Le
western, en tant que genre littéraire ou cinématographique, a-t-il
encore quelque chose à nous dire ? Au vu de son succès florissant au
cours de ces trente dernières années (notez le ton ironique), aussi bien
dans les salles obscures que sur les étals des libraires, on est en
droit d’en douter ; comme si le genre était définitivement épuisé,
lessivé par la surexploitation dont il fut l’objet jusque dans les
années soixante. S’il fallait dresser une liste des romans
incontournables on serait d’ailleurs bien en peine de le faire, mais il
demeure néanmoins une certitude Lonesome Dove en ferait indiscutablement partie. J’avais déjà évoqué Larry McMurtry, auteur de deux excellents romans, La dernière séance et Texasville, mais Lonesome Dove
constitue la pièce maîtresse de la carrière littéraire de l’auteur
américain, un roman pour lequel il reçut le prix Pulitzer, excusez du
peu.
La genèse du roman date du début des années soixante-dix alors que Larry McMurtry finalise le scénario d’un film, The streets of Laredo,
dont la réalisation doit être confiée à Peter Bogdanovich alors très en
vue à Hollywood. James Stewart et John Wayne sont pressentis pour
interpréter les rôles principaux jusqu’à ce que les deux acteurs fassent
machine arrière, mettant un terme au projet. Dix ans plus tard, Larry
McMurtry redonne vie à ses personnages sous la forme d’un roman, suivi
quelques années plus tard de trois suites. Pour l’anecdote, le
succès littéraire de Lonesome Dove
fut tellement important, que l’idée d’une adaptation cinématographique
refit surface, avec aux commandes John Huston et John Milius, mais
l’auteur décida finalement de décliner, probablement pour des raisons de
narration et de budget, les aventures d’Augustus McRae et Woodraw Call
sous forme de mini série pour la télévision. Du côté des éditeurs
français, Lonesome Dove fit
l’objet d’une première tentative de publication chez First au début des
années 90, un succès d’estime qui ne donna pas suite à de nouvelles
traductions. Il faudra pour cela attendre que les éditions Gallmeister
reprennent Larry McMurtry sous leur aile et se décident à faire traduire
d’autres romans de l’écrivain texan pour que Lonesome Dove ressorte des cartons vingt ans plus tard.
L’histoire
se déroule évidemment dans le grand Ouest américain, à l’époque de la
République du Texas, c’est à dire quelques décennies avant que cet état
ne soit annexé par les Etats-Unis (1845). Augustus McRae et Woodraw Call
sont deux anciens rangers. Durant plusieurs années ils ont surveillé la
frontière avec le Mexique et protégé les colons des populations
indiennes hostiles (Apaches et Comanches essentiellement) et des bandes
de desperados. Une fois la frontière sécurisée durablement, ils se sont
recyclés dans l’élevage de chevaux, plus ou moins en dilettante,
pratiquant lorsque les nécessités l’imposaient des expéditions de
l’autre côté du Rio Grande, histoire de récupérer au nez et à la barbe
des Mexicains quelques dizaines de têtes de bétail. La vie est plutôt
tranquille en réalité du côté de Lonesome dove, une bourgade pourvue
d’une unique rue, écrasée par la chaleur du soleil texan et rythmée par
quelques habitudes bien rodées ; habitudes qui consistent surtout pour
Gus à faire la sieste à l’ombre, à siroter du whisky en regardant le
soleil se coucher; à jouer aux cartes au saloon et accessoirement à
rendre visite à la très jolie Lorena, l’unique prostituée du patelin. En
réalité si la Hat Creek Company réussit tant bien que mal à gagner de
l’argent, c’est surtout le fait de Woodraw Call, infatigable travailleur
et toujours à pied d’oeuvre. L’oisiveté calculée de Gus est d’ailleurs
pour Call un motif de contrariété de tous les instants et la source de
nombreuses disputes, mais les deux hommes ont vécu tellement longtemps
ensemble que mettre fin à leur association paraît impensable. Pourtant
les deux hommes ont un caractère diamétralement opposé, Call est un
taiseux qui cherche souvent la solitude alors que Gus est un bavard
invétéré, un philosophe en puissance (hédoniste évidemment) qui aime les
joutes verbales et les discussions acharnées, quitte à mener la
conversation seul lorsque Call, excédé, finit par se murer dans un
silence distant. Autour de ce couple improbable mais diablement
attachant, évoluent des personnages secondaires formidablement campés :
Deets, ancien ranger, employé émérite, éclaireur de talent et excellent
pisteur, Pea Eye, ancien ranger également et célibataire endurci, le
jeune Newt, fils illégitime de Call ignorant tout de son père, Bolivar
le cuisinier mexicain dont les talents culinaires se limitent au ragoût
de haricots agrémenté de serpent à sonnette, Dish l’excellent cow boy
amoureux fou de Lorena....
La
vie aurait pu suivre son cours sur ce rythme jusqu’à la fin des temps
si l’arrivée quelque peu précipitée de Jake Spoon n’avait chamboulé ces
habitudes immuables. Jake, l’ancien ranger, Jake l’ami de toujours, Jake
le dandy, Jake le joueur de cartes invétéré, mauvais tireur mais
séducteur infatigable. Jake, donc, est recherché par le shériff d’un
petit patelin de l’Arkensas pour avoir tué accidentellement un dentiste
lors d’une fusillade ponctuant une mauvaise partie de poker. C’est à
Lonesome Dove qu’il espère trouver refuge, la réputation de Call et de
Gus lui assurant une certaine sécurité, mais sur un coup de tête il
propose à ses anciens camarade de réunir un troupeau et de rejoindre le
Montana, encore territoire vierge, pour y faire fortune. Contre toute
attente Call et Gus acceptent, réunissent rapidement un troupeau de
bêtes volées au Mexique et recrutent une bonne équipe de cow boys.
Débute alors un long voyage vers le nord, ponctué d'embûches, de
fusillades, de traîtrises et de rencontres imprévues.
Superbement écrit, Lonesome Dove
est un roman extrêmement bien maîtrisé dans sa narration, mais qui
repose avant tout sur la complexité des personnages et de leurs
relations. Tantôt bavard, tantôt contemplatif mais sans vrai temps mort,
le roman est à des années lumières des clichés habituels du western, on
y découvre une vie certes rude et parfois cruelle où la mort peut
frapper avec une rare violence, mais on est loin de l’imagerie
traditionnelle telle que peut la véhiculer par exemple un certain John
Wayne. Si les chevaux ont une importance capitale dans la vie des cow
boys, tous ne sont pas des as de la gâchette, on y découvre même un
jeune shérif plus habitué à ramasser les poivrots locaux après la
fermeture du saloon qu’à manier le six coups. Aucune exaltation pseudo
libertaire, aucune mythologie triomphaliste (notamment vis à vis des
Indiens), aucune fascination pour la violence et les armes à feu dans Lonesome Dove,
mais ce qui étonne c’est l’absence de machisme et le rôle central des
femmes dans ce roman, des femmes dotées de caractères bien trempés, à la
fois belles, fragiles et fortes. Mais tout ceci ne serait rien sans ce
couple fabuleux représenté par Woodraw Call et Augustus McRae, un tandem
improbable, complexe et incroyablement attachant, faut-il voir dans
leur relation des éléments résiduels d’une homosexualité latente, peu
probable, mais si l’on garde en tête que quelques années plus tard Larry
McMurtry co-signera le scénario de Brokeback Mountain,
on ne peut qu’être intrigué par ces résonances; gardons tout de même à
l’esprit que le film est avant tout inspiré d’une nouvelle d’Annie
Proulx.
3 commentaires:
Le western comme genre littéraire, ça m'aurait bien fait rire avant de lire Lonesome Dove, sur la prescription de Télérama. Mais quel bonheur de lecture !
Pour ma part, je l'ai lu sur votre prescription et je vous en remercie.
J'ai adoré Texasville et note donc Lonesome Dove!
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