Robert
 Charles Wilson a longtemps fait figure d’étoile montante de la SF, ceux
 dont on sait qu’ils écriront un jour un pur chef d’oeuvre mais qu’ils 
semblent repousser sans cesse à la fois prochaine ; des as de la 
procrastination littéraire en somme. Ainsi, à chaque nouveau roman R.C. 
Wilson éblouit sans pour autant réussir à satisfaire totalement les 
attentes des critiques ou du public. Puis Spin vint et l’auteur américain mit tout le monde d’accord, même si Axis et Vortex,
 censés compléter et clore la trilogie sont nettement en retrait. Reste 
un auteur au potentiel phénoménal, dont la carrière est émaillée 
d’excellents ouvrages et dont les moins bons textes volent tout de même 
largement au-dessus de la production moyenne en matière de SF (et de 
littérature tout court). 
Quelque
 part du côté de l’Ohio, dans un futur relativement proche, l’Amérique a
 construit un important centre de recherche destiné à l’observation de 
l’espace profond : Blind lake. Grâce à la technologie quantique 
auto-évolutive, les scientifiques ont conçu un nouveau type de 
télescope, capable d’observer dans le détail des planètes très 
éloignées, voire de suivre, comme s’il était filmé par une caméra sous 
plusieurs angles, un sujet. Blind lake n’est pas le premier centre de 
recherche de ce type, à Crossbank des scientifiques observent depuis de 
nombreuses années une exoplanète, riche en espèces fascinantes mais 
dépourvues d’intelligence. Mais à Blind lake, c’est une planète habitée 
par une espèce très évoluée que les équipes de chercheurs étudient. La 
polémique fait d’ailleurs rage entre les scientifiques, certains prônent
 une observation globale de la planète alors que d’autres souhaitent se 
focaliser sur un individu en particulier et si c’est cette dernière 
faction qui l’a jusqu’à présent emporté, rien ne dit que cette option ne
 changera pas. Jusqu’au jour où le centre est subitement isolé du reste 
du pays, impossible pour les personnels et leurs famille de franchir le 
dispositif de sécurité qui a été installé autour de Blind lake, toute 
tentative de franchir les grilles du complexe se solde par une 
élimination directe et brutale, seul le ravitaillement est assuré par 
des convois automatisés. Scientifiques, techniciens, administrateurs, 
agents de sécurité... nul ne connaît les raisons de cette quarantaine 
qui touche également les télécommunications et chacun s’interroge sur 
les raisons qui ont poussé les autorités à imposé ce blackout sur le 
centre de recherche. 
Au
 fil des romans, R.C. Wilson s’est dessiné un univers dans lequel les 
big dumb objects (ou BDO, littéralement ces “gros objets stupides”) 
semblent tenir une place importante, voire exercent une fascination 
quasiment hypnotique. Les chronolithes, Spin et Blind Lake
 fonctionnent peu ou prou sur le même principe, à savoir l’irruption sur
 terre de structures extraterrestres étranges et incompréhensibles, dont
 les finalités ne sont jamais très claires, mais qui vont exercer un 
rôle considérable sur l’avenir de notre planète.  La différence dans le 
cas présent tient au fait que ces objets apparaîtront assez tardivement 
cette fois et dans des circonstances moins obscures. Il convient par 
ailleurs de rappeler que malgré cette fascination pour les BDO Blind Lake
 n’a rien d’un roman stupide, il s’agit ni plus ni moins que d’un 
sous-genre de la science-fiction qui fit florès dans les années 70-80 et
 dont Larry Niven ou Arthur C. Clarke furent les plus illustres 
représentants. Le terme est d’ailleurs né d’une boutade de l’écrivain 
britannique Roz Kaveney et n’a d’autre prétention que de faire sourire 
et de pointer gentiment du doigt les lieux communs et les clichés 
véhiculés par ce type de roman (le gigantisme à tout prix, le mystère 
insondable, l’absence d’explication). Mais R.C. Wilson, s’il avance en 
terrain connu, a d’autres avantages à faire valoir et son roman a des 
qualités qui bien souvent font défaut à ses prédécesseurs. Tout juste 
pourrait-on reprocher à l’auteur américain de tourner quelque peu en 
rond dans ses thématiques et dans ses procédés narratifs, c’est la 
raison pour laquelle Blind Lake,
 s’il est incontestablement un bon roman, ne fera pas figure d’oeuvre 
incontournable, ni dans le paysage de la science-fiction ni dans 
l’ensemble de l’oeuvre de R.C. Wilson.  Il n’empêche que le roman est 
fort agréable à lire, grâce aux qualités d’écriture de l’auteur et au 
soin qu’il apporte au profil de chaque personnage. Par ailleurs, le 
propos de Wilson n’est pas inintéressant, notamment lorsque 
l’observateur est à son tour observé. Un reversement des points de vue, 
voire une mise en abîme, qui propose une approche de l’altérité assez 
inédite et qui permet à Blind Lake se démarquer des romans classiques 
centrés autour de BDO.











