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samedi 21 mars 2009
Polar de Harlem : La reine des pommes, de Chester Himes
A l'occasion de la sortie de Cercueil et Fossoyeur dans la collection Quarto de Gallimard (quand je vous disais que je faisais dans le recyclage de chroniques), un omnibus regroupant les huit romans du cycle de Harlem, il convient de revenir sur Chester Himes, auteur américain essentiel, que l'on a parfois un peu tendance à oublier. Pourtant, son influence sur des auteurs comme Donald Westlake ou bien encore Ed Bunker reste fondamentale. La reine des pommes, adapté en bande dessiné par Wolinski mais également au cinéma (« Rage in Harlem »), est sans doute son roman le plus connu. Et pourtant, rien de prédestinait Chester Himes à écrire des polars hard-boiled ; c'est sa rencontre avec Marcel Duhamel, traducteur et directeur de la collection Série Noire chez Gallimard, qui convainc l'écrivain qu'il a la capacité de se fondre dans le genre. Quatre semaines plus tard, l'auteur confie le manuscrit de La reine des pommes à Duhamel. Le roman obtient en 1958 le grand prix de la littérature policière, c'est le début du succès pour Chester Himes (tout du moins en France), qui avait déjà quitté les Etats-Unis plusieurs années auparavant, mais qui désormais s'installe définitivement en France. Hértier de Raymond Chandler et de Dashiell Hammett, Chester Himes n'a pas grand chose à leur envier, même si en l'occurence La reine des pommes, par son humour noir omniprésent, rappelle davantage 1275 âmes (Jim Thompson) ou bien encore Fantasia chez les ploucs (Charles Williams). Ses romans suivants sont plus sombres, politiquement plus engagés, dénonçant ouvertement la condition des noirs aux Etats-Unis.
« Si les coups durs, c'était du fric, y a longtemps que je s'rais millionnaire. »
La reine des pommes est le premier roman à mettre en scène les fameux détectives Ed Cercueil et Fossoyeur Jones, deux policiers à la gachette facile, qui traînent leurs guêtres dans le ghetto de Harlem. Ils y cotoient la misère et la violence d'une population méprisée et matraitée par les blancs, qui se serre les coudes face à la police, mais ne pratique guère la solidarité outre-mesure. Vivre à Harlem, c'est un peu défier la mort chaque jour. Un secteur où seuls les proxénètes, les dealers et les entrepreneurs de pompes funèbres réussissent à faire leur beurre. Triste époque, triste quartier dans lequel même les petites frappes ont du mal à joindre les deux bouts. Entre deux combines foireuses, on tente tant bien que mal de ne pas se faire dépouiller, en espérant que demain sera mons pire qu'aujourd'hui.
Jackson, modeste employé de pompes funèbres ne roule pas franchement sur l'or, aussi lorsque deux malfrats à la petite semaine lui proposent de transformer ses pâles économies en gros tas de billets bien craquants, le petit noir au ventre bedonnant fonce tête baissée dans la combine. C'est que Jackson voudrait bien offrir quelques douceurs à sa belle, la très séduisante Imabelle, à laquelle il fait une confiance aveugle. A tort visiblement, puisque cette dernière est de mèche avec nos deux arnaqueurs, trop heureux de trouver un pigeon pour le fameux « coup de l'explosion ». En un tour de main, Jackson se retrouve dépouillé de ses économies et seul. Comble de la malchance, un faux policier tente de lui extorquer 500 dollars, qu'il s'empresse de faucher à son patron afin de ne pas finir en prison. Le pauvre benet, désargenté, abondonné, mis à la porte de son logement et recherché par la police pour vol et, croit-il, pour complicité avec de faux monnayeurs. S'enfuit demander l'aide de son frère jumeau, Goldy. Ce dernier, qui n'est pas né de la dernière pluie, n'est pas non plus le moindre des coquins ; le jour, il se déguise en bonne soeur afin d'extorquer quelques pièces aux passants, le soir, il retrouve quelques-uns de ses bons amis pour se shooter à l'héroïne et de temps à autres à la cocaïne. Accessoirement, Goldy fait également office d'indicateur de la police, car il n'y a pas de petit profit. Commence alors à travers les rues mal famées de Harlem, une course-poursuite digne des meilleurs vaudevilles.
A vrai dire, ce roman ne brille ni par la qualité de son intrigue, simplissime, ni par la véracité des procédures policières. Pas de temps mort, un ryhtme affolant, visiblement, l'auteur n'a que faire des règles classiques du roman policier, et c'est finalement tant mieux. A la fois très noir et loufoque au possible, La reine des pommes, sous cette apparence bon enfant, est également un portrait bien sombre de la situation dans les ghettos américains à l'orée des années soixante. Misère extrême, saleté, chomage, violence, racisme, il ne fait pas bon vivre à Harlem ou dans le Bronx, et pourtant aucun noir ne voudrait vivre ailleurs. Tout du moins, pas au milieu des blancs. Un paradoxe qui fait également toute la richesse de l'oeuvre de Chester Himes, à égalité sans doute avec la philosophie dont nous gratifient les personnages hauts en couleur de ses romans.
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