L’une des conséquences attendues du succès considérable de Game of Thrones, à la télévision comme en librairie, est la réédition depuis quelques temps de nombreux livres de George Martin appartenant au domaine de la SF et de la fantasy. L’opportunisme de la démarche n’étonnera personne, et il serait malséant de reprocher aux éditeurs de tirer leur épingle du jeu, surtout en ces temps difficiles pour le secteur de l’édition, mais on se désolera néanmoins de la focalisation du public sur une oeuvre, certes plaisante par certains aspects, mais tout de même bien générique au regard de ce que la littérature a produit depuis vingt ans dans le domaine. Alors les éditeurs ont-ils raclé les fonds de tiroir pour satisfaire les lecteurs en mal de complétude, avides de découvrir l’intégralité de l’oeuvre de George Martin ? Eh bien pas cette fois, car avant de connaître le succès avec le Trône de fer, George Martin a roulé sa bosse et révisé ses gammes, remportant un succès modeste mais solide dans le domaine des littératures de l’imaginaire. Les textes qui composent ce recueil publié chez J’ai lu, enrichi dans cette réédition d’une nouvelle indédite, sont ceux d’un écrivain qui a déjà atteint toute la maturité de son talent et chose plus étonnante lorsque l’on connaît la propension de Martin à tirer à la ligne et à développer ses intrigues sur plusieurs tomes interminables, le bonhomme a un véritable talent pour la forme courte et sait se plier au format très particulier de la nouvelle. Un exercice dans lequel néanmoins, les écrivains anglo-saxons se montrent souvent plus à l’aise que leurs homologues francophones (ceci est juste une constatation, pas une règle absolue, certains écrivains francophones apprécient et excellent dans l’art de la nouvelle).
Les rois des sables se compose donc de sept textes de science-fiction qui se déroulent dans un univers de space opera que l’on peut tout à fait imaginer commun, même si George Martin n’est pas forcément explicite à ce sujet. Néanmoins, quelques indices le laissent présager, notamment les noms de planètes ou d’étoiles que l’on retrouve dans plusieurs nouvelles. On se plait ainsi à imaginer que chaque texte apporte un nouvel éclairage à cet univers composite, aux races extraterrestres et aux planètes qui le composent. Ce foisonnement, cette diversité exotique, n’est d’ailleurs pas sans donner une touche pulp à cet univers, avec néanmoins une profondeur de champ qui démarque nettement Martin de ses prédécesseurs de l’âge d’or ; on est loin des gentilles aventures d’un Flash Gordon ou d’un John Carter.
Le recueil commence avec un texte d’une efficacité redoutable. “Par la croix et le dragon” met en scène un puissant chevalier de l’Inquisition, envoyé par son supérieur (une sorte de pape moderne) sur la planète Arion pour mettre fin à une hérésie qui rassemble de plus en plus de fidèles. L’affrontement entre cet inquisiteur et le prélat hérétique est l’occasion pour l’auteur de démontrer toute l’étendue de son talent dans le domaine de la controverse théologique. Un débat qui met rapidement à nue toutes les contradictions sur lesquelles les religions sont fondées et révèle que le mensonge est souvent plus fédérateur que la vérité nue. De quoi ébranler la foi la plus solidement établie. On enchaîne ensuite avec une nouvelle beaucoup plus poétique, “Aprevères”, qui se déroule sur une planète glacée, soumise à des saisons extrêmement longues. Ce texte est une sorte de variation moderne sur le thème de Morgane (oui oui, la fée), qui envoûte le lecteur par son ambiance et sa narration très proche du conte. “Dans la maison du ver” est également une nouvelle qui tient par son ambiance extraordinaire, mais cette fois Martin abandonne le registre du conte pour celui de l’horreur. L’histoire se déroule sur une planète au bord de l’extinction, l’étoile autour de laquelle elle gravite est sur le point de mourir et les êtres qui la peuplent se sont enterrés dans les profondeurs du sol. Les hommes sont les plus proches de la surface et vivent dans le souvenir de leur gloire passée, perpétuant des traditions dont ils ont oublié les origines, se complaisant dans des rites cruels et vides de sens, fascinés par leur puissance désormais révolue. Dans les profondeurs, désormais laissées à l’abandon, vivent les Grouns, une autre race plus ou moins humanoïde, que les hommes chassent pour se procurer de la viande. Entre les deux peuples l’incompréhension est totale et ils en oublient qu’une autre menace gronde, bien plus terrifiante et létale. Un texte d’une grande efficacité, qui tient à son ambiance crépusculaire et à son rythme sans aucun temps mort. Divertissant certes, mais loin d’être vain.
“Vifs amis” apparaît comme le texte le plus faible du recueil, une histoire d’amour impossible entre un vieux baroudeur de l’espace et son ancienne petite amie, désormais fusionnée avec une créature de l’espace profond. Avec tout le respect que j’ai pour George Martin, il faut bien avouer que l’idée, pas forcément inintéressante, ne bénéficie pas d’un traitement à la hauteur des enjeux et la sauce ne prend jamais. Sans pour autant crier au génie, on sera un brin moins circonspect concernant “La cité de pierre”, qui met en scène l’équipage d’un vaisseau humain aux prises avec l’administration tatillonne d’une obscure planète gérée par les Dan’Laï, des hommes-renards aussi procéduriers que des fonctionnaires soviétiques. Bloqués sur la planète depuis plusieurs années faute de laisser-passer, les membres de l’équipage finissent par se perdre dans les vapeurs d’une drogue locale surpuissante ou par disparaître dans les méandres de l’étrange cité de pierre, vestiges d’une civilisation aujourd’hui disparue. Une nouvelle intelligemment construite, mais qui laisse quelque peu le lecteur sur sa faim.
“La dame des étoiles”, est probablement l’un des textes les plus réussis de ce recueil. Sur le “Caillou”, une planète de seconde zone peuplée des pires malandrins de la galaxie (proxénètes, coupe-jarets, dealers et autres raclures de bas étages), une jeune touriste et son compagnon (une sorte de créature enfantine et lunaire) sont détroussés au coin d’une ruelle sombre. Dépouillés de leur argent et de leurs papiers, ils sont condamnés à errer dans les bas fonds du caillou. Hal le poilu, maquereau de son état et as du couteau tombé en disgrâce, recueille les deux victimes, et s’empresse de les mettre sur le trottoir, car sa générosité a des limites et il faut bien survivre. Racailles en tous genres, créatures étranges, violence sociale, le caillou fascine par son authentique décor de polar, qui fleure bon la pègre de l’espace. On croirait la cantina de Mos Esley, en nettement moins accueillant, dans laquelle auraient échoué la belle au bois dormant et son prince charmant, un peu abruti mais gentil ; on se doute que ça va être leur fête et on s’en réjouit. Néanmoins, le texte vaut surtout pour sa chute, désespérante de cynisme mais tellement bien menée qu’on en redemande encore.
On termine ce recueil avec un autre morceau de choix, “Les rois des sables”, nouvelle qui met en scène un odieux connard du nom de Simon Kress qui aime collectionner les animaux exotiques et les renouveler le plus souvent possible. Il faut dire que les traitements qu’il leur inflige, des combats sanglants la plupart du temps, conduisent assez régulièrement à leur trépas. Cette fois Simon, dont le portefeuille paraît bien garni, fait l’acquisition d’étranges créatures sociales, les rois des sables. Ces insectes vivent en colonie selon une organisation remarquable, construisent des châteaux pour protéger leur reine et se font la guerre avec méthode, selon des stratégies que n’auraient pas reniées les plus grands généraux de l’histoire. Devenu leur Dieu, Simon n’a qu’une hâte, que ses colonies se développent rapidement pour qu’elles se livrent par la suite à des guerres fratricides, occasions en or pour organiser des paris juteux avec ses amis. Evidemment, Simon ne suit pas exactement les recommandations de son revendeur et se livre à des traitements d’une rare cruauté, ce qui, on l’imagine aisément, lui vaudra quelques déconvenues. Honnêtement, le déroulement de cette nouvelle est parfaitement prévisible, mais la narration est si bien menée et le rythme si bien maîtrisé, qu’on se laisse prendre au jeu. Quoi de plus jubilatoire en effet qu’un pervers pris à son propre jeu.