Il parle peu, frappe sec, conduit comme peu de gens savent le faire et ne se mêle jamais des affaires d’autrui. De lui nous ne saurons rien, ou si peu, sinon qu’il fut placé dans une famille d’accueil après que sa mère ait assassiné son père ; de toute façon, la pauvre femme était folle. Très tôt il montra des aptitudes étonnantes derrière un volant, si bien qu’il en fit rapidement son gagne-pain ; cascadeur sur les plateaux hollywoodiens le jour, chauffeur pour quelque casse bien juteux en ville la nuit ou les jours chômés. Il a peu d’amis, ne fréquente pas les femmes et de ses pensées secrètes ou de ses motivations nous ne connaîtrons rien. Le chauffeur ne bosse même pas pour l’argent, change sans cesse de domicile, comme s’il était incapable de s’attacher à quoi que ce soit de matériel. Il aime les bagnoles, mais elles sont avant tout un instrument de travail. Elles doivent être efficaces, précises, puissantes et fiables, la beauté de leur carrosserie importe peu. Le chauffeur est un professionnel et ne laisse rien au hasard ; il conduit, mène sa mission à bien, empoche sa part du butin et s’en retourne vers d’autres horizons. Du reste, il ne veut rien savoir. Jusqu’au jour où l’un de ses commanditaires tente de le doubler. Mauvaise idée, le chauffeur se transforme désormais en tueur, tout aussi efficace, tout aussi froid... impitoyable.
En moins de deux cents pages d’une écriture aride et sans fioriture, James Sallis nous offre un roman d’une rare intensité. Un exercice de style voire une leçon de maître dont devraient s’inspirer bon nombre de tâcherons à la plume paresseuse et à l’ambition démesurée. Violent, sombre, voire désespéré, Drive est par essence un roman behavioriste qui s’affranchit de toute psychologie inutile. L’homme se définit par ses actes et ses actes parlent pour lui. Sallis a soigné son style, dépouillé à l’extrême, maîtrise l’art de l'ellipse avec brio, au risque parfois de perdre le lecteur, et construit un roman complexe dans sa structure narrative mais pourtant limpide pour le lecteur. De l’Amérique le chauffeur n’attend rien, il prend et trace sa route, sans se retourner, sans prendre en considération les dommage collatéraux. Un individualiste qui erre sans but dans l’immensité des suburbs californiennes. Une vision certes parcellaire des Etats-Unis, mais dont le lecteur sort abasourdi, littéralement KO.
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samedi 16 avril 2011
mardi 12 avril 2011
Pavé à thèse : Effondrement, de Jared Diamond
Loin de la littérature pleine de sang et de fureur que ce blog offre habituellement, voici un gros pavé de réflexion qui connut son heure de gloire, et qui, n'en doutons pas, reviendra à la mode au gré des aléas climatiques. Car c'est d'environnement et de fluctuations climatiques, et de leurs conséquences sur les groupements humains, que parle le livre de Jared Diamond. A partir de quelques exemples à petite et moyenne échelle, il nous invite à une réflexion sur les limites du monde, sur notre environnement écologique et sur ce que nous en faisons.
Pour argumenter longuement sa thèse, il propose de multiples exemples d'effondrements de civilisations : l'île de Pâques, la plus emblématique, suite à une course au prestige et au gigantisme. Celui des établissements vikings du Groenland, incapables de s'adapter aux changements climatiques, tandis que leurs cousins islandais, eux, réussissaient. Dans le Pacifique, avec le même parallèle entre les îles qui réussissent à maintenir leur population et celle qui n'y arrivent pas. A la découverte de la disparition des Indiens Pueblo ou des Mayas. Une immense érudition est mise à profit pour relever toute la complexité des enchaînements qui prélude à la disparition de civilisations petites ou grandes.
On sent bien pointer les thèses maltusianistes et de décroissance derrière tout cela, mais Jared Diamond, ancien dirigeant de Greenpeace et sociologue averti, préfère nous laisser le soin des conclusions, sans jamais être manichéen. Car ce qui sauve les uns peut provoquer la perte des autres, si les bonnes décisions ne sont pas prises au bon moment. Et bienheureux celui qui sait et qui peut prendre la bonne décision au bon moment.
Troublant, c'est bien le mot qui convient pour cette lecture. Il nous entraine sur les parages de la survie, glissant d'une échelle à une autre, avançant des arguments dans un sens pour les retourner quelques pages plus loin, démontrant que si l'impact de l'environnement est primordial pour la survie, le libre-arbitre humain est incontournable.
Sa lecture ne laisse pas indifférente, et il n'est jamais trop tôt pour se demander si nous ne courrons pas à la catastrophe, quand les crises financières et économiques se rapprochent...
Polar pulpeux : The Blonde, de Duane Swierczynski
Illustre inconnu de ce côté ci de l’Atlantique, Duane Swierczynski n’en est pas moins un auteur confirmé de polars et de comics. The Blonde est le premier de ses romans à bénéficier d’une traduction française et le moins que l’on puisse dire c’est que Rivages/noir a une nouvelle fois déniché un p’tit gars prometteur. Revendiquant haut et fort son attachement aux pulps et à la littérature de genre, Duane Swierczynski nous offre un techno-thriller décomplexé, mené à tambour battant.
En pleine procédure de divorce Jack Eisley, journaliste à Chicago, se rend à Philadelphie pour négocier avec l’avocat de sa femme, un cador de la spécialité dont la réputation n’est plus à faire. A sa sortie de l’avion, Jack décide de prendre un verre avant de rejoindre son hôtel dans le centre-ville. A peine accoudé, une jolie blonde engage innocemment la conversation puis lui glisse en toute simplicité qu’elle vient de l’empoisonner. D’abord stupéfait, puis convaincu qu’il s’agit d’une blague ou d’une tentative de séduction extrêmement originale, Jack finit par la croire folle et la plante dans le bar avant de prendre un taxi. Mais conformément aux affirmations de la belle, une heure plus tard les symptômes promis par la jeune femme déclenchent nausées et vomissements. Au bord de la panique, Jack rebrousse chemin pour retrouver cette femme dont il ne sait rien et qui veut sa mort. Même ville, même heure, l’agent Kowalski, qui officie pour une section très spéciale des services secrets, est chargé de récupérer la tête d’un professeur d’université récemment décédé. Sur fond de complot et de menace nanotechnologique, les destins de ces trois personnages vont se croiser et déjouer les plans du cerveau machiavélique qui a orchestré cette machination.
Roman de divertissement par excellence, The blonde est l’archétype du thriller urbain moderne. Un rythme effréné, un scénario haletant et globalement bien ficelé (mais dont les bases restent assez peu vraissemblables), une écriture sèche et efficace et des personnages à la psychologie réduite à la portion congrue. La réussite d’un tel roman tient évidemment à l’alchimie obtenue à partir de tous ces éléments, mais Duane Swierczynski a su intelligemment user des codes du genre, tout en s’affranchissant de certains stéréotypes. Il prend ainsi un malin plaisir à inverser les rôles ; c’est la blonde de service qui mène la danse, elle élabore la stratégie, prend l’initiative, rend coup pour coup face à l’adversaire. Autant dire que Jack Eisley, anti-héros par excellence, ne sert que de faire-valoir. Sans compter que Swierczynski manie l’humour noir avec un certain talent, à tel point que certaines scènes frisent la parodie. The Blonde ne se prend pas au sérieux une seule seconde et cette distance salutaire en fait un divertissement tout à fait recommandable.
En pleine procédure de divorce Jack Eisley, journaliste à Chicago, se rend à Philadelphie pour négocier avec l’avocat de sa femme, un cador de la spécialité dont la réputation n’est plus à faire. A sa sortie de l’avion, Jack décide de prendre un verre avant de rejoindre son hôtel dans le centre-ville. A peine accoudé, une jolie blonde engage innocemment la conversation puis lui glisse en toute simplicité qu’elle vient de l’empoisonner. D’abord stupéfait, puis convaincu qu’il s’agit d’une blague ou d’une tentative de séduction extrêmement originale, Jack finit par la croire folle et la plante dans le bar avant de prendre un taxi. Mais conformément aux affirmations de la belle, une heure plus tard les symptômes promis par la jeune femme déclenchent nausées et vomissements. Au bord de la panique, Jack rebrousse chemin pour retrouver cette femme dont il ne sait rien et qui veut sa mort. Même ville, même heure, l’agent Kowalski, qui officie pour une section très spéciale des services secrets, est chargé de récupérer la tête d’un professeur d’université récemment décédé. Sur fond de complot et de menace nanotechnologique, les destins de ces trois personnages vont se croiser et déjouer les plans du cerveau machiavélique qui a orchestré cette machination.
Roman de divertissement par excellence, The blonde est l’archétype du thriller urbain moderne. Un rythme effréné, un scénario haletant et globalement bien ficelé (mais dont les bases restent assez peu vraissemblables), une écriture sèche et efficace et des personnages à la psychologie réduite à la portion congrue. La réussite d’un tel roman tient évidemment à l’alchimie obtenue à partir de tous ces éléments, mais Duane Swierczynski a su intelligemment user des codes du genre, tout en s’affranchissant de certains stéréotypes. Il prend ainsi un malin plaisir à inverser les rôles ; c’est la blonde de service qui mène la danse, elle élabore la stratégie, prend l’initiative, rend coup pour coup face à l’adversaire. Autant dire que Jack Eisley, anti-héros par excellence, ne sert que de faire-valoir. Sans compter que Swierczynski manie l’humour noir avec un certain talent, à tel point que certaines scènes frisent la parodie. The Blonde ne se prend pas au sérieux une seule seconde et cette distance salutaire en fait un divertissement tout à fait recommandable.
lundi 4 avril 2011
Poésie épique : Lavinia, d'Ursula K. Le Guin
« Comme Hélène de Sparte j'ai causé une guerre. La sienne, ce fut en se laissant prendre par les hommes qui la voulaient ; la mienne, en refusant d'être donnée, d'être prise, en choisissant mon homme et mon destin. L'homme était illustre, le destin obscur : un bon équilibre. »
De Lavinia, Virgile lui même ne donne qu’une description succincte, une phrase sibylline au détour de l’Enéide et qui résume la place de la jeune femme dans la tradition romaine, à savoir une simple épouse et une génitrice. Il n’est finalement pas tellement étonnant qu’Ursula K. Le Guin, dont le talent et la subtilité ne sont plus à prouver, s’intéresse à ce personnage secondaire pour en faire une douce héroïne au féminisme discret mais néanmoins affirmé. Pour autant, considérer Lavinia comme une réécriture de l’Enéide adoptant un point de vue féministe serait une erreur car la vision de l’auteur dépasse ce cadre. Lavinia est une plongée au coeur du mythe de la fondation de Rome éclairée sous deux angles à la fois, celui de la tradition latine et celui des discrets apports (dans le roman) de l’archéologie moderne. Une vision certes rêvée, mais empreinte d’un réalisme du quotidien tout à fait saisissant.
Lavinia commence donc non pas aux côtés d’Enée, rescapé d’une Troie désormais réduite en cendres, mais en Italie et plus précisément dans le Latium (au sud de l’actuelle Toscane). Le royaume est gouverné par le roi Latinus, un souverain qui a réussi à unifier les différentes tribus du Latium tout en préservant une paix durable avec les régions frontalières, notamment la puissante Etrurie. De son mariage avec la belle Atia, Latinus eut trois enfants, deux garçons et une fille, Lavinia, qui fut la seule à survivre à la maladie qui emporta ses frères à peine sortis de l’enfance. De cette tragédie, Atia ne se remit jamais, sombrant progressivement dans la folie, Latinus trouva donc refuge dans ses fonctions et dans l’amour que lui portait sa fille. Désormais âgée de près de dix-huit ans et prête à marier, Lavinia est une jeune-fille discrète et soucieuse de répondre à ses obligations familiales, mais néanmoins armée d’une volonté de fer. Courtisée par une demi-douzaine de prétendants, dont le puissant roi des Rutules qui n’est autre que son cousin Turnus, elle ne cesse pourtant de remettre son choix au lendemain. En réalité elle croit en une prophétie de l’oracle qui annonça à son père qu’elle épouserait un étranger et que de leur union naîtrait une descendance puissante, à l’origine du plus grand des empires. Ce destin, Lavinia veut l’accomplir, mais de sa ténacité naîtra la guerre, dès que les bateaux d’Enée et de ses Troyens accosteront sur les rives du Tibre.
“Oh, ma chère, a-t-il dit toujours aussi doucement. Mon inachevée, mon incomplète, mon inaccomplie.”
La narration est probablement l’un des aspects les plus intéressants de Lavinia. Imprégnée de l’Enéide, mais également d’autres auteurs classiques, bien au fait des avancées en matière d’archéologie, Ursula Le Guin mêle habilement les éléments du mythe et de la tradition latine, avec un certain réalisme purement hérité de la recherche historique, mais sans aucune lourdeur. Les gestes du quotidien, les rites et les coutumes des latins sont retranscrits avec une fidélité et un sens du détail qui octroient au roman une grande crédibilité, mais également une certaine proximité avec des personnages pourtant mythiques et par définition irréels. Plus surprenant, Le Guin convoque Virgile en personne à l’occasion de quelques scènes surprenantes où l’auteur latin fait quasiment office d’oracle auprès de Lavinia. Des interventions limitées au fil du texte, mais porteuses de sens. Lavinia s’est ainsi échappée de son carcan littéraire, qui lui réservait un rôle bien trop effacé, son créateur peut désormais la voir s’épanouir avant de s’effacer lui-même définitivement. Un geste d’une grande poésie, qui permet à l’auteur de s’affranchir de la tradition littéraire, mais qui prend également une résonance particulière à la lumière de récents propos d’Ursula K. Le Guin affirmant qu’elle en avait probablement terminé avec la fiction. Un bien beau testament littéraire, qui couronne la carrière exemplaire d’une grande dame de la littérature. Souhaitons qu’à l’image de certains artistes, Ursula K. Le Guin (âgée tout de même de 81 ans) revienne sur cette décision pour nous régaler à nouveau de sa plume exceptionnelle.
lundi 21 mars 2011
Space opera poussif : Janus, de Alastair Reynolds
Souvent présenté comme le fer de la lance du nouveau space opera, ou bien comme le “p’tit nouveau qui n’en veut”, c’est selon, Alastair Reynolds est désormais un écrivain de science-fiction confirmé, à qui l’on doit quelques réussites, notamment les deux premiers volets du cycle des Inhibiteurs, mais également quelques gamelles de premier ordre, comme La pluie du siècle. N’en déplaise à certains, les petits défauts que l’on pouvait pardonner à un jeune auteur et que Reynolds semble traîner comme un boulet depuis son premier roman, ne sont désormais plus excusables. La question est de savoir si avec Janus (“Pushing Ice” en VO) l’écrivain britannique s’est enfin transcendé pour nous offrir un roman de science-fiction incontournable.
2057. Système solaire. Banlieue de Saturne. Modeste lune de la géante gazeuse, d’un diamètre inférieur à 200 km, Janus quitte subitement son orbite et, à la surprise de l’ensemble des scientifiques humains, se dirige à une vitesse de plus en plus importante en direction de Spica ; une étoile de la constellation de la vierge, située à plus de 16 années lumière. En réalité, Janus n’est pas une véritable lune, mais un artefact extraterrestre doté d’une technologie extrêmement avancée. Problème, aucune équipe scientifique n’est en mesure de rejoindre Janus pour l’étudier avant que le satellite ne quitte le système solaire. Seule l’équipage du Rockhopper, un pousseur de glace dont la mission consiste à capturer des comètes, est capable de rattraper Janus. Poussés par l’appât du gain, les dirigeants du conglomérat privé auquel appartient le vaisseau, encouragent moyennant finance l’équipage à accepter la mission. Les deux cents hommes et femmes d’équipage se lancent alors à la poursuite de l’artefact extraterrestre, en vue d’en tirer le maximum de bénéfice en un minimum de temps. Hélas le deal est biaisé et le vaisseau se retrouve rapidement entraîné dans le sillage de Janus et dans l’incapacité totale de rebrousser chemin en direction de la Terre. Après une mutinerie en règle, l’équipage s’installe donc sur ce caillou qui fonce à une vitesse proche de la lumière vers Spica. Pour survivre, il leur faudra apprendre à exploiter les ressources offertes par Janus, à en déjouer les pièges et les dangers. Un voyage long et épuisant avec pour objectif l’inconnu.
N’y allons pas par quatre chemins, Janus est certes plus proche de L’espace de la révélation que de La pluie du siècle, mais globalement nous avons encore affaire à un roman bourré de qualités et d’idées lumineuses (notamment lorsqu’il joue avec les concepts relativistes), plombé par un style insipide, des dialogues totalement foirés et des personnages parfois à la limite de la caricature (pas tous heureusement). La première moitié de ce roman de près de six cents pages est d’un ennui consommé. Malgré les enjeux liés à la survie de l’équipage, Reynolds ne parvient à soulever que mollement l’intérêt du lecteur, l’intrigue étant focalisée sur l’affrontement entre deux femmes, Bella, capitaine déchue du Rockhopper, et Svetlanna, ingénieur en chef qui s’est emparée du pouvoir. Le coup des meilleures amies du monde devenant ennemies irréductibles, les renversements politiques à la petite semaine, le clivage entre les deux factions de l’équipage, les questions amorcées en début d’ouvrage et jamais résolues ou ne laissant la porte ouverte qu’à une suite, tout cela n’est pas bien nouveau et relève des ficelles habituelles de l’auteur. Reynolds commence à avoir la fâcheuse habitude de recycler son fonds de commerce et ce qui pouvait fasciner au premier roman commence sérieusement à sentir le réchauffé, voire le cramé. Les Big Dumb Objects déclinés à toutes les sauces sur six romans, ça commence sérieusement à bien faire. Il va falloir innover Mister Reynolds, ou bien les lecteurs se lasseront. Alors certes, le roman est émaillé de beaux passages et l’action décolle dans la seconde partie, par ailleurs Reynolds jongle toujours aussi habilement avec les concepts scientifiques et techniques, mais c’est très nettement insuffisant pour convaincre. D’autant plus que, comme les trois romans précédents de l’auteur, ce Janus est décidément atteint de surcharge pondérale, avec une intrigue ramassée sur trois cents pages de moins, ce nouvel opus d’Alstair Reynolds serait hautement plus digeste ; à croire que l’éditeur anglo-saxon a lui aussi bâclé son travail.
2057. Système solaire. Banlieue de Saturne. Modeste lune de la géante gazeuse, d’un diamètre inférieur à 200 km, Janus quitte subitement son orbite et, à la surprise de l’ensemble des scientifiques humains, se dirige à une vitesse de plus en plus importante en direction de Spica ; une étoile de la constellation de la vierge, située à plus de 16 années lumière. En réalité, Janus n’est pas une véritable lune, mais un artefact extraterrestre doté d’une technologie extrêmement avancée. Problème, aucune équipe scientifique n’est en mesure de rejoindre Janus pour l’étudier avant que le satellite ne quitte le système solaire. Seule l’équipage du Rockhopper, un pousseur de glace dont la mission consiste à capturer des comètes, est capable de rattraper Janus. Poussés par l’appât du gain, les dirigeants du conglomérat privé auquel appartient le vaisseau, encouragent moyennant finance l’équipage à accepter la mission. Les deux cents hommes et femmes d’équipage se lancent alors à la poursuite de l’artefact extraterrestre, en vue d’en tirer le maximum de bénéfice en un minimum de temps. Hélas le deal est biaisé et le vaisseau se retrouve rapidement entraîné dans le sillage de Janus et dans l’incapacité totale de rebrousser chemin en direction de la Terre. Après une mutinerie en règle, l’équipage s’installe donc sur ce caillou qui fonce à une vitesse proche de la lumière vers Spica. Pour survivre, il leur faudra apprendre à exploiter les ressources offertes par Janus, à en déjouer les pièges et les dangers. Un voyage long et épuisant avec pour objectif l’inconnu.
N’y allons pas par quatre chemins, Janus est certes plus proche de L’espace de la révélation que de La pluie du siècle, mais globalement nous avons encore affaire à un roman bourré de qualités et d’idées lumineuses (notamment lorsqu’il joue avec les concepts relativistes), plombé par un style insipide, des dialogues totalement foirés et des personnages parfois à la limite de la caricature (pas tous heureusement). La première moitié de ce roman de près de six cents pages est d’un ennui consommé. Malgré les enjeux liés à la survie de l’équipage, Reynolds ne parvient à soulever que mollement l’intérêt du lecteur, l’intrigue étant focalisée sur l’affrontement entre deux femmes, Bella, capitaine déchue du Rockhopper, et Svetlanna, ingénieur en chef qui s’est emparée du pouvoir. Le coup des meilleures amies du monde devenant ennemies irréductibles, les renversements politiques à la petite semaine, le clivage entre les deux factions de l’équipage, les questions amorcées en début d’ouvrage et jamais résolues ou ne laissant la porte ouverte qu’à une suite, tout cela n’est pas bien nouveau et relève des ficelles habituelles de l’auteur. Reynolds commence à avoir la fâcheuse habitude de recycler son fonds de commerce et ce qui pouvait fasciner au premier roman commence sérieusement à sentir le réchauffé, voire le cramé. Les Big Dumb Objects déclinés à toutes les sauces sur six romans, ça commence sérieusement à bien faire. Il va falloir innover Mister Reynolds, ou bien les lecteurs se lasseront. Alors certes, le roman est émaillé de beaux passages et l’action décolle dans la seconde partie, par ailleurs Reynolds jongle toujours aussi habilement avec les concepts scientifiques et techniques, mais c’est très nettement insuffisant pour convaincre. D’autant plus que, comme les trois romans précédents de l’auteur, ce Janus est décidément atteint de surcharge pondérale, avec une intrigue ramassée sur trois cents pages de moins, ce nouvel opus d’Alstair Reynolds serait hautement plus digeste ; à croire que l’éditeur anglo-saxon a lui aussi bâclé son travail.
vendredi 4 mars 2011
Polar bien noir : Miami blues, de Charles Willeford
Largement ignoré du grand public et parfois abusivement considéré comme un second couteau, Charles Willeford fait pourtant partie des auteurs majeurs du roman noir américain. Ecrivain maudit sans cesse à la poursuite du succès, outrageusement talentueux mais constamment boudé du public, Willeford est de ceux dont la vie aussi bien que la plume forcent le respect. Tantôt soldat, écrivain, soldat à nouveau, écrivain et enfin enseignant à l’université de Floride, il alterne les périodes d’écriture avec les phases de profond dégoût, voire de dépression. Il sombre dans l’alcool puis l’appel de l’écriture est à nouveau le plus fort. En 1984, Willeford publie Miami blues, un polar sombre et violent, qui contre toute attente rencontre le succès. Carton plein pour l’auteur, dont le talent est enfin reconnu à sa juste valeur. Face au succès et à la pression de son éditeur, il écrit plusieurs suites mais ne profitera même pas de l’avance de 225 000 dollars qu’il obtient pour son dernier roman, terrassé par une crise cardiaque une semaine après la sortie de Ainsi va la mort.
Miami blues a ceci de particulier qu’il met en scène deux parfaits anti-héros : Hoke Moseley, flic expérimenté mais fatigué de la police de Miami, et Frederic J. Frenger, alias Junior, dangereux psychopathe tout droit venu de Californie. Le roman n’est pas sans rappeler Un tueur sur la route de James Ellroy (publié deux ans plus tard) ou bien encore les livres parfaitement déjantés de Tim Dorsey (autre auteur de la vague floridienne) en moins drôle. L’histoire démarre néanmoins de manière assez saugrenue. Alors qu’il débarque à l’aéroport de Miami, Junior se débarrasse, en lui cassant le doigt, d’un jeune homme qui tentait de lui soutirer quelques dollars pour une cause obscure. Sans le savoir, Junior l’a en réalité tué ; l’homme, en état de choc, succombe à cette blessure en apparence anodine avant même que les secours ne soient sur place. Junior quant à lui, a décidé de se mettre au travail. Il loue une chambre dans un hôtel luxueux et s’empresse de se rencarder sur les possibilités offertes par la ville de Miami en matière de criminalité avec violence, mais avant d’explorer la cité floridienne il se paie du bon temps avec une prostituée. Coup du sort incroyable, la jeune fille (Susan) se trouve être la soeur de l’homme qu’il vient d’assassiner. Commence alors avec le sergent Hoke Moseley, à qui l’affaire vient d’être confiée, un jeu du chat et de la souris pour lequel notre psychopathe est loin d’être démuni.
En apparence tirée par les cheveux, la trame de Miami blues est en réalité extrêmement bien troussée et repose sur la relation ambiguë qui lie les trois principaux personnages (Moseley, Junior et Susan) du roman. Tous les trois sont en situation d’échec social. Moseley est divorcé, il vit dans une chambre d’hôtel minable sans réussir à joindre les deux bouts, porte un dentier qu’il a du mal à assumer, ne voit sa fille que deux fois par an et a du mal à gérer ses relations avec les femmes. Junior/Freddy, est incapable de s’insérer dans la société ; dangereux, violent, intelligent (ou tout du moins calculateur) il aspire pourtant à vivre une vie normale puisqu’il tente par tous les moyens de donner à la relation qu’il entretient avec Susan les apparences de la normalité (il s’installe avec la jeune fille dans une petite maison, part tous les matins détrousser les passants au centre commercial, comme s’il s’agissait d’un boulot respectable). Quant à Susan, elle incarne la parfaite petite femme d’intérieur, prépare de bons petits plats pour son psychopathe de mari, accepte toutes les humilations (sexuelles comme psychologiques) en filant le parfait amour avec Junior/Freddy. En réalité c’est toute la société américaine, symbolisée par la très édifiante ville de Miami, qui semble gangrenée par la violence et la schizophrénie sociale (voire sociétale). La violence explose à tous les coins de rue dans une ville assaillie par des vagues d’immigrés cubains, les classes moyennes blanches fuient et se replient dans les banlieues sécurisées, les filcs pétent les plombs et les criminels s’en donnent à coeur joie. Alors chacun se donne une apparence et tente de préserver son intégrité en se raccrochant aux lambeaux d’une vie affreusement matérialiste et anxiogène.
Miami blues a ceci de particulier qu’il met en scène deux parfaits anti-héros : Hoke Moseley, flic expérimenté mais fatigué de la police de Miami, et Frederic J. Frenger, alias Junior, dangereux psychopathe tout droit venu de Californie. Le roman n’est pas sans rappeler Un tueur sur la route de James Ellroy (publié deux ans plus tard) ou bien encore les livres parfaitement déjantés de Tim Dorsey (autre auteur de la vague floridienne) en moins drôle. L’histoire démarre néanmoins de manière assez saugrenue. Alors qu’il débarque à l’aéroport de Miami, Junior se débarrasse, en lui cassant le doigt, d’un jeune homme qui tentait de lui soutirer quelques dollars pour une cause obscure. Sans le savoir, Junior l’a en réalité tué ; l’homme, en état de choc, succombe à cette blessure en apparence anodine avant même que les secours ne soient sur place. Junior quant à lui, a décidé de se mettre au travail. Il loue une chambre dans un hôtel luxueux et s’empresse de se rencarder sur les possibilités offertes par la ville de Miami en matière de criminalité avec violence, mais avant d’explorer la cité floridienne il se paie du bon temps avec une prostituée. Coup du sort incroyable, la jeune fille (Susan) se trouve être la soeur de l’homme qu’il vient d’assassiner. Commence alors avec le sergent Hoke Moseley, à qui l’affaire vient d’être confiée, un jeu du chat et de la souris pour lequel notre psychopathe est loin d’être démuni.
En apparence tirée par les cheveux, la trame de Miami blues est en réalité extrêmement bien troussée et repose sur la relation ambiguë qui lie les trois principaux personnages (Moseley, Junior et Susan) du roman. Tous les trois sont en situation d’échec social. Moseley est divorcé, il vit dans une chambre d’hôtel minable sans réussir à joindre les deux bouts, porte un dentier qu’il a du mal à assumer, ne voit sa fille que deux fois par an et a du mal à gérer ses relations avec les femmes. Junior/Freddy, est incapable de s’insérer dans la société ; dangereux, violent, intelligent (ou tout du moins calculateur) il aspire pourtant à vivre une vie normale puisqu’il tente par tous les moyens de donner à la relation qu’il entretient avec Susan les apparences de la normalité (il s’installe avec la jeune fille dans une petite maison, part tous les matins détrousser les passants au centre commercial, comme s’il s’agissait d’un boulot respectable). Quant à Susan, elle incarne la parfaite petite femme d’intérieur, prépare de bons petits plats pour son psychopathe de mari, accepte toutes les humilations (sexuelles comme psychologiques) en filant le parfait amour avec Junior/Freddy. En réalité c’est toute la société américaine, symbolisée par la très édifiante ville de Miami, qui semble gangrenée par la violence et la schizophrénie sociale (voire sociétale). La violence explose à tous les coins de rue dans une ville assaillie par des vagues d’immigrés cubains, les classes moyennes blanches fuient et se replient dans les banlieues sécurisées, les filcs pétent les plombs et les criminels s’en donnent à coeur joie. Alors chacun se donne une apparence et tente de préserver son intégrité en se raccrochant aux lambeaux d’une vie affreusement matérialiste et anxiogène.
lundi 21 février 2011
Fantasy darky : La compagnie noire, de Glenn Cook
L’écrivain américain Glenn Cook est surtout connu pour être l’auteur du cycle de la Compagnie noire, une série à succès que d’aucuns affirment classer dans la dark fantasy. On n’épiloguera pas ad vitam eternam sur ce qualificatif, qui visiblement a été amputé de son sens premier en franchissant l’Atlantique. Alors que les anglo-saxons l’emploient essentiellement pour cataloguer les oeuvre relevant du fantastique horrifique, les fans français considèrent que la dark fantasy est une variante de l’heroic fantasy dont les protagonistes ne seraient plus les sauveurs du monde, mais plutôt les potes de Sauron. Honnêtement, la polémique fleure bon l’odeur de moisi et les classifications étant le plus souvent abusives, on se contentera d’en sourire et d’attaquer l’oeuvre proprement dite. La compagnie noire bénéficie d’une réputation plutôt élogieuse (les onze tomes de la série prouvent que le succès commercial est au rendez-vous) et la lecture du pitch laisse apparaître quelques bonnes idées, surtout pour les lecteurs fatigués de suivre les aventures de héros falots et pleins de bons sentiments. Cook nous promet une histoire plus sombre, plus mature et beaucoup moins manichéenne. On demande à voir, mais surtout on se procure la version poche à pas cher parce que tout de même on n’est pas vraiment rassuré par la lecture des premières pages.
Le scénario n’a, à priori, rien de compliqué, sous la plume du narrateur (appelé Doc), nous découvrons l’engagement d’une compagnie de mercenaires pas vraiment sans foi ni loi au service de la Dame, une puissante souveraine dont les desseins paraissent sinon maléfiques au moins obscurs. Sans le savoir, les hommes de la compagnie noire ont en réalité accepté un marché de dupe et ont pris position dans un conflit séculaire qui oppose des forces qui les dépassent. Installée dans la cité de Beryl, au service d’un dirigeant dont les jours au pouvoir semblent comptés, la compagnie noire doit faire face à la contestation populaire et fuit la ville après avoir plus ou moins massacré la garnison. Ils franchissent la mer en direction du Nord après avoir accepté l’offre de l’homme lige de la Dame et s’engagent à rejoindre le gros de ses forces. Durant le voyage, Doc dévoile quelques éléments supplémentaires. On apprend que dans les temps anciens, le Dominateur et son épouse (la Dame) maintenaient leur emprise implacable sur le monde. Pour mettre fin à leur règne machiavélique, la Rose Blanche, une puissante magicienne de la Rébellion, faute de pouvoir détruire définitivement leur pouvoir, les enterra vivants dans un tombeau en compagnie de leurs dix asservis (des mages très puissants). Comme toutes les bonnes choses ont une fin, le mal tente à nouveau d’étendre son emprise sur le monde et les forces du bien se soulèvent contre le pouvoir renaissant de la Dame et de ses asservis.
C’est suffisamment rare pour être souligné, mais après cent cinquante pages d’une lecture poussive et confuse La compagnie noire a eu raison de ma patience. J’avoue rester dubitatif quant-au succès remporté par cette série, même si je suis capable de lui reconnaître certaines qualités, notamment la volonté affichée par son auteur de sortir des canons du genre et de tenter une approche plus mature. Hélas la lecture de l’ouvrage se révèle d’un ennui mortel. Les enjeux restent obscurs, les forces en présence demeurent floues, les personnage manquent singulièrement de substance. Cook nous plonge directement dans le bain, sans explication, ce serait formidable si l’auteur savait dans quelle direction mener sa barque, mais le sentiment de voguer à vue persiste tout au long des cent premières pages, voire davantage. Cet aspect brouillon du roman use la patience du lecteur, qui aimerait bien comprendre ce qui se passe. Même les promesses initiales ne semblent pas tenues, on assiste bien à un massacre en règle au début du roman, puisque la compagnie égorge une garnison complète par surprise (comprendre, pendant que les hommes se reposaient), il est vrai que c’est assez vil, mais quelques chapitres plus loin, Doc et ses acolytes sauvent un petit vieux et une gamine qui se faisaient violenter par des brutes appartenant à une compagnie alliée. La gamine, surnommée Chérie est ensuite adoptée comme mascotte. De vrais durs on vous dit. Avec une écriture de grande qualité on pourrait s’y retrouver et lire pour la beauté du texte, hélas, Cook n’est pas exactement un grand styliste ; les descriptions sont sommaires et ses dialogues pour le moins basiques. Quant à la construction narrative elle brille par son classicisme. L’ambiguïté du propos, la gestion efficace de l’ellipse, les potentialités cachées du non-dit, autant d’éléments qui sont les ingrédients d’un roman de qualité, mais qui, mal maîtrisés, tombent littéralement à plat et ne participent qu’à la confusion du lecteur. Suis-je trop obtus pour comprendre le génie de Glenn Cook, sans doute, mais les romans dont j’ai lâché la lecture après cent cinquante pages se comptent sur les doigts de la main.
Le scénario n’a, à priori, rien de compliqué, sous la plume du narrateur (appelé Doc), nous découvrons l’engagement d’une compagnie de mercenaires pas vraiment sans foi ni loi au service de la Dame, une puissante souveraine dont les desseins paraissent sinon maléfiques au moins obscurs. Sans le savoir, les hommes de la compagnie noire ont en réalité accepté un marché de dupe et ont pris position dans un conflit séculaire qui oppose des forces qui les dépassent. Installée dans la cité de Beryl, au service d’un dirigeant dont les jours au pouvoir semblent comptés, la compagnie noire doit faire face à la contestation populaire et fuit la ville après avoir plus ou moins massacré la garnison. Ils franchissent la mer en direction du Nord après avoir accepté l’offre de l’homme lige de la Dame et s’engagent à rejoindre le gros de ses forces. Durant le voyage, Doc dévoile quelques éléments supplémentaires. On apprend que dans les temps anciens, le Dominateur et son épouse (la Dame) maintenaient leur emprise implacable sur le monde. Pour mettre fin à leur règne machiavélique, la Rose Blanche, une puissante magicienne de la Rébellion, faute de pouvoir détruire définitivement leur pouvoir, les enterra vivants dans un tombeau en compagnie de leurs dix asservis (des mages très puissants). Comme toutes les bonnes choses ont une fin, le mal tente à nouveau d’étendre son emprise sur le monde et les forces du bien se soulèvent contre le pouvoir renaissant de la Dame et de ses asservis.
C’est suffisamment rare pour être souligné, mais après cent cinquante pages d’une lecture poussive et confuse La compagnie noire a eu raison de ma patience. J’avoue rester dubitatif quant-au succès remporté par cette série, même si je suis capable de lui reconnaître certaines qualités, notamment la volonté affichée par son auteur de sortir des canons du genre et de tenter une approche plus mature. Hélas la lecture de l’ouvrage se révèle d’un ennui mortel. Les enjeux restent obscurs, les forces en présence demeurent floues, les personnage manquent singulièrement de substance. Cook nous plonge directement dans le bain, sans explication, ce serait formidable si l’auteur savait dans quelle direction mener sa barque, mais le sentiment de voguer à vue persiste tout au long des cent premières pages, voire davantage. Cet aspect brouillon du roman use la patience du lecteur, qui aimerait bien comprendre ce qui se passe. Même les promesses initiales ne semblent pas tenues, on assiste bien à un massacre en règle au début du roman, puisque la compagnie égorge une garnison complète par surprise (comprendre, pendant que les hommes se reposaient), il est vrai que c’est assez vil, mais quelques chapitres plus loin, Doc et ses acolytes sauvent un petit vieux et une gamine qui se faisaient violenter par des brutes appartenant à une compagnie alliée. La gamine, surnommée Chérie est ensuite adoptée comme mascotte. De vrais durs on vous dit. Avec une écriture de grande qualité on pourrait s’y retrouver et lire pour la beauté du texte, hélas, Cook n’est pas exactement un grand styliste ; les descriptions sont sommaires et ses dialogues pour le moins basiques. Quant à la construction narrative elle brille par son classicisme. L’ambiguïté du propos, la gestion efficace de l’ellipse, les potentialités cachées du non-dit, autant d’éléments qui sont les ingrédients d’un roman de qualité, mais qui, mal maîtrisés, tombent littéralement à plat et ne participent qu’à la confusion du lecteur. Suis-je trop obtus pour comprendre le génie de Glenn Cook, sans doute, mais les romans dont j’ai lâché la lecture après cent cinquante pages se comptent sur les doigts de la main.
mercredi 9 février 2011
Mexico connection : Cosa Facil, de Paco Ignacio Taibo II
Ecrivain engagé, et pour cause le bonhomme est né dans une famille d’anarcho-syndicalistes espagnols, Paco Ignacio Taibo II est un auteur atypique. Naturalisé Mexicain vers l’âge de dix ans, il partage désormais sa vie entre le Mexique, l’Espagne et la France. Auteur d’une biographie passionnante de Che Guevara et d’un livre co-écrit avec le sous-commandant Marcos, Paco Ignacio Taibo II a surtout rencontré le succès grâce aux enquêtes du détective Hector Balascoaran Shayne, détective privé mexicain aux origines basques et irlandaises.
Cosa Facil est le second roman de la série Balascoaran. Ecrit au milieu des années 70, alors que le Mexique connaît pour quelques années encore une importante croissance économique et l’émergence d’une véritable classe moyenne, Cosa Facil laisse apparaître quelques lignes de cassure. Le miracle mexicain touche à sa fin, la machine se grippe et les syndicats montent au créneau. C’est là qu’entre en marche la répression étatique et policière. Le roman illustre à merveille ce basculement dans la violence sociale et économique liée à la libéralisation de la société mexicaine, et c’est probablement ce qui en fait toute la force. Au milieu de ce chaos annoncé, qui pour le moment n’en est pas encore un, Hector Balascoaran Shayne, ex-ingénieur aujourd’hui détective sans le sou, partage ses bureaux avec un plombier, un tapissier et un ingénieur spécialiste des canalisations et des égouts. Hector Balascoaran Shayne, que l’on nommera par ses initiales HBC, c’est plus court, mène une vie pour le moins compliquée. Sa vie sentimentale est un champ de ruines et ses affaires lui rapportent plus de coups et de blessures que de pesos. Cette fois, notre détective doit mener trois affaires de front : un illustre illuminé, persuadé que Zapata n’a jamais été assassiné, lui demande de se lancer à sa recherche, une actrice populaire sur le déclin charge HBC de veiller sur sa fille victime de plusieurs agressions, enfin, les dirigeants d’une grosse entreprise de Mexico lui demandent d’enquêter sur l’assassinat d’un ingénieur dans une usine secouée par un mouvement de grève important.
“Si vous me demandez pourquoi il est détective privé, je serais bien en peine de vous répondre. Il est évident qu’à certains moments, il préférerait ne pas l’être, comme il y a des moments où je préférerais être n’importe quoi, sauf écrivain.”
Raymond Chandler
Ce qui fascine au premier abord dans le personnage de HBS c’est qu’il s’inscrit dans la longue tradition du polar hard-boiled. Il s’agit d’un détective dans le plus pur style behavioriste (un dur à cuire capable d’une grande finesse d’analyse, sensible, profondément solitaire mais gardant les pieds ancrés dans la réalité sociale), qui s’éloigne toutefois des canons du genre pour mieux se singulariser (a obtenu sa licence en suivant des cours par correspondance, se déplace la plupart du temps en bus, consomme des sodas plutôt que du whisky, partage son bureau avec trois autre énergumènes, très proche de ses frères et soeurs qu’il met souvent à contribution pour ses enquêtes). Globalement HBS reste un redresseur de torts, un défenseur de la veuve et de l’orphelin incapable de mener une enquête qui entrerait en conflit avec ses propres préceptes moraux, philosophiques ou politiques (fortement ancrés à gauche), l'appât du gain n’est pas sa première motivation, son moteur c’est l’adrénaline que lui procure son boulot, c’est d’une certaine manière sa liberté d’action et de choix, qui l’autorise régulièrement à envoyer bouler son employeur. HBS surprend souvent, déçoit rarement, mais reste profondément humain, il n’est pas infaillible et reçoit régulièrement son lot de grosses galères. Bref, il est tout simplement l’archétype de l’anti-héros attachant. L’autre force de Paco Ignacio Taibo II, c’est sa capacité à ancrer son héros et ses enquêtes dans le réel, chaque roman est l’occasion de plonger au coeur de la société mexicaine, d’en comprendre les lignes de fracture et les enjeux (émergence des revendications de la classe moyenne, corruption, violences policières, zones de non droit et impunité des politiques). C’est d’ailleurs l’occasion pour l’auteur d’étaler toute sa science du détail.
Dernière qualité et pas des moindres. Paco Ignacio Taibo II est un écrivain qui sait prendre son temps. Il s’attarde sur des descriptions à priori futiles, mais finalement lourdes de sens, nous plonge dans les réflexions perplexes de son détective, nous permet de partager quelques tranches de vie savoureuses. Bref, tout ce qui fait les qualités d’un bon roman, mais fait hélas défaut à nombre de polars trop attachés à la notion de suspense, un artifice dont Paco Ignacio Taibo II sait parfaitement se passer.
Cosa Facil est le second roman de la série Balascoaran. Ecrit au milieu des années 70, alors que le Mexique connaît pour quelques années encore une importante croissance économique et l’émergence d’une véritable classe moyenne, Cosa Facil laisse apparaître quelques lignes de cassure. Le miracle mexicain touche à sa fin, la machine se grippe et les syndicats montent au créneau. C’est là qu’entre en marche la répression étatique et policière. Le roman illustre à merveille ce basculement dans la violence sociale et économique liée à la libéralisation de la société mexicaine, et c’est probablement ce qui en fait toute la force. Au milieu de ce chaos annoncé, qui pour le moment n’en est pas encore un, Hector Balascoaran Shayne, ex-ingénieur aujourd’hui détective sans le sou, partage ses bureaux avec un plombier, un tapissier et un ingénieur spécialiste des canalisations et des égouts. Hector Balascoaran Shayne, que l’on nommera par ses initiales HBC, c’est plus court, mène une vie pour le moins compliquée. Sa vie sentimentale est un champ de ruines et ses affaires lui rapportent plus de coups et de blessures que de pesos. Cette fois, notre détective doit mener trois affaires de front : un illustre illuminé, persuadé que Zapata n’a jamais été assassiné, lui demande de se lancer à sa recherche, une actrice populaire sur le déclin charge HBC de veiller sur sa fille victime de plusieurs agressions, enfin, les dirigeants d’une grosse entreprise de Mexico lui demandent d’enquêter sur l’assassinat d’un ingénieur dans une usine secouée par un mouvement de grève important.
“Si vous me demandez pourquoi il est détective privé, je serais bien en peine de vous répondre. Il est évident qu’à certains moments, il préférerait ne pas l’être, comme il y a des moments où je préférerais être n’importe quoi, sauf écrivain.”
Raymond Chandler
Ce qui fascine au premier abord dans le personnage de HBS c’est qu’il s’inscrit dans la longue tradition du polar hard-boiled. Il s’agit d’un détective dans le plus pur style behavioriste (un dur à cuire capable d’une grande finesse d’analyse, sensible, profondément solitaire mais gardant les pieds ancrés dans la réalité sociale), qui s’éloigne toutefois des canons du genre pour mieux se singulariser (a obtenu sa licence en suivant des cours par correspondance, se déplace la plupart du temps en bus, consomme des sodas plutôt que du whisky, partage son bureau avec trois autre énergumènes, très proche de ses frères et soeurs qu’il met souvent à contribution pour ses enquêtes). Globalement HBS reste un redresseur de torts, un défenseur de la veuve et de l’orphelin incapable de mener une enquête qui entrerait en conflit avec ses propres préceptes moraux, philosophiques ou politiques (fortement ancrés à gauche), l'appât du gain n’est pas sa première motivation, son moteur c’est l’adrénaline que lui procure son boulot, c’est d’une certaine manière sa liberté d’action et de choix, qui l’autorise régulièrement à envoyer bouler son employeur. HBS surprend souvent, déçoit rarement, mais reste profondément humain, il n’est pas infaillible et reçoit régulièrement son lot de grosses galères. Bref, il est tout simplement l’archétype de l’anti-héros attachant. L’autre force de Paco Ignacio Taibo II, c’est sa capacité à ancrer son héros et ses enquêtes dans le réel, chaque roman est l’occasion de plonger au coeur de la société mexicaine, d’en comprendre les lignes de fracture et les enjeux (émergence des revendications de la classe moyenne, corruption, violences policières, zones de non droit et impunité des politiques). C’est d’ailleurs l’occasion pour l’auteur d’étaler toute sa science du détail.
Dernière qualité et pas des moindres. Paco Ignacio Taibo II est un écrivain qui sait prendre son temps. Il s’attarde sur des descriptions à priori futiles, mais finalement lourdes de sens, nous plonge dans les réflexions perplexes de son détective, nous permet de partager quelques tranches de vie savoureuses. Bref, tout ce qui fait les qualités d’un bon roman, mais fait hélas défaut à nombre de polars trop attachés à la notion de suspense, un artifice dont Paco Ignacio Taibo II sait parfaitement se passer.
mardi 8 février 2011
Polars pop corn : Le Faucheux (J. Sallis) / Signé Moutain (P. Corris)
Un billet rapide pour signaler deux polars sympathiques, mais qui ne méritent pas à proprement parler une chronique de 3000 signes. Le premier était attendu puisqu’il s’agit du Faucheux de James Sallis, auteur dont j’avais entendu le plus grand bien ici et là et dont j’attendais forcément beaucoup. Inévitablement, les chances d’être déçu augmentent sensiblement dans ce cas de figure. Ce roman, qui n’en est pas exactement un, est en réalité un fixup composé de quatre nouvelles mettant en scène Lew Griffin, ex barbouze devenu détective privé à la Nouvelle Orléans. Un grand black tout en muscles porté sur la bouteille, appelé à de multiples reprises à sauver la veuve et l’orphelin. Mouais, honnêtement j’attendais mieux de Sallis, porté aux nues par certains de mes camarades et souvent encensé par la critique. Le personnage est légèrement binaire, très américain sans son attitude et ses conceptions du bien et du mal (normal après tout, on est quand même aux USA). On s’ennuie ferme dans cette série d’enquêtes un peu molles du genou, bien que les deux derniers textes finissent par convaincre le lecteur qu’en grattant quelque peu ce vernis pourtant pas bien épais, un auteur d’une toute autre envergure transparaît. Même Big Easy déçoit, il y a bien quelques fulgurances, quelques détails typiquement louisianais, mais une désagréable impression de saupoudrage persiste durant les trois quarts du livre. L’action pourrait se dérouler à Detroit ou Seattle sans que le lecteur puisse réellement sentir la différence.
Pas vraiment plus consistant, Signé Mountain de Peter Corris est un petit polar bien rodé mettant en scène une nouvelle enquête du détective Cliff Hardy, un autre genre de dur à cuire. Si le suspense est cette fois mieux géré et l’enquête rondement menée, ce roman, qui se déroule en Australie, plus exactement dans la ville de Sydney, pêche par son absence d’ambiance caractéristique. L’action se déroule entre l’appartement de Cliff Hardy (situé vraisemblablement quelque part dans Sydney), son bureau (situé quelque part dans Sydney), l’appart du principal suspect (situé quelque part dans Sydney) et un pub (là aussi, allez savoir où ça se trouve). Bon ok, Cliff Hardy va également faire un tour dans l’arrière-pays et du côté de Melbourne. On me rétorquera qu’il s’agit d’un polar et pas d’un guide touristique, mais pour le dépaysement faudra tout de même chercher ailleurs (du côté de Sharkbait ou Dogfish de Susan Geason par exemple en ce qui concerne le polar).
Bref, deux romans en demi-teinte, qui certes se lisent bien, mais demeurent sans grande saveur. De la littérature pop corn, qui divertit mais s’oublie en un clin d’oeil.
Pas vraiment plus consistant, Signé Mountain de Peter Corris est un petit polar bien rodé mettant en scène une nouvelle enquête du détective Cliff Hardy, un autre genre de dur à cuire. Si le suspense est cette fois mieux géré et l’enquête rondement menée, ce roman, qui se déroule en Australie, plus exactement dans la ville de Sydney, pêche par son absence d’ambiance caractéristique. L’action se déroule entre l’appartement de Cliff Hardy (situé vraisemblablement quelque part dans Sydney), son bureau (situé quelque part dans Sydney), l’appart du principal suspect (situé quelque part dans Sydney) et un pub (là aussi, allez savoir où ça se trouve). Bon ok, Cliff Hardy va également faire un tour dans l’arrière-pays et du côté de Melbourne. On me rétorquera qu’il s’agit d’un polar et pas d’un guide touristique, mais pour le dépaysement faudra tout de même chercher ailleurs (du côté de Sharkbait ou Dogfish de Susan Geason par exemple en ce qui concerne le polar).
Bref, deux romans en demi-teinte, qui certes se lisent bien, mais demeurent sans grande saveur. De la littérature pop corn, qui divertit mais s’oublie en un clin d’oeil.
vendredi 7 janvier 2011
Jazz in New Orleans : Courir après le diable, de David Fulmer
Le polar-jazz est-il un genre à part entière ? C’est à se le demander tant les deux font bon ménage et participent indiscutablement à l’imaginaire lié aux années cinquante. Mais cette fois il faut remonter le temps d’environ un demi-siècle, prendre la highway 11 en direction du delta, jusqu’à la Nouvelle Orléans, et s’imprégner de l’ambiance de storyville, le quartier chaud de la ville. En ce début de XXème siècle, la Nouvelle Orléans n’est plus la perle du Sud, mais si son économie vacille son aura culturelle persiste. Big Easy attire comme un aimant, sa vie nocturne fascine et ses lois plutôt souples ont permis l’éclosion de clubs et de maisons closes de standing variable qui font sa réputation. A la croisée du blues et du ragtime, un nouveau genre musical est sur le point d’éclore, le jazz prend vie sous les doigts de Jelly Roll Morton et de Buddy Bolden. Le jour grâce aux Brass bands ils animent les processions et autres fanfares destinées à marquer les festivités de la grande cité du sud (carnaval, piques nique, réunions sportives, enterrements), la nuit venue ils prennent possession des clubs, animant des soirées bien arrosées, qui se prolongent jusqu’au petit matin, lorsque les danseurs et les noctambules épuisés regagnent leurs pénates.
"Un journaliste local, s'aventurant un soir dans back-of-town pour assister au spectacle, écrivit que Bolden jouait du « bavardage musical », en employant le terme français « jaser » pour donner du relief à son dédain. Le terme fit mouche. Bientôt, tout le monde dans back-of-town comprit ce que cela signifiait quand un orchestre « jassait » les airs."
Valentin Saint-Cyr, ancien membre de la police et désormais homme de main d’un puissant “homme d’affaire” de la Nouvelle Orléans, est aussi l’ami d’enfance de Buddy Bolden, cornettiste de génie, précurseur du jazz et amateur de femmes. Le patron de Valentin l’a chargé d’élucider une série de meurtres qui secoue storyville ; en l’espace de quelques jours, plusieurs prostituées ont été sauvagement assassinées, ce qui n’inquiétait guère les autorités lorsqu’il s’agissait de femmes noires, mais désormais le tueur s’est attaqué à une octavonne dans une maison respectable, qui sait si la fois prochaine il ne tuera pas une blanche. Malheureusement pour Saint-Cyr, les soupçons des autorités semblent se focaliser sur la personne de Buddy Bolden. Non seulement le musicien connaissait toutes les femmes assassinées, mais des témoins l’ont vu discuter avec l’une des victimes, juste avant qu’elle soit lardée de coups de couteau. Le détective est persuadé que son ami est innocent, mais les pressions exercées par son patron et par une partie de son entourage le font douter, surtout depuis qu’il assiste à la lente descente aux enfers de Buddy ; consommation excessive d’opium et d’alcool, accès de rage récurrents, embrouilles avec les musiciens de son propre band. Le King semble avoir perdu les pédales et sa propre famille constate son impuissance à le remettre dans le droit chemin.
Courir après le diable fait partie de ces polars dont on se demande s’ils n’auraient pas tout intérêt à se débarrasser de leur intrigue policière. Non pas que celle-ci soit rébarbative car David Fulmer maîtrise parfaitement la narration et le dosage du suspense, mais l’arrière-plan historique et culturel est tellement passionnant qu’il se suffit à lui-même. D’autant plus que l’auteur maîtrise parfaitement son sujet et ses connaissances en matière de musique afro-américaine prouvent qu’il aurait parfaitement pu écrire un véritable roman historique. David Fulmer réussit cependant à judicieusement mêler la fiction et le réel, rendant un très bel hommage aux précurseurs du jazz et en particulier à Buddy Bolden, dont il dresse un portrait touchant de sincérité (quant à Jelly Roll Morton, il ne fait l’objet que d’une courte scène). Mais indiscutablement, c’est la Nouvelle Orléans qui représente la plus grande réussite de David Fulmer, sa description de la cité louisianaise à l’orée du XXème siècle est saisissante de réalisme, pour peu que l’on accepte de se contenter des milieux interlopes qu’il décrit avec beaucoup de précision et un grand sens de la mise en scène. L’ambiance est palpable lorsque Saint-Cyr traverse les rues mal famées de storyville, la moiteur de la ville assaille le lecteur, comme les odeurs de la cuisine créole, et le soir venu lorsque les ombres du voodoo étendent leur toile à travers la cité, les rythmes du jazz se mêlent aux pas des danseurs de lindy hop dans un étrange ballet qui semble ne plus avoir de fin.
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