Si vous suivez ce blog depuis son commencement, ou tout du moins si vous l’avez abondamment exploré, vous aurez sans doute remarqué que j’affectionne tout particulièrement les écrivains de la veine floridienne, en particulier Tim Dorsey, Charles Willeford et Carl Hiaasen. Est-ce parce que le soleil tape trop fort du côté de Tampa ou Miami, à moins que le climat subtropical de la Floride n’attire toutes sortes de paumés, marginaux et autres décalés de vie, mais force est de constater que la littérature qui émerge de cette folie plus ou moins douce a quelque chose d’atypique. Certes, on pourrait arguer du fait que la littérature new yorkaise est tout aussi singulière et que les écrivains du Sud profond ont également une patte particulière, mais il y a chez Carl Hiaasen ou Tim Dorsey, un grain de folie mêlé d’un recul distancié qui font tout le sel de leur littérature. Une littérature à la fois drôle et décalée, voire parfois totalement barrée, mais non dénuée d’esprit critique, voire frôlant à certaines occasions l’analyse sociétale (si vous voulez vous en convaincre par vous-même, lisez l’excellent Triggerfish twist de Tim Dorsey).
Pêche en eau trouble n’échappe pas à cette règle, même si au vu du résumé de cette histoire rocambolesque le lecteur peut initialement en douter. Le roman se déroule dans le milieu de la pêche professionnelle, tout particulièrement celui de la pêche au bass (raccourci de black bass, un poisson d’eau douce d’origine nord américaine que les Canadiens appellent Archigan à grande bouche). Vif et vorace, parfois spectaculaire dans ses attaques, le bass regroupe toutes les qualités qui ont fait son succès dans le domaine de la pêche sportive, d’autant plus que les spécimens les plus gros peuvent atteindre des tailles fort respectables. Sur le plan sportif et économique, le bass est tout simplement une mine d’or pour le petit monde de la pêche professionnelle, qui chaque année aux Etats-Unis brasse des milliards de dollars. Partout à travers le pays, les fabriquants de matériel de pêche sponsorisent des centaines de concours professionnels et amateurs, parfois très richement dotés, qui attirent des milliers de pêcheurs avides (le plus souvent d’affreux rednecks racistes et incultes) venus de tout de territoire. Mais la Mecque de la pêche au bass c’est la Floride (ainsi que la Louisiane et l’Alabama), avec son climat subtropical et ses très nombreuses zones humides, c’est le paradis du bass. R.J. Decker n’a pas grand chose à voir avec le milieu de la pêche professionnelle. Après avoir eu quelques démêlés avec la justice, cet ancien photographe de presse s’est reconverti comme détective privé. La plupart des affaires qui lui échoient n’ont rien de très excitant, arnaques à l’assurance et maris jaloux constituent l’essentiel de son quotidien, mais il faut bien gagner sa croûte…. Aussi lorsqu’un millionnaire excentrique, et pêcheur de bass, lui demande, moyennant un très gros chèque, d’enquêter sur la triche qui semble gangrener le milieu de la pêche professionnelle, Decker n’hésite pas bien longtemps, d’autant plus que l’affaire n’a pas l’air bien compliquée. En ligne de mire, un pêcheur charismatique, star du petit écran grâce à une émission de télé, qui remporte avec une facilité déconcertante la plupart des gros concours organisés chaque année. De quoi alimenter le doute…. mais également la jalousie des concurrents moins en veine.
Cette affaire est donc l’occasion pour Decker de plonger dans un monde qui lui est parfaitement étranger, peuplé de rednecks mal dégrossis et très souvent atteints de beaufitude caractérisée. De joyeux ploucs dont la vie tourne autour du moteur de leur hors-bord surgonflé, voire de leur collection de moulinets de compétition, et dont la conversation se limite la plupart du temps à leur expertise en matière de leurre ou de turbidité de l’eau. A moins que subitement vous vous preniez de passion pour les mérites respectifs des matériaux composites dans la fabrication des cannes de lancer, le contenu du roman pourrait paraître quelque peu abscons, voire carrément cryptique, mais il n’en est heureusement rien car Pêche en eau trouble reste avant tout un petit polar bien rythmé, excellemment écrit et franchement drôle. Certes, la farce est ici poussée à son paroxysme aux dépens d’un microcosme de passionnés de pêche qui n’en demandait pas tant, mais la galerie de personnages est tellement réussie qu’il ne faut en aucun cas bouder son plaisir. C’est joyeusement loufoque, parfois un brin tiré par les cheveux, mais diablement critique et résolument bien plus intelligent qu’il n’y parait au premier abord, car finalement c’est tout un système économique et médiatique que Carl Hiaasen épingle avec bonheur. J’en suis pour ma part tellement convaincu, que je viens de craquer pour une canne en carbone Geologic light 180 agrémentée d’un moulinet Quantum Tour Edition PT (11 roulements en acier inox polymère), de quoi faire frétiller de plaisir ma toute nouvelle collection de leurres souples de chez Rapala.
2 commentaires:
Salut,
Si tu aimes la bonne pêche, jette un œil voire deux sur le nouveau Ned Crabb. C'est de la bonne.
Ubik
Meurtres à Willow Pond ? ça m'a l'air pas mal du tout effectivement.
Enregistrer un commentaire