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jeudi 3 décembre 2009

SF uchronique : Le printemps russe, de Norman Spinrad


La science-fiction a ceci d'amusant qu'au fil des années, voire des décennies, certains romans que l'on pouvait classer initialement sous l'étiquette "anticipation" sont devenus tellement caduques qu'il est nécessaire de les lire désormais comme des uchronies. C'est le cas du Printemps russe de Norman Spinrad, une vaste fresque à la fois politique, sociale et familiale sur fond de conquête spatiale. L'épaisseur du roman, qui s'étale tout de même sur près de 800 pages, laissait augurer du meilleur, tout du moins si l'on s'en tient à ce qu'annonce la quatrième de couverture, et Norman Spinrad n'est pas non plus le premier des débutants ; même si dès le départ, l'auteur se prête à un exercice hautement périlleux, qui ne pouvait déboucher que sur une magnifique gamelle. Mais il faut bien reconnaître que publier en 1991 un roman sur l'avenir du bloc soviétique avait quelque chose d'à la fois hautement casse-gueule et extrêmement culotté. A condition de ne pas avoir de connaissances trop approfondies sur la géopolitique de l'URSS, l'on pouvait encore se laisser prendre au jeu à l'orée des années 90. Hélas, force est de constater que 18 ans après sa publication originale, Le printemps russe ressemble à une oeuvre parfaitement bancale, tant sur le plan littéraire que sur celui de l'analyse politique.

La toile de fond de cet imposant roman est finalement assez simple. Alors que les Etats-Unis s'enfoncent dans une lente récession économique, sous le poids de sa dette publique et de ses dépenses militaires abyssales (notamment en raison du programme militaire spatial, sorte de programme "Guerre des étoiles" rebaptisé désormais "Etoile d'Amérique"), que le pays s'enferme dans un réflexe protectionniste et autoritaire avec la bénédiction d'une bonne partie de la population, que "l'Amérique" jadis tant aimée et admirée est désormais honnie par une bonne partie de la planète en raison de ses agissements scandaleux en Amérique latine, l'URSS a quasiment achevé sa lente métamorphose amorcée sous l'ère de la pérestroïka habilement orchestrée par Gorbatchev. A peu de choses près, l'URSS a libéralisé son économie tout en préservant la mainmise du PCUS sur l'appareil d'état et sans que l'oppressante bureaucratie soviétique n'en ait souffert (ce qui paraît déjà plus étonnant). Le bloc soviétique, tout en maintenant son unité géographique et politique, s'est ouvert vers l'Occident ; tout du moins vers l'Europe, dont l'union est désormais achevée et qui représente la première puissance économique mondiale et la seule véritable fédération d'états démocratiques. Coincée entre l'impérialisme américain et le pseudo socialisme semi-autoritaire du bloc soviétique, l'Union européenne ne joue qu'un rôle de tampon économique et politique. Chose amusante, ce ne sont pas les Etats-Unis qui ont gagné la course aux étoiles, mais l'URSS, qui est bien la seule à croire en un avenir spatial pour l'humanité ; les Américains sont concentrés sur leur programme militaire, alors que l'ESA souffre d'un cruel manque d'ambition exacerbé par les éternelles hésitations politiques des européens. Mais les choses changent et les européens sont désormais prêts à inscrire leurs pas dans les traces des russes.
C'est la raison pour laquelle l'ESA débauche à grands frais un jeune ingénieur américain, Jerry Reed, qui végétait gentiment chez Rockwell en attendant que la Nasa/Pentagone se décide à envoyer à nouveau des hommes dans l'espace plutôt que des satellites militaires. Mais les choses ne sont pas si simples, Jerry Reed est détenteur d'informations et de technologies que les Américains ne veulent absolument pas voir tomber dans l'escarcelle des européens, et, à fortiori, encore moins dans celle des soviétiques. Contraint par les autorités américaines à faire un choix entre son rêve et son pays, Jerry Reed décide de faire défection et de rejoindre les rangs de l'ESA ; il est alors déchu de sa nationalité américaine et un retour aux Etats-Unis lui est désormais interdit. Mais son choix n'a pas seulement été dicté par sa conscience et son désir d'étoiles, les charmes de la jeune Sonia Gagarine ne sont pas totalement étrangers à cette décision de vivre désormais en Europe, aux côté de la femme qu'il aime. Autant dire que les soviétiques, désormais alliés des européens concernant le développement du programme spatial de l'ESA, voient d'un très bon oeil cette relation entre les deux jeunes tourtereaux.

On connaissait le talent de Norman Spinrad en matière de narration et son style percutant, voire coup de poing, fait comme d'habitude des merveilles lorsqu'il s'agit d'enquiller les 800 pages du roman, on connaissait également sa propension à truffer chaque chapitre de scènes de sexe assez crues, mais on connaissait moins le goût de l'auteur pour les romans feuilletons à la Santa Barbara (ou Dallas, c'est comme vous voulez). Et là, force est de constater que Spinrad se laisse quelque peu aller à la facilité. Si j'étais méchant, je dirais qu'en dehors du format et du langage un peu cru, Le printemps russe aurait parfaitement sa place dans la collection Harlequin. Le lecteur subit au fil de la narration, une succession de clichés et de scènes assez surréalistes chez un auteur dont on appréciait plutôt la férocité, l'ironie et la virulence du propos. Les Français s'appellent tous Marcel, Emile ou Nicole, Paris n'est que lumières et bistrots pittoresques à l'ombre des platanes (et si possible le long des quais de la Seine), les Russes sont tous des bureaucrates alcooliques dont l'esprit est totalement embrumé par la propagande du parti ; incapables du moindre sentiment, leur seul objectif est d'oeuvrer pour la gloire de la patrie, quel qu'en soit le prix. Certes, lorsqu'il s'agit de dénoncer les travers de l'Amérique, quitte à grossir quelque peu le trait, Spinrad est toujours aussi incisif, mais l'acidité de la critique est quelque peu tempérée par des dialogues ou des scènes d'un sentimentalisme larmoyant, voire d'un chauvinisme déplacé, souvent ponctuées d'un "Je suis fier d'être américain, même si mon pays fait de vilaines choses". On a connu l'auteur un poil plus subtil. On repassera également en ce qui concerne l'analyse géopolitique, à peu près du niveau de certaines conversations du café du commerce, ou sur les invraisemblances flagrantes qui parsèment le roman (on se demande bien comment un hippie à moitié socialiste pourrait bien arriver jusqu'à la présidence des USA , alors quand ce dernier désamorce ce qui s'annonce comme la troisième guerre mondiale à la façon d'un joueur de poker, on abandonne). Que Norman Spinrad se soit en grande partie trompé concernant l'évolution du bloc soviétique (même s'il faut lui accorder certains points) n'est pas le plus important, les meilleurs analystes se fourvoient eux aussi régulièrement, en revanche on peut être plus circonspect quant à sa capacité à maîtriser un roman aussi ambitieux. L'ensemble manque singulièrement de profondeur et de subtilité, d'autant plus que l'auteur n'y manie que très modérément le second degré.

Pour autant, Le printemps russe n'est pas totalement dénué d'intérêt car l'auteur s'y dévoile de manière assez prononcée ; Jerry Reed c'est un peu Norman Spinrad. Le déracinement, l'exil plus ou moins forcé, son amour pour Paris (même s'il est teinté de nombreux clichés), cette relation d'amour-haine avec son pays, la critique acerbe du modèle social américain et de son son système politique, son écoeurement vis à vis du monde politique en général et de la politique politicienne en particulier, on y retrouve nombre d'éléments du discours habituel de l'auteur, avec quelques remarques et quelques scènes empreintes d'un vécu réel que l'on sent nettement poindre ici et là. Tout cela fait incontestablement de Jerry Reed un personnage fort attachant, mais c'est sans doute insuffisant pour faire du Printemps russe une oeuvre majeure de Norman Spinrad.

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