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mardi 21 mai 2024

Littérature levantine : L'empereur à pied, de Charif Majdalani

 

La littérature libanaise réussira-t-elle un jour à surmonter le traumatisme de la guerre civile et l’éclatement d’un pays autrefois cité en exemple pour sa capacité à faire cohabiter les différentes communautés qui forment la mosaïque improbable mais tellement fascinante  qu’est le Proche Orient ? A la lecture de ce troisième roman de Charif Majdalani, on est en droit de se poser la question tant ces thématiques traversent de part en part son œuvre. Comme dans Villa des femmes ou bien encore Le dernier seigneur de Marsad,  L’empereur à pied prend la forme d’une chronique familiale sur fond de nostalgie du paradis perdu, dont les réminiscences ne cessent de surgir au fil du récit. Un roman fascinant sur le poids du passé dans nos parcours de vie. 


Le récit débute au milieu du XIXème siècle. Au cœur des montagnes du Liban, la paisible communauté de Massiaf voit un jour débarquer de nulle part un étranger, Khanjar Jbeili, accompagné de ses trois fils. L’homme semble démuni, mais il a pourtant l’attitude d’un prince et il annonce qu’il est à la recherche de terres à cultiver. Après d’âpres discussions, le cheikh local lui offre quelques arpents caillouteux situés en altitude, tout juste bons à faire paître quelques brebis et dont personne ne veut. Mais sur les montagnes en apparence ingrates de Jabal Safié, Khanjar Jbeili réussit le tour de force de créer un véritable domaine. A force de travail acharné, lui et ses fils rendent ces terres fertiles, grâce aux oliviers et aux arbres fruitiers qui semblent s’y plaire, mais aussi grâce à l’élevage. Au fil des années, Khanjar fait construire une confortable maison et sa réussite lui assure le respect de la communauté et des élites locales, au point d’être surnommé “l’empereur”. Mais Khanjar Jbeili, en dépit de sa fortune nouvelle, n’a pas l’esprit tout à fait serein quant-à l’avenir. Ainsi édicte-t-il une règle qu’il espère immuable ; parmi ses fils et au fil des générations, seul l'aîné aura droit de se marier et héritera de ses biens, afin de préserver le patrimoine familial. Cette loi n’aura de cesse de créer des conflits au fil des générations, provoquant de profondes fractures familiales, schismes et autres exils plus ou moins consentis. Ce qui donnera lieu aux récits fascinants des mauvaises pousses de la famille, qui refusèrent de se soumettre et acceptèrent d’en subir les conséquences. L’occasion de suivre les parcours chaotiques de ces cadets rebelles, poursuivis par leur malédiction  des confins d’un empire ottoman en déliquescence jusqu’aux grandes propriétés terriennes du Mexique, prémices d’une diaspora annoncée et d’une guerre civile qui couve insidieusement. 


Avec L’empereur à pied, Charif Majdalani confirme tout le bien que l’on pensait déjà de cet écrivain puissamment ancré dans l’histoire du Liban. Cette fois son récit prend encore davantage d’ampleur et observe finement les évolutions d’un pays que l’on croyait alors béni des dieux, mais dont la violence latente n’était jugulée que par une certaine prospérité économique. Mais encore fallait-il que cette richesse perdure et soit équitablement répartie. Sans doute faut-il voir dans ce roman une fable allégorique. A l’instar de cette loi injuste édictée par Khanjar Jbeili, qui creuse profondément les inégalités dans le clan familial et attise la défiance des puînés, le Liban, engoncé dans une certaine aisance économique et le poids des structures sociales, n’a pas su combattre le feu qui couvait  ni voir le vent mauvais qui allait attiser les braises du futur brasier. 


1 commentaire:

Carmen a dit…

D’accord avec ton introduction.
On aimerait bien voir un jour la littérature libanaise autrement que sous l’angle de la guerre,ou sous un prisme plus positif.
Je le note car j’aime bien l’auteur.
Merci.