Si
vous ne connaissiez pas Eddie Joyce jusqu’à présent, eh bien
figurez-vous que moi non plus, mais il faut dire que ce jeune
écrivain, natif de Staten Island et vivant à Brooklyn, est l’auteur
d’un premier roman certes fort remarqué par la critique, mais
resté relativement confidentiel sur le plan médiatique. Avocat dans
un prestigieux cabinet new-yorkais, le bonhomme a un beau jour claqué
la porte, fait une croix sur un salaire annuel à six chiffres, pour
se consacrer exclusivement à l’écriture, preuve qu’il croyait
dur comme fer en son talent et en sa bonne étoile. En tout état de
cause, si ce New-yorkais pur sucre continue sur sa lancée initiale,
nul doute qu’il faudra à l’avenir surveiller de près sa
carrière littéraire.
Le
roman se déroule dix ans après les événements du 11 septembre,
mais ne s’intéresse pas véritablement aux attentats, préférant
ausculter le devenir des Amendola, une famille Italo-irlandaise, dont
le fils Bobby, pompier au NYFD, est mort à la suite de
l’effondrement des tours du World trade center. Les Amendola sont
installés dans le quartier populaire de Staten Island depuis deux
générations et ont construit leur identité comme nombre de leurs
concitoyens ; avant d’être new-yorkais ils sont avant tout
originaires de leur quartier, un quartier populaire habité par de
nombreux immigrés de la seconde génération, dont les parents ou
les grands parents étaient essentiellement originaires d’Irlande
et d’Italie. Mais alors que Brooklyn ou le Queens ont eu tendance à
se gentrifier, leur quartier avait été relativement épargné par
le phénomène. Cet élément est loin de n’être qu’un point de
détail, car si les Amendola ont perdu un fils ce n’est pas pour
combattre le feu du côté de Staten Island, mais pour avoir porté
secours aux cols blancs de Manhattan, dont les habitants ont toujours
éprouvé un certain mépris pour les classes laborieuses de la
périphérie. Le père Michael, fils unique d’un couple d’Italiens
venus s’installer aux Etats-Unis durant l’entre-deux guerres,
avait au grand dam du pater familias refusé de reprendre l’épicerie
italienne qu’il tenait avec amour depuis son installation à New
York pour épouser la carrière de pompier. Le vieil Italien n’avait
jamais compris pour quelles raisons son fils abhorrait la profession
d’épicier et préférait risquer sa vie pour de parfaits inconnus.
A l’heure de la retraite, Michael refusa même de reprendre la
boutique de son père, qu’Enzo revendit à son apprenti, faisant
ainsi sa fortune. Pour le plus grand désespoir de sa mère, Gail,
Bobby choisit donc de suivre les traces de son père Michael et
devint lui aussi pompier, un bon pompier même, bravant le feu et le
danger au péril de sa vie… ce qui lui fut fatal le jour du 11
septembre. Cette disparition fut un électrochoc pour la famille. La
place laissée vacante par Bobby était immense, béante…
démesurée. Il laissait derrière lui une femme, Tina, jolie et
énergique jeune femme enceinte de leur deuxième enfant, ainsi
qu’une fille à peine âgée de deux ans. Malgré la blessure, la
famille tente de se reconstruire, Gail et Michael se rapprochent,
entourent Tina et ses deux enfants de tout l’amour possible. Les
deux frères de Bobby, Peter et Franky essaient également de
surmonter la douleur…. avec plus ou moins de réussite.
Construit
à la manière d’un récit choral, chaque chapitre offrant le point
de vue de l’un des membres de la famille avec force flashbacks et
retours dans le passé, Les
petites consolations
est
une véritable pépite pour les lecteurs qui aiment les romans au
rythme lent, centrés essentiellement sur le vécu et le ressenti des
personnages. Eddie Joyce réussit avec brio à retranscrire le vide
laissé par la perte d’un être cher, le lent travail de deuil et
de reconstruction pour non pas combler la place manquante, mais
réussir justement à l’accepter. Car si la douleur finit par
s’estomper avec le temps les souvenirs restent présents,
mélancoliques certes, parfois sources de tristesse mais aussi de
joie, celle d’avoir partagé la vie de l’être aimé, de lui
avoir apporté amour et réconfort dans les moments difficiles.
Traversé il faut bien l’avouer par un certain spleen mais loin de
tout pathos, Les
petites consolations
n’est
pas un roman triste, mais agit au contraire comme un baume. Une vraie
leçon de vie et de courage, mais aussi probablement l’un des
romans les plus réussis sur l’après 11 septembre, car au-delà du
destin de la famille Amendola, le roman nous raconte New York comme
seuls les plus grands auteurs de la big city avaient su le faire.
Chapeau bas Mr Joyce, pour un premier coup c’est tout simplement un
coup de maître.
3 commentaires:
J'ai aimé ce roman ,malgré le theme douloureux:Comment on continue son chemin apres un drame et les répercussions que ce drame entraine sur cette famille italoaméricaine.
Curieusement ce roman n'est pas pathétique.Il faut bien continuer à vivre et s'occuper de ceux qui restent.
Oui, on ne sombre jamais dans le pathos, c'est toute la force de ce roman vraiment touchant et très digne.
Finalement c'est un peu la double peine pour cette famille qui s'est expatriée pour le plus simple des droits qui est celui de vivre un peu mieux et qui y perd un enfant.
Ce roman restera longtemps gravé en moi.
Enregistrer un commentaire