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mercredi 14 mars 2012

Le crabe-tambour, de Pierre Shoendoerffer

Il est des romans qui vous marquent. Pas parce que ce sont les meilleurs (encore que ce sont rarement les pires...), mais parce qu'ils sont entrés en résonance avec vous à un moment donné d'une manière exceptionnelle. C'est le cas du Crabe-tambour de Pierre Shoendoerffer, écrivain et cinéaste. C'était il y a maintenant 24 ans (tiens, comme le temps passe), à l'âge de tous les possibles et de tous les questionnements sur le bien, le mal, le sens de la vie.Comment un histoire d'hommes et seulement d'hommes, et de militaires en plus, a pu avoir une telle influence sur une jeune fille timide et sans attirance aucune pour la caste guerrière ? Peut-être parce que ce livre parlait d'honneur, de recherche de soi et de sens de la vie.

Mais parlons de cette histoire qui se déroule sur un vieux navire de la marine française qui fait des ronds sur les bancs de morue de Terre-neuve dans les années 1970, en soutien aux pêcheurs. A son bord, le commandant, tout de rigidité, attend la mort qui se présente à lui sous l'habit du cancer. L'officier de santé, un ancien d'Indochine, évoque ses souvenirs, et surtout un certain Willsdorff, capitaine pendant la guerre d'Indochine puis renvoyé de l'armée après avoir participé au putch d'Alger et enfin devenu capitaine de chalutier sur les bancs de Terre Neuve. "Willsdorf, vous connaissez ?...". Il se trouve que le commandant le connait bien, si bien que c'est lui qu'il vient rencontrer dans les brumes de l'Atlantique Nord.
Willsdorff, c'est le crabe-tambour, un surnom étrange qu'il tient de son père, et c'est ce personnage hors du commun qui a marqué chacun des protagonistes de cette histoire à sa manière. Il en ressort des morceaux de bravoure, des rencontres quasiment philosophiques, des interrogations métaphysiques. Et le vieux navire arrive un jour à bon port, à la rencontre de ces deux notions de l'honneur qu'incarnent le Commandant d'une part et Willsdorff d'autre part.
Au long du récit, on assiste à des scènes hautes en couleur : la descente du Mékong en barge, au son du cor de chasse ; les récits effrayants du chef mécanicien sur son vicaire bigouden "pas fou, non, seulement un peu dérangé" ; la confrontation du Commandant et du Crabe-tambour lors de son procès pour haute trahison...



Pierre Schoendoerffer en 1953 - ©Jean Peraud/ECPAD
Pierre Schoendoerffer ne fait aucune démonstration, ne rend aucune morale : il raconte les soldats perdus des guerres coloniales, auxquelles il a participé, caméra au poing. Il a pris un peu de supplément d'âme de chaque officier qu'il a rencontré pour en tirer la matière de son oeuvre romanesque et cinématographique. Il interroge sur l'après tout ça, sur la nature du courage, de l'engagement, et d'un tas de valeurs aujourd'hui regardées comme désuettes ou sujettes à caution car portées par les courants d'extrème droite qui réduisent la notion d'honneur à une fidélité à des chefs douteux.
On ne trouvera pas dans ses ouvrages la flamboyance de Bigeard, ses soldats ne sont pas de cette nature. Ils sont dans la contradiction entre leur devoir et leur conscience, sans arriver à démêler le bien du mal.

Le crabe-tambour est aussi un très beau film, avec Jacques Perrin, Jean Rochefort dans un de ses plus beaux rôles, Claude Rich et Jacques Dufilho, extraordinaire chef mécanicien.

Pierre Schoendoerffer est mort aujourd'hui, précédé dans l'au-delà voici quelques jours par Bruno Crémer, qui avait incarné le sergent Willsdorff (le frère aîné du Crabe-tambour) dans un autre film tiré d'un autre livre, La 317e section. Les témoins de l'Indochine disparaissent. L'Histoire va prendre le pas sur la mémoire. On y gagnera l'objectivité et le recul indispensable, mais on y perdra cette émotion magnifique que les romans et les films de Pierre Schoendoerffer nous inspirait.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"Ne faites pas cette tête, docteur, vous n'êtes que le messager."

Une histoire de soldats perdus et aussi une histoire de mer et de fantômes.
Super ton article. Je n'en dirais pas plus car ..
"Trop de monde sur cette passerelle"

SV

Valérie Mottu a dit…

Mais le monde sur la passerelle commence à se faire rare, le printemps est dur aux passeurs de mirages...

Anonyme a dit…

Plus de photo !
SV

Emmanuel a dit…

Merci SV, c'est corrigé !