Gérard
Herzaft est probablement, avec Sebastian Danchin, l’un des plus
éminents spécialistes français du blues (lui même se définit comme un
amateur éclairé) et sa réputation dépasse les frontières puisque ses
compétences sont reconnues jusqu’aux Etats-Unis. Depuis trente ans, son Encyclopédie du blues fait autorité et le livre est d’ailleurs très régulièrement réédité. Il est également l’auteur du Que sais-je
consacré au blues et de nombreux romans ayant pour toile de fond la
musique afro-américaine. Ses compétences ne s’arrêtent pas là puisque
l’homme maîtrise également d’autres registres comme la country ou la
musique western. Hélas depuis quelques années certains de ses ouvrages
devenaient difficiles à trouver en librairie, notamment les textes
disséminés à travers plusieurs publications spécialisées. C’est le cas
de ce Ballade en blues
qui devait être à l’origine un projet de commande pour un grand éditeur
parisien. Finalement la collection ne vit jamais le jour et le livre de
Gérard Herzaft fut remisé dans un tiroir avant d’être publié par
épisodes dans le magazine Soulbag (et en partie dans le magazine Blues Again).
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais grâce au numérique l’auteur a
enfin trouvé un moyen simple et économique de remettre à disposition du
public ses principaux ouvrages. Ce Ballade en blues
contient donc le texte original, écrit à la fin des années 1970 à
l’occasion d’un voyage aux Etats-Unis, ainsi que des textes plus tardifs
consacrés au blues, publiés pour l’essentiel dans le magazine Soulbag dans le courant des années 1990.
Le
texte initial de 1979-1980 se présente sous la forme d’un récit de
voyage qui apparaît aujourd’hui fort classique aux yeux des amateurs de
blues (remonter la highway 61 du sud jusqu’à Chicago), mais qui à
l’époque demeurait relativement inédit pour un européen. Ce qui en fait
finalement tout l’intérêt réside dans les rencontre organisées ou
totalement improvisées par l’auteur avec des artistes plus ou moins
confidentiels au fil de son périple, lequel débute non pas par un haut
lieu du blues, mais par le temple (symboliquement et commercialement) de
la country, à savoir Nashville. Mais Herzhaft quitte rapidement
l’affairée Nashville pour les routes poussiéreuses et les immenses
champs de coton du Delta, la région qui s’étend rappelons-le entre le
Mississippi et la Yazoo river et dont Memphis représente plus ou moins
la frontière septentrionale. Vicksburg, Tunica, Clarksdale,
Robinsonville... autant de noms familiers et évocateurs pour l’amateur
de delta blues, qui voyagera en territoire connu, mais autant de
bourgades désolées, amas de bicoques de bois tout justes organisées
autour de vagues artères commerciales écrasées de chaleur et d’ennui ;
le Mississippi est un état pauvre, rongé par le chômage et les
inégalités sociales, mais qui exerce pourtant une étrange fascination.
Dans ce décor qui pourrait paraître exotique et folklorique, mais dont
la dure réalité nous explose au visage, Gérard Herzhaft rencontre
quelques-uns de ces artistes oubliés (Jessie Mae Hemphill, Lucius Smith,
Napoléon Strickland, Furry Lewis...) des gens simples et pauvres,
souvent déjà âgés, mais qui ont côtoyé les grandes légendes du blues
comme amis, collègues ou voisins. Il y a quelque chose de profondément
triste et mélancolique dans ces rencontres, dans la description du
quotidien et des conditions de vie d’artistes qui sont à l’origine d’une
bonne partie de la production musicale du XXème siècle, mais qui n’en
ont jamais récolté les fruits (quand ils ne sont tout simplement pas
spoliés par des maisons de disques qui ne leur versent pas leurs droits
d’auteur). A ce titre la rencontre avec Furry Lewis, âgé, malade et
démuni est particulièrement poignante. Même sans être un fan
inconditionnel de blues, on ne peut rester insensible face à tant
d’injustice.
En
raison de sa dimension quasiment unique, ce texte est un témoignage
rare et passionnant sur l’état du blues aux Etats-Unis à la fin des
années soixante-dix, alors même qu’à l’époque cette musique est très
largement tombée en désuétude ; il faudra attendre une bonne dizaine
d’années pour connaître à nouveau un blues revival,
qui reste cependant bien éloigné de la renaissance des années soixante
(d’ailleurs musicalement il s’agit davantage d’une explosion du blues
rock et de ses guitar heros que d’un véritable renouveau du blues). On
sent pourtant poindre dans les descriptions de Gérard Herzhaft une
dynamique engagée par une poignée de passionnés ; dans certains hauts
lieux du blues, des intellectuels ou des amateurs éclairés, de plus en
plus entendus par les responsables locaux, tentent de dépasser les
réflexes hérités du passé. Les tabous vacillent et cette musique
autrefois négligée, voire méprisée, suscite l’intérêt des blancs, qui y
voient un moyen de valoriser le patrimoine local et de développer le
tourisme. Des musées du blues apparaissent dans les villes comme
Clarksdale ou Memphis, les lieux chargés d’histoire comme la plantation
Stoval ou Beale Street à Memphis sont réhabilités avec une certaine
intelligence (même si elle n’est pas forcément désintéressée). Certes,
on pourra reprocher l’opportunisme des blancs, qui une nouvelle fois
exploitent ce qui ne leur appartient pas, mais cette dynamique a permis
une certaine visibilité au blues, voire dans une certaine mesure de
redonner au peuple afro-américain sa fierté. Si aujourd’hui plus
personne ne conteste l’apport considérable de la musique
afro-américaine, l’affaire était pourtant loin d’être bien engagée
lorsque Gérard Herzhaft foulait à l’occasion de son périple les terres
du Delta et ses remarques à ce sujet évoquent le scepticisme voire le
rejet ou la colère. On mesure donc tout le chemin parcouru en trente
années de redécouverte et de réhabilitation du blues grâce à ce
témoignage essentiel.
4 commentaires:
J'oubliais, le livre est disponible uniquement en numérique pour environ 6€ au format Kindle sur Amazon ou epub sur le site de la Fnac ou Numilog. Hland propose également plusieurs romans de l'auteur, mais sa Grande encyclopédie du blues n'est disponible qu'en version papier chez Fayard (ce qui entre nous est bien plus agréable à feuilleter). Mais ne boudons pas notre plaisir, si vous aimez le blues et que vous disposez d'une liseuse ou d'une tablette, cet ouvrage est tout simplement indispensable.
Merci pour cette chronique très chaleureuse... HLand est notre société (à mon fils David et à moi-même) et la partie e-books édite (ou réédite quand ils sont épuisés) mes ouvrages dont certains - comme ce Ballade en blues - sont restés inédits. Les sortir en format papier coûterait trop cher donc nous avons opté pour cette fomule électronique en les proposant quasiment au prix coûtant. Ils sont aussi traduits en anglais et disponibles dans le monde anglophone. Nous avons aussi "publié" des ouvrages inédits d'Alain Gerber et de Jacques Brémond (une superbe biographie de Johnny Cash). Si cela devient un peu "rantable" (c'est loin d'être le cas pour l'instant), nous continerons à proposer des ouvrages sur les musiques.HLand est disponible désormais sur pratiquement toutes les librairies en ligne: Amazon (avec l'excellent Kindle) et ITunes
C'est une excellente initiative, vraiment, même si je n'aurais pas craché sur une édition papier luxueuse et richement illustrée (à la manière de l'extrait publié dans Blues Again) de ce Ballade en blues. Il n'aurait pas dépareillé aux côtés des mémoires d'Alan Lomax dans ma bibliothèque.
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