On
pourrait difficilement me taxer d’être un inconditionnel de la
littérature jeunesse, disons le clairement, même lorsque j’étais
gosse ça me barbait sévère et j’ai tôt fait d’aller fouiner
du côté du secteur adulte de la bibliothèque municipale de mon
secteur pour trouver ma came. Hélas pour moi, mon métier m’oblige
de temps à autres à en lire pour ne pas trop perdre de vue un
domaine qui déborde d’activité et de nouveautés. Soyons honnête,
dans la majorité des cas je souffre, je souffre de cette littérature
pour laquelle je n’ai jamais eu aucune affinité et que j’ai
toujours considérée comme trop utilitariste, pas assez viscérale
et constamment tournée vers des centres d’intérêt qui ne me
parlent pas. Sans doute ma vision est-elle trop étroite, étriquée,
voire constellée de préjugés, mais finalement l’important n’est
pas là, l’important c’est que cette littérature plaise aux
enfants et aux adolescents, qu’elle les accompagne dans leur
cheminement littéraire et qu’elle les aide à grandir. Qu’elle
ne plaise pas aux adultes est fondamentalement accessoire. Il
n’empêche qu’il m’arrive de temps à autres d’être
agréablement surpris par les qualités littéraires ou narratives de
certains romans jeunesse. J’en parle rarement parce que ce n’est
pas véritablement le but de ce blog, alors pourquoi évoquer
celui-ci plutôt qu’un autre ? Eh bien considérez simplement ce
billet comme une petite parenthèse ou une fantaisie que je m’accorde
un instant, en somme une incursion sans lendemain dans un territoire
vierge.
Un cargo pour Berlin est un chouette petit roman d’un peu moins de cent pages écrit par Fred Paronuzzi, dont c’est ici le cinquième ouvrage jeunesse. Il y dévoile l’histoire de Nour, une adolescente algérienne contrainte de s’enfuir pour échapper à un mariage forcé. Pourtant la vie avait jusqu’à présent souri à Nour. D’origine modeste, mais brillante élève, elle avait bénéficié du soutien de la directrice de son école, qui l’avait engagée à son service pour lui permettre à la fois de poursuivre ses études tout en apportant un soutien financier à ses parents. Hélas l’arrangement prit fin le jour où la directrice eut connaissance de l’idylle naissante entre son neveu et la jeune fille. Nour fut donc renvoyée chez ses parents, blessée par l’attitude du garçon à qui elle avait offert sa virginité et qui n’y voyait qu’une amourette de passage. Humilié, son père décida d’arranger rapidement un mariage pour que la honte ne rejaillisse pas sur la famille. Mais Nour fut horrifiée par la perspective d’épouser un homme probablement bien plus âgé qu’elle et qui lui collerait une ribambelle d’enfants bruyants et affamés. La jeune fille décida donc de prendre la fuite et de rejoindre l'Europe en compagnie de son ami Taricq, un garçon d'origine encore plus défavorisée, qui rêve depuis l'enfance de se rendre à Berlin. Les deux adolescents découvriront les difficultés qui attendent les clandestins africains, qui au départ de Tanger tentent de traverser en toute illégalité le détroit de Gibraltar. Ils seront assaillis par la faim et le froid, connaîtront les brimades de la police au frontières marocaine, feront face à la misère de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui inlassablement essaient de forcer le passage vers une Europe qui ne veut pas d'eux et qui par tous les moyens tente d'endiguer le flot des immigrés clandestins.
Admirablement
écrit, dans un style à la fois simple et dépouillé, mais non
dénué de beauté, le roman est construit sur un rythme rapide. Les
chapitres sont courts et incisifs, un peu trop parfois car on
aimerait finalement que le roman prenne un peu plus d'ampleur bien
que l'on apprécie l'alternance des points de vue (l'écrivain
emploie le "je" lorsqu'il s'agit de Nour et le "elle"
lorsqu'il s'agit de Youness, son identité clandestine). Sans tomber
totalement dans le travers de la littérature utilitariste, qui
développe un thème à la manière d'une démonstration, et en
évitant la caricature, Un cargo pour Berlin offre un
contrepoint intéressant sur la condition des femme dans les pays du
Maghreb. Touchant, sans jamais sombrer dans le pathos, Fred Paronuzzi
nous offre un joli roman, qui devrait interpeller en douceur mais
intelligemment nos chères têtes blondes.
8 commentaires:
De Fred Paronuzzi : Merci pour cette critique flatteuse !
De rien. Votre roman fait partie de la sélection du prix "Hautes Pyrénées tout en auteurs", mais je suppose que vous étiez déjà au courant.
F. Paronuzzi: Oui. Je devrais d'ailleurs venir rencontrer les élèves fin mai, début juin...
Il y a des chances que je vous croise à cette occasion.
Direct dans ma liste à acheter ! C'est bien le premier roman jeunesse que tu chroniques... Moi pour le moment, je suis dans "A la croisée des mondes" de Pullmann, qui me fait de l'oeil depuis longtemps, et je n'arrive plus à décrocher.
Fred Paronuzzi : Avec plaisir.
Fred Paronuzzi à Valérie: "A la croisée des mondes", chef d'oeuvre à mon humble avis... je vous comprends.
C'est vrai que c'est pas mal "A la croisée de mondes", l'univers est vraiment original. Le film est à mon humble avis largement moins convaincant.
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