J'ai commencé à écrire dans ce blog sur une colère italienne, une rage impuissante mais qui devait s'exprimer. En voici une autre, américaine.
Un jeune homme noir est abattu par un policier, et peu après ce dernier est acquitté. Un garçon de 15 ans, noir aussi, mais qui a grandi dans un environnement assez préservé, est bouleversé. Son père, qui a grandi à Baltimore, qui a connu la culture du ghetto, puis l'épanouissement intellectuel, décide alors de lui expliquer ce que ce que signifie être Noir aux États-Unis, à défaut de pourvoir trouver les mots de consolation. Viennent ensuite plus de 150 pages denses d'une colère froide, qui vous envoie toute la violence ordinaire de l'Amérique au visage, qui décortique le racisme ordinaire, la ségrégation invisible et pourtant omniprésente, le fossé infranchissable entre Noirs et Blancs, ceux qui vivent dans la peur et ceux qui vivent dans le Rêve de ceux qui se disent Blancs, inaccessible à ceux à qui on assigne la couleur noire, en fin de compte.
Le grand mérite à mes yeux de Ta-Nehisi Coates est de rapporter le racisme au corps, à la chair humaine, de rendre palpable le déni d'humanité dont la communauté afro-américaine souffre, et de la peur littéralement viscérale qui habite tous les Noirs de l'Amérique du Nord, cette évidence tragique de ne pas pouvoir non seulement se défendre, mais également défendre ceux qu'ils aiment.
Très personnelle, son analyse n'en est pas moins emblématique d'un état d'esprit qu'il nous est difficile de comprendre, car il nous manque une expérience essentielle et incontournable. Cette expérience est celle de l'esclavage, de la négation de l'humanité de l'autre. Et la blessure est entièrement, complètement, totalement ouverte. Elle imprègne partout aujourd'hui la société américaine, conditionne les réactions, alimente les innombrables non-dits, les tabous. Elle a fait naître des peurs dont nous n'avons aucune idée de l'ampleur.
Ce livre est effrayant à bien des égards, non par les faits qu'ils relatent et que connaissent tous ceux qui s'intéressent un peu à l'autre côté de l'Atlantique, mais par les angoisses profondes et les peurs inextinguibles qu'il révèle, et qui nous explique pourquoi la société étasunienne ne sera jamais une société de métissage, et qu'elle porte en elle une violence que nous avons du mal à imaginer en Europe, une violence entre races mais aussi au sein de la communauté noire elle-même. Car un autre mérite de ce livre est de montrer toute la complexité de cette communauté qui n'est une et unie qu'aux yeux des autres et dans des moments tragiques, Une communauté d'individus aux aspirations très diverses et parfois contradictoires, traversée de violences à la hauteur de celles qu'elle subit.
Ta-Nehisi Coates ne livre pas ici un essai fouillé, une étude sophistiquée, ni même une démonstration claire, mais un témoignage dont on sent qu'il vient d'une réflexion longuement mûrie, une colère peut-être noire, mais surtout froide, analytique.Une colère devant le racisme, mais aussi devant cette peur envahissante et paralysante. Une colère en forme de long et profond cri d'amour pour son fils. Une colère qui porte au combat. Une colère qui revendique la dignité humaine.
Ta-Nehisi Coates ne livre pas ici un essai fouillé, une étude sophistiquée, ni même une démonstration claire, mais un témoignage dont on sent qu'il vient d'une réflexion longuement mûrie, une colère peut-être noire, mais surtout froide, analytique.Une colère devant le racisme, mais aussi devant cette peur envahissante et paralysante. Une colère en forme de long et profond cri d'amour pour son fils. Une colère qui porte au combat. Une colère qui revendique la dignité humaine.