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lundi 1 mars 2010
Légendes de l'Ouest : Intégrale des nouvelles western, d'Elmore Leonard
Faut-il encore présenter Elmore Leonard ? Pour les cancres, ceux qui dorment au fond de la classe, adossés ou plutôt affalés sur un radiateur à la peinture écaillée, on pourra toujours rappeler quelques éléments clés d'une carrière pour le moins conséquente. Originaire de La Nouvelle Orléans, mais diplômé de l'université de Detroit, Elmore Leonard a d'abord travaillé dans la publicité, avant de quitter ce milieu, une belle prime en poche, pour se consacrer définitivement à l'écriture alors qu'il n'était même pas trentenaire. Dans le bref entretien qui ouvre le recueil de nouvelles dont nous allons parler, Elmore Leonard raconte brièvement ses débuts d'écrivain, ses difficultés pour trouver le temps d'écrire alors qu'il fallait concilier la vie de famille, le travail et la nécessité impérieuse de coucher sur le papier ses histoires. L'écrivain confie qu'il lui fallait se lever à cinq heures du matin pour se consacrer à sa passion, puis il partait à sept heures pour l'agence de publicité. C'est en 1951 qu'il vend sa première nouvelle à Argosy, l'un des pulps (magazines bon marché très populaires dans la première moitié du siècle dernier) les plus importants du pays. Tous ses premiers textes relèvent du western et il faudra attendre le milieu des années soixante pour qu'il publie son premier roman policier, genre pour lequel il est aujourd'hui internationalement reconnu mais qui n'a pour lui jamais été exclusif. Entre temps, Elmore Leonard avait déjà vendu deux de ses textes à Hollywood ("Les chasseurs de prime" et "3h10 pour Yuma"), début d'une longue histoire d'amour puisqu'entre la télévision et le cinéma, pas moins de trente de ses oeuvres seront adaptées à l'écran ("3h10 pour Yuma", "Hombre", "Get shorty", "Jackie Brown" ou bien encore "Hors d'atteinte"). Écrivain prolifique à la régularité métronomique (quasiment un roman par an depuis soixante ans), Elmore Leonard cultive un style plutôt dépouillé qui vise avant tout la clarté et l'efficacité narrative ; une économie de mots et de moyens mise au service de personnages toujours très finement ciselés. En seulement quelques phrases, l'écrivain américain parvient à poser une ambiance, à créer une atmosphère incomparable pour dérouler son scénario avec l'efficacité et l'efficience d'un maître d'orchestre. Un talent non négligeable, notamment lorsqu'on écrit des nouvelles western.
Regroupées en trois volumes publiés chez Rivages/noir (Medecine apache, 3h10 pour Yuma et L'homme au bras de fer) , l'éditeur attitré d'Elmore Leonard, ces nouvelles western sont une véritable bouffée d'air frais dans la collection dirigée par François Guerif, qui publie depuis plus de vingt ans de l'excellente littérature policière, mais dont les incursions hors de ce territoire sont assez rares (ce qui est finalement assez normal pour une collection consacrée au polar). Par ailleurs, le genre est suffisamment délaissé en France, pour qu'on se laisse tenter facilement par une petite virée du côté des grands espaces de l'ouest américain. Comme toute intégrale, l'exercice n'est pas sans défaut puisque les textes majeurs sont parfois noyés au milieu de textes plus anecdotiques, voire parfois mauvais. Heureusement, c'est assez rare dans le cas présent et globalement la qualité est au rendez-vous. Mention spéciale d'ailleurs pour le second volume (3h10 pour Yuma), dont le sommaire comprend à mon sens les meilleures nouvelles. Comme son nom l'indique, Medecine apache, regroupe des textes dans lesquels l'homme blanc est confronté aux populations indiennes ; la plupart de ces nouvelles se déroulent dans le Sud Ouest des Etats-Unis, sur le territoire des Apaches (à cheval entre l'Arizona et le Nouveau Mexique), les Indiens des plaines ne semblant guère fasciner l'auteur. Elmore Leonard a fait le choix de ne raconter ses histoires qu'à travers le regard de l'homme blanc, qu'il soit soldat, éclaireur ou simple éleveur de vaches. Mais cette vision que l'on pourrait croire à sens unique est contrebalancée par le discours de l'auteur, souvent très circonstancié et profondément empreint d'humanisme. Les Indiens apparaissent violents et cruels au combat, mais aussi courageux, valeureux et très largement méprisés. Les rares personnages à les comprendre sont en général des éclaireurs de l'armée, des hommes qui ont appris à côtoyer les Indiens, qui ont une profonde connaissance de leur culture et de leurs traditions. Ces hommes, peu nombreux et honnis par leurs compatriotes, sont des passerelles qui permettent au lecteur d'appréhender d'une certaine manière le drame de cette nation apache, ravagée par l'alcool, les maladies et les traitements inhumains que les blancs leur font subir pour s'approprier leurs terres. Curieusement, les guerres indiennes sont loin de représenter l'essentiel des textes, on se situe très souvent à la marge de la grande Histoire, pour explorer quelques veines oubliées dans lesquelles la fiction peut s'épanouir pleinement. Mais en dépit de ses efforts, l'auteur n'échappe pas toujours à une certaine schématisation et tombe régulièrement dans le piège de l'héroïsme. Un travers que l'on retrouvera de toute façon dans de nombreuses nouvelles des tomes suivants et qui n'altère en rien la réussite purement formelle de ces textes (dialogues aux petits oignons, ambiance superbement rendue, tension dramatique paroxysmique). Sur le fonds on reste bien loin cependant des superbes romans de Forrest J. Carter.
Dans les deux tomes suivants, 3h10 pour Yuma et L'homme au bras de fer, les Indiens ont quasiment disparu, tout du moins comptent-ils pour quantité négligeable aux yeux des blancs qui ont conquis leurs terres. Seuls deux textes les mettent encore en scène. En revanche, on y trouve également d'excellentes nouvelles, dont "3h10 pour Yuma" qui a donné lieu à un long métrage dans les années cinquante, ainsi qu'à un remake plutôt réussi avec Russel Crowe et Christian Bale (2008). Ceux qui ont vu cette dernière adaptation seront d'ailleurs surpris par les modifications apportées par les scénaristes (en réalité la nouvelle se résume à la bataille finale, celle qui conduit le prisonnier jusqu'au wagon pénitentiaire). Pour le reste, les ingrédients sont toujours les mêmes. L'Ouest d'Elmore Leonard est un territoire âpre et aride, peuplé d'hommes rudes et impitoyables, la moindre faiblesse y est sanctionnée par la mort, violente et expéditive. De justice il n'y a guère, sinon celle que l'on s'arroge à la force des poings ou bien encore celle qui pointe au bout du canon des revolvers. Plus que les hommes, les femmes souffrent encore davantage dans ces contrées hostiles où la force (physique et mentale) est une condition nécessaire pour la survie. Sans doute est-ce la raison pour laquelle "La femme de l'éleveur" apparaît comme l'un des textes les plus touchants de cette intégrale, malgré une légère touche de machisme (la femme a évidemment besoin d'être protégée). Ce monde est aussi celui des adultes, en dépit du texte mentionné précédemment et de "Le gamin", on croise peu d'enfants dans les nouvelles d'Elmore Leonard, il faut dire que leur sort n'est guère enviable et leurs parents sont leur seule protection ; forcément, lorsqu'ils meurent leur situation apparaît fort délicate.
Genre tombé en désuétude, le western a pourtant encore de beaux restes et l'on ne peut que féliciter Rivages/noir d'avoir entrepris l'édition de cette intégrale, qui vient s'ajouter aux autres romans western d'Elmore Leonard (Hombre, Les chasseurs de prime, Valdez arrive...) pour former un tableau sombre et contrasté du grand ouest américain. Certes, cette littérature apparaît dans certains cas un peu datée, l'auteur y prône des valeurs très traditionnelles comme le courage, la rectitude, la force du travail (chez l'auteur l'homme est toujours un self-made man), mais il sait aussi pointer les faiblesses de l'homme et, à l'occasion, égratigner quelques-uns de ces beaux mythes sur lesquels s'est construite l'histoire fantasmée de l'Amérique. A ceux que le western fait rêver, avec ses cow-boys solitaires, shérifs héroïques et autres desperados de grand chemin, Elmore Leonard oppose sa propre vision de la conquête de l'Ouest, dure, injuste et brutale. De cette terrible vision, émergent quelques grands textes, portés par une rare force d'évocation, servis par une écriture dépouillée d'une extrême efficacité, soutenus par une plume d'une rare humanité. Si vous aimez le bon western, vous ne pouvez pas passer à côté de cette intégrale, d'ailleurs vous l'avez déjà.
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5 commentaires:
Alléchant, comme toujours, mais j'ai deux tomes de Harrington sur ma table de nuit, sans compter un chat chinois et une cérémonie de thé japonaise. Finalement, pour ce sera le Far East...
Honnêtement, ça se boit comme du petit lait. J'ai avalé le dernier tome en un peu moins d'une soirée, au lit. Sinon ça fait longtemps que je n'ai rien lu en littérature asiatique, j'ai vu que Picquier avait lancé une grosse opération promo depuis le nouvel an chinois, je vais voir si je peux pas de dégoter quelques bricoles.
Je n'ai pas lu Leonard le cowboy, mais j'ai dévoré Lonesome Dove de Larry Mc Murtry cet été, dont Crumley disait "si vous ne devez lire qu'un western dans votre vie, lisez celui-là", et j'ai même pleuré à la fin. Non que je sois une vieille tafiole (quoique, en cette affaire le mieux serait de questionner ma femme) mais les personnages sont très attachants. Pour le reste, c'est âpre, violent, et aussi dépaysant qu'on puisse l'espérer.
Merci beaucoup pour ce conseil de lecture, je ne connais pas du tout Mc Murty mais je vais m'intéresser à son cas.
Bon ben voilà, un an plus tard j'ai acheté mon premier McMurty et je me régale.
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