon partisan du moindre effort : sieste, repas pantagruelliques, petit tour de la ville avec force poignées de main, visite des commerçants, ... Mais fatigué d'être entouré par un ramassis d'ivrognes et de salopards en tous genres, Nick a décidé de prendre les choses en main, c'est-y qu'il n'est pas bien intelligent notre shérif, mais il sait pourtant bien s'y prendre pour tourner les choses à son avantage. Ce n'est pas tant qu'il soit foncièrment honnête, oh non, il touche gentiment quelques pots de vin, graise la patte quand il le faut. Non ! Ce qui le préoccupe se sont les prochaines élections, qu'il pourrait bien perdre, et avec, sa paye confortable et son logement de fonction au-dessus du tribunal. Alors le shérif Corey met la machine en marche. Il commence par se débarrasser de deux maquereaux qui témoignaient fort peu de respect pour ses fonctions et n'étaient guère plus impressionnés par son uniforme et sa pétoire, élimine d'un bon coup de fusil le mari de sa maîtresse devenu gênant et songe sérieusement à se débarrasser de sa femme et de cet imbécile qui lui fait office de beau-frère. Toute l'habileté de Nick réside dans sa capacité à réaliser ses plans sans que le moindre soupçon ne vienne l'éclabousser, et pour faire porter le chapeau à d'autres il sait y faire.
Quelque part à mi-chemin entre Fantasia chez les ploucs et Shérif fais moi peur ! (ben oui, on a les références qu'on peut), Jim THOMPSON dresse le portrait sans concession de l'Amérique profonde des années vingt. Un portrait un vitriol dont les personnages, bruts de décoffrage, sont passés à la moulinette d'un auteur qui aime en accentuer les traits jusqu'à l'exagération. Chez TOMPSON tout le monde est pourri, vendu, corrompu, incestueux, alcoolique ou bien encore volage, et le shérif Corey est bien le pire de tous. Le récit est habile et les situations, toutes plus rocambolesques les unes que les autres, sont à hurler de rire, ou de consternation. Meurtres en tous genres, règlements de compte, tromperie, menterie, mauvaise foi, les pires travers de l'homme (et accessoirement de la femme) sont égrainés un à un, jusqu'à la nausée. Le style est époustouflant et la narration de Jim THOMPSON est absolument magistrale ; à la première personne, elle nous met directement dans la peau de Nick, cet être que l'on prend d'abord pour un misérable plouc, mais dont l'esprit retors et finalement incroyablement subtil ne cesse de nous étonner. Nick est un salopard, certes, mais un salopard touché par le génie dans sa capacité étonnante à manipuler les esprits sans avoir l'air d'y toucher. Ses machinations tortueuses forcent l'admiration, en dépit de leur intolérable cruauté ; âmes sensibles s'abstenir.
Inscription à :
Articles (Atom)