
Le roman en lui-même est l’un des premiers représentants de la science-fiction post-apolyptique et fait figure de précurseur à Ravage ou Malévil, dans lesquels on retrouve de furieux accents de Quinzinzinzili. Le point de départ de ces trois romans est sensiblement identique, un conflit mondial a exterminé l’ensemble de la race humaine, seul un petit groupe d’humains a survécu et tente de reconstruire un embryon de société. Le début du roman est assez édifiant et montre à quel point Messac a une juste vision de la géopolitique de son époque, cette acuité est assez troublante, au point que l’on a du mal à croire que Quinzinzinzilli ait été publié en 1935, tant ses pages sont prémonitoires. Chez Messac, l’apocalypse n’est pas nucléaire (il faudra attendre Hiroshima pour voir fleurir ce type de catastrophes), mais chimique. Une peur probablement issue de l’expérience de l’auteur sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. De ce désastre toxique, un adulte (Gérard Dumaurier), une fillette et une poignée de jeunes garçons échappent par miracles puisqu’ils se trouvaient sous terre, occupés à explorer une grotte. Cette grotte est d’ailleurs leur seul refuge pendant plusieurs semaines, les substances toxiques imprègnent l’air, le sol et l’eau, rendant toute sortie impossible. Ce n’est que progressivement qu’ils peuvent accéder à leur environnement proche, survivant tant bien que mal grâce à l’eau d’une rivière souterraine et chassant taupes et serpents, rares animaux à avoir survécu au cataclysme, pour se nourrir. Mais contre toute attente, Gérard ne prend jamais les choses en main, n’impose rien aux enfants, surtout pas l’autorité, et se contente d’observer d’un oeil cynique et dégoûté leur évolution ou plutôt leur lent retour à l’état sauvage. Son regard sur ces enfants n’a rien de tendre ou de protecteur, il se détache de leur communauté, qui évolue dans une bulle dont il est intellectuellement exclu, à défaut de l’être physiquement. Leur langage évolue, se dégradant, lui devenant presque incompréhensible, des croyances s’érigent sur des bribes de souvenirs d’un passé pas toujours bien compris. Ainsi Quinzinzinzili est une déformation lexicale issue du latin “Qui es in coelis”, que l’on retrouve dans le pater noster ; un Dieu omnipotent et incompréhensible, qui guide chaque geste et chaque coutume adoptée par cette étrange communauté un brin stupide. Mais le plus édifiant, c’est que ces quelques enfants attardés finissent par redécouvrir la violence et à réinventer la guerre. On comprend dès lors aisément que le narrateur n’éprouve qu’une tendresse limitée à l’égard de cette nouvelle humanité dont l’existence risque d’être encore plus brève que la précédente.
Cynique, pathétique, froidement pessimiste, le roman de Régis Messac frôlerait allègrement le nihilisme le plus forcené s’il ne fallait plutôt y voir une mise en garde empreinte d’un profond humanisme. Oui, l’humanité est stupide, oui elle court à sa perte, mais elle pourrait être sauvée si elle prenait la peine d’ouvrir les yeux et de corriger ses dérives. Hélas la voix de Régis Messac était bien trop faible face au fracas assourdissant des usines d’armement fonctionnant à plein régime de l’autre côté du Rhin, le monde était bien trop occupé à préparer la guerre pour songer à lire un roman d’à peine 150 pages. Que peuvent les lettres face aux impératifs politiques, que peuvent quelques pages d’une écriture sèche et dépouillée de tout artifice face à la volonté de toute une nation d’en découdre ; probablement rien et l’Histoire s’en mord certainement les doigts.