A la lecture de la quatrième de couverture du roman de Jean
Hegland, la première remarque qui me vint à l’esprit fut : “tiens,
Gallmeister se met à la SF !”. Il faut dire que la science-fiction a
très largement exploré les voies du récit post-apocalyptique, souvent
avec succès d’ailleurs, que ce soit dans la littérature ou bien au
cinéma. Il serait bien évidemment trop fastidieux d’énumérer la liste
des oeuvres majeures, mais je ne saurais trop vous conseiller de lire
l’extraordinaire Enig Marcheur de Russel Hoban, l’excellent Malévil de
Robert Merle ou bien encore La route de Comarc McCarthy, terrifiants à
bien des égards. Mais loin d’agiter l’épouvantail du grand cataclysme
thermonucléaire cher aux écrivains de SF du XXème siècle (vous pouvez
remplacer par guerre bactériologique ou zombies, ça fonctionne à
l’avenant), Jean Hegland nous raconte au travers du regard de deux
soeurs, Nell et Eva, la brusque chute des Etats-Unis à l’orée du nouveau
millénaire. De cet effondrement avant tout économique, duquel découlera
la faillite de tout un système politique, puis de la société américaine
dans son intégralité, l’auteure a choisi d’adopter un point de vue
presque périphérique lié au mode de vie des deux adolescentes, qui de
par leur éducation et leur situation familiale, se trouvaient déjà à la
marge de l’american way of life.
Nell et Eva grandirent dans une région isolée du nord de la
Californie, une zone forestière éloignée de la ville la plus proche
(Redwood) d’une quarantaine de kilomètre. Leurs parents, avaient fui la
civilisation moderne bien avant le grand effondrement du pays. Réfugiés
dans leur forêt, ils avaient construit de leurs mains le chalet de bois
qui constituerait leur petit havre de paix. Elle, ancienne danseuse du
ballet de San Francisco, avait raccroché ses chaussons à la suite d’une
grave blessure, lui, ne voyait pas d’inconvénient à faire chaque jour le
trajet jusqu’à l’école de Redwood pour exercer ses fonctions
d’enseignant. Retirés du monde moderne, ils menaient une existence
simplement rythmée par les saisons et les tâches quotidiennes liées à
une vie rustique (potager, coupe de bois, chasse, travaux manuels…).
Ensemble ils élevaient leurs deux filles, désormais âgées de 14 et 15
ans, mais qui n’avaient jamais connu l’école, leurs parents s’étant
chargés de leur instruction comme de leur éducation. Ce qui ne les
empêchèrent pas de réussir brillamment leur parcours scolaire. Nell, se
préparait à entrer avec succès à Harvard, alors qu’Eva, sur les traces
de sa mère, se destinait à une grande carrière de danseuse. L’isolement
de la famille, s’il agit comme une sorte de filtre, ne fit que retarder
l’inéluctable. Les coupures d’électricité furent l’une des premières
manifestations du dérèglement de l’économie, rares au début, elles se
firent de plus en plus nombreuses, puis la lumière s’éteignit pour
toujours, avec comme corollaire l’impossibilité de faire fonctionner les
appareils modernes pourtant autrefois indispensables. La ligne de
téléphone restait désespérément muette et bientôt Internet ne fut plus
qu’un souvenir. Puis vint la mort de leur mère, des suites d’un cancer
pourtant détecté à temps, leur père ne s’en remit jamais. Leur potager
permit aux deux soeurs de se nourrir convenablement durant la première
saison, mais les produits de première nécessité vinrent rapidement à
manquer. A Redwood de toute façon, la pénurie commençait à sérieusement
se faire sentir. Les commerces fermaient boutique les uns après les
autres et les supermarchés n’eurent bientôt plus que des rayons vides à
offrir. De toute façon l’essence devint rapidement une denrée rare et
après un ultime aller-retour en ville, il fallut se rendre à l’évidence,
la voiture était devenue un objet parfaitement inutile. Désormais
orphelines, les deux jeunes filles étaient livrées à elles-mêmes, seules
au milieu d’une immense forêt, privées de moyens de communication et
donc incapables de savoir où en étaient les affaires du monde et si
quelque part dans le pays des citoyens s’organisaient pour survivre.
Mais elles avaient un toit, un potager et du bois pour se chauffer. Et
puis la grande forêt et leur éloignement les protégeaient des éventuels
comportement prédateurs.
La démarche de Jean Hegland s’inscrit donc dans une certaine
tradition du récit d’anticipation, mais son approche se veut bien plus
intimiste et si l’arrière-plan social, économique et politique est bien
évidemment esquissé, il s’efface pour laisser place à une histoire
centrée sur la relation entre les deux soeurs, avec justesse et
sensibilité, mais sans aucun pathos. C’est à travers leurs yeux
innocents que l’auteure décrit l’effondrement brutal et inéluctable
d’une Amérique qui ne s’était jamais réellement préparée à chuter de sa
place de leader du monde moderne. On observe donc fasciné à la fin d’une
civilisation qui se croyait invincible, mais qui, telle un colosse aux
pieds d’argile, s'effondra en quelques mois. Mais tout cela est maintenu
à distance, l’auteure préfère ici se concentrer sur le plus petit
dénominateur commun, l’intime, l’humain. Pas de scènes de violence
urbaine, pas d’épisodes de pillage décomplexé, par de révolution ou de
guerre civile. Tout est raconté à l’échelle locale, le plus simplement
du monde, parfois la violence reste suggérée, comme dans cet épisode où
la famille tente de rejoindre la maison d’un couple d’amis et découvre
une fois arrivé à destination, que la maison est occupée par d’autres
personnes. Sans explications, sans paroles, la menace reste implicite et
au lecteur d’imaginer l’indicible. Il y a bien évidemment quelques
scènes difficiles, l’auteure aurait bien eu du mal à y échapper car le
monde qu’elle décrit n’a rien d’idyllique et il est bien évident qu’un
pays sans règles et sans système de régulation et de police ne peut
qu’être livré aux comportements les plus vils, les prédateurs se
révèlent, laissant libre cours aux plus bas instincts.
Écrit avec une grande simplicité et une certaine économie de moyens,
Dans la forêt est un récit prenant et original, loin des clichés du
genre et de toute tentative d'esbrouffe. Le rythme y est lent (dans le
bon sens du terme), la narration subtile et le propos à la fois touchant
et profond. Evidemment, il y a dans ce genre de littérature quelques
passages obligés et on n’échappe pas totalement au petit guide de
survie, mais c’est écrit avec tellement d’intelligence et de bon sens,
qu’on ne peut que s’incliner. Mais la plus grande force du roman, c’est
qu’il ne se montre jamais moralisateur ou idéologique, il raconte et
donne à réfléchir. C’est déjà beaucoup.
14 commentaires:
J'ai vu qu'il avait eu le prix Goncourt des lycées en 2019 dans ma région, ça devrait me plaire et en plus c'est de la SF comme j'aime.
Un prix amplement mérité, ça devrait te plaire. Enfin j'espère...
Oui ça devrait me changer des romans de Jean Marc LIGNY,que j'aime bien aussi d'ailleurs.(rires). C'est moins catastrophique "Dans la forêt".
Je prends donc.
Roman qui m'a beaucoup plu. Des qu'on le commence on ne peut plus le lacher; ça monte en intensité. Oui il nous fait réfléchir sur le superflu et le matériel qui nous encombrent dans notre société.
Les vrais valeurs sont ailleurs . Une ode à la vie!
Ravi que le roman t'ait plu !
Le roman est très bon . Bravo pour votre chronique toute en délicatesse.
Il existe une adaptation BD depuis peu.
Merci à vous.
Apparemment il existe également une adaptation ciné disponible sur Netflix.
Certes le roman est très beau; mais l'ajout dans la BD de la brève scène incestueuse entre les deux sœurs n'était pas à mon sens nécessaire.
Cette scène existe pourtant dans le roman.
Lu ! Je l'ai trouvé à la bibliothèque (j'ai repris ma carte presque rien que pour lui). Sur le coup j'ai failli abandonner. Fidèle à mon habitude de lire les dernières pages une fois un ou deux chapitres avalés, j'ai à peu près compris le principe du livre et l'histoire qui en découlait. Mais j'ai picoré ici et là, et puis j'ai repris la lecture in extenso, parce que le style est prenant, parce que l'histoire avance comme j'avançais sur mes broderies et finit par dessiner un tableau plein de détails signifiants. Bref, contrairement à mon habitude quand j'ai un bon livre entre les mains, je ne l'ai pas dévoré. Je suis allée au rythme lent de l'écrivaine.
C'est un livre à part, qui fait écho à des sentiments très primaires et très profonds.
Merci pour ce long moment, Manu !
Mais de rien très chère !
C'est vrai cette scène de sexe existe dans le roman et elle n'est pas choquante dans le contexte de survie de ces deux sœurs.
je voulais simplement dire que le graphisme dans la BD la rend plus suggestive et rien que pour cela les éditions Samarcande devraient la destiner à un public averti et non pas à un lectorat de jeunes.
D'accord, je comprends mieux votre remarque désormais.
La maison "dans la forêt" a brûlé, nous apprend Reporterre ici :
https://reporterre.net/Nous-n-irons-plus-dans-la-foret
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