Depuis
la publication en 2014 du très remarquée Morwenna,
récompensé par les trois prix les plus prestigieux de la F&SF
(Prix Hugo, Nebula et British fantasy award), l’écrivaine
britannique Jo Walton fait désormais partie des auteures qui
comptent dans le paysage des littératures de l’imaginaire. Mais
plus intéressant encore, ses romans ont très rapidement dépassé
les frontières de genres, s’adressant tout autant aux amateurs de
fantasy et de SF qu’aux lecteurs de littérature générale. Cette
porosité tout à fait bienvenue est liée bien évidemment à une
politique éditoriale parfaitement bien pensée, mais aussi et
surtout à la qualité et au caractère universel des thématiques
qui traversent l’oeuvre de Jo Walton : l’enfance, la famille,
l’évolution de la société et de ses moeurs…. sans
compter que les éléments disruptifs de ses récits ne sont toujours
que très faiblement mis en avant, à peine esquissés et toujours
amenés par petites touches discrètes. On est très loin des récits
de science fiction hard science ou d’heroic fantasy brutale, qui
plongent immédiatement le lecteur dans un univers où il devra
élaborer rapidement de nouveaux repères… quitte à en perdre en
route un certain nombre. Et le fait est que la technique fonctionne à
merveille, nombre de lecteurs de Morwenna
n’ont
sans doute réalisé que très tardivement qu’il
s’agissait d’un roman de fantasy, de même, Mes
vrais enfants
ne
laisse pas entrevoir avant une bonne soixantaine de pages qu’il
s’agit d’une uchronie, si bien que le lecteur néophyte a déjà
eu le temps d’entrer dans l’histoire avant de devoir digérer les
éléments les plus déstabilisants du récit. Nous n’irons
pas jusqu’à affirmer que la technique est parfaitement nouvelle,
mais Jo Walton l’exploite ici avec beaucoup de talent.
Mes
vrais enfants
est
donc à la fois une uchronie et le récit des vies parallèles de
Patricia, alias Patsy, Pat ou même Tricia suivant le contexte. Deux
destins donc pour un seul et même personnage. Née durant
l’entre-deux guerres, Patricia est issue de la classe laborieuse,
mais réussit à force de travail à intégrer l’un des prestigieux
collèges d’Oxford. Hélas pour les femmes, l’égalité des sexes
n’est pas encore à l’ordre du jour et au lieu de poursuivre une
carrière universitaire prestigieuse, ce qu’elle aurait pu faire si
elle avait été un garçon, elle doit se résoudre à devenir simple
enseignante dans une école pour filles. Mais avant d’intégrer son
nouvel établissement dans le nord de l’Angleterre, Patricia fait
la rencontre de Mark, brillant étudiant au destin tout tracé avec
qui elle noue une idylle purement platonique, mais qui les conduits
tous deux sur le chemin du mariage. Après quelques années de
séparation, à peine ponctuées de rares retrouvailles mais de
multiples lettres d’amour, Mark, dont les résultats n’ont
finalement pas été à la hauteur de ceux escomptés, se résout à
demander Patricia en mariage. C’est cette demande qui fait office
de point de bascule, durant une fraction de seconde la jeune femme
hésite, suivra-t-elle le destin de Tricia, qui épousera Mark et
découvrira la véritable nature de cet homme qui la rendra
profondément malheureuse, ou bien suivra-t-elle le destin de Pat,
qui renoncera à l’homme qu’elle croit aimer par dessus
tout, mais se construira une vie épanouie et émancipée, à
l’avant-garde du combat des femmes pour leurs libertés. Dans
ces deux chemins de vie, les enfants joueront un rôle considérable,
jusqu’à ce que ses deux destins se confondent.
Jo Walton nous raconte donc alternativement les deux vies de Patricia, selon deux lignes temporelles qui pourraient paraître similaires, mais qui en réalité divergent sur de nombreux points, mais reconnaissons tout de même que l’uchronie reste très légère et n’est en aucun cas le point central du roman. Ecrit d’une plume simple et élégante, qui rend la lecture très fluide, Mes vrais enfants vaut surtout pour la justesse de ses personnages tout en nuances et dont le double destin permet d’explorer toutes les facettes des possibles ; c’est bien là toute l’originalité et l’intérêt du roman que de mettre en exergue et en comparaison ces deux vies. Ainsi le roman nous questionne sur les choix que nous effectuons dans nos vies, ceux que l’on regrette, ceux que l’on aurait voulu différents pour donner un autre sens à notre existence. Mais ce sont surtout les thèmes évoqués tout au long du récit qui lui donnent toute sa profondeur : l’amour évidemment, la sexualité (le thème de l’homosexualité a rarement été aussi joliment évoqué, avec force et simplicité), les enfants, le féminisme et la lutte pour les droits des femmes, mais aussi la vieillesse et la maladie. A la fois touchant et universel, Mes vrais enfants fait partie de ces romans qui résonnent encore longuement dans l’esprit du lecteur une fois la dernière page tournée.
3 commentaires:
J'avais pas du tout aimé "Morwena"non pas le thème mais la narration.(Pardon)
Mais j'ai beaucoup aimé" Mes vrais enfants" Très beau!
J'aime bien la SF quand elle est au service d'une belle histoire.
Oui, c'est une belle histoire, dotée d'un point de vue narratif vraiment original. Ravi que le roman t'ait plu.
Oui beaucoup. J'ai commencé" Pierre de vie", c'est dans la même veine et la même sensibilité je trouve.
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