"je suis né à 5 ans, le jour où ce policier m'a trouvé dans la rue"
Né
en Corée de parents inconnus, Jung fut adopté à l'âge de six ans par
une famille belge. Cette histoire concernant ses origines asiatiques,
Jung, désormais dessinateur accompli (notamment grâce à la série
Kwaïdan), attendit l'âge de quarante ans avant de la raconter dans une
magnifique bande dessinée en deux volumes, Couleur de peau : miel. Cette adaptation graphique obtint un succès critique important et fut portée sur les écrans de cinéma en 2012.
A
l'âge de cinq ans, le jeune Jung est découvert errant dans les rues de
Séoul par un policier coréen. Le garçon est débrouillard, dort où il le
peut et fouille les poubelles pour se nourrir. Peut-être est-il le fruit
d'une relation brève et éphémère entre un soldat américain et une jeune
coréenne, à moins que ses parents ne fussent victimes tous deux de
cette guerre fratricide qui coûta la vie à un demi-million de Coréens ;
nul ne le sait finalement car après la guerre de Corée des milliers
d'enfants, illégitimes ou non, furent abandonnés par leur mère (en
raison de la pression sociale, le statut de mère célibataire était à
l'époque intenable) ou séparés de leurs parents. Les autorités tardèrent
à réagir et les structures d'accueil n'étaient de toute façon pas
préparées pour accueillir ces milliers d'enfants livrés à eux-mêmes. Mais
dans son malheur Jung eut de la chance car ce jeune policier
l'accompagna dans un orphelinat financé par un couple de riches
américains, l'instut Holt. Jung y fut heureux car il pouvait enfin
manger à sa faim et dormir au chaud. Son adoption fut très rapide car
les autorités coréennes acceptèrent massivement les dossiers d'adoption
et 150 000 enfants quittèrent leur pays pour rejoindre leur famille
d'accueil, pour l'essentiel aux Etats-Unis, mais également en Europe.
Jung de son côté partit pour la Belgique, plus précisément pour la
banlieue de Bruxelles où l'attendaient ses nouveaux parents et ses cinq
frères et soeurs.
Le
premier volume est centré sur l'enfance et l'intégration du jeune Jung
dans sa famille d'adoption, que l'auteur raconte avec beaucoup d'humour
et de sensibilité. Une intégration fulgurante, au point qu'il en oublie
quasiment ses origines, refoulées au plus profond de sa conscience. Il y
raconte également la relation difficile qu'il entretient avec sa
nouvelle mère, une femme froide, sévère et complexe, qui lui témoigne
peu d'affection mais prend à coeur de lui assurer une solide éducation.
Jung alterne les passages graves avec les épisodes plus légers, en
soulignant l'immense complicité qu'il entretient avec ses frères et
soeurs. Le second volume traite son adolescence et sa vie de jeune
adulte. Son talent pour le dessin, qu'il évoquait déjà dans le premier
volume s'y affirme, ainsi que sa passion pour le Japon, un Japon
fantasmé à la fois si loin et si proche de cette Corée qu'il ne cesse
d'occulter. Evidemment la découverte de la sexualité était un passage
presque incontournable, mais Jung traite le sujet avec beaucoup d'humour
et de simplicité, de manière explicite mais sans surenchère. De cette
enfance Jung retient une chose essentielle, si ses parents ne lui ont
pas toujours témoigné l'affection qu'il attendait ils lui ont donné,
malgré leurs maladresses et leur sévérité, une vraie famille, la
sécurité d'un foyer et à leur manière leur amour. Reste qu'en
grandissant la question de ses origines finit par remonter à la surface
et le taraude de manière de plus en plus pressante et viscérale. Avec la maturité arrive finalement
le temps de la réconciliation, qui permettra de refermer les plaie et de
se construire une identité riche d'un passé trop longtemps refoulé.
Dans
la droite lignée du travail de Jiro Taniguchi, Jung possède ce talent
rare qui consiste à transmettre de l'émotion à travers son texte et son
dessin, le choix du noir et blanc est ici parfaitement adapté et recèle
une palette de niveaux de gris et de nuances assez étonnante. Le travail
sur les ombres est particulièrement réussi. Mais on est surtout fasciné
et happé par la richesse émotionnelle tout en sobriété qui se dégage de
cette oeuvre étonnante ; on sourit, on rit, une larme perle au coin de
l'oeil à de nombreuses reprises au fil de cette histoire si émouvante
racontée avec un talent hors norme et une gravité jamais pesante.
3 commentaires:
Lu, acheté pour le CDI, et un jour peut-être en rayon (c'est la galère en ce moment...overbookée à tous les sens du terme !). Et ça tombe bien. Hier, alors que j'étais dans les ennuis informatiques jusqu'au cou (Manuuuuu ! SOS), une sixième me lance sur le thème de l'adoption, avec une phrase définitive comme on en a à 12 ans et qui glace le sang de sa doc : "De toute façon, je n'aurai jamais pu appeler maman quelqu'un qui ne serait pas ma vrai mère [biologique], et heureusement, moi, j'ai ma vraie mère". Et toc pour le camarade de classe adopté. Non décidément, va falloir lui mettre ça dans les mains, à la mioche...
Le tome 3 est sorti !
http://www.bdfugue.com/couleur-de-peau-miel-tome-3
Je n'étais même pas au courant, merci. Je focalise trop sur le prochain Blacksad je crois.
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