Les étoiles s’éteignent à l’aube, dont le titre rêveur et poétique s’éloigne quelque peu du titre originel (“Medecine walk”) est un roman âpre et difficile, qui confine parfois à l’épure, mais qui touche juste. Franklin Starlight, tout juste âgé de 16 ans, est appelé par son père, atteint d’une maladie incurable et proche de sa dernière heure. Le jeune homme n’a jamais vraiment connu cet homme qui dit être son père, élevé par celui qu’il appelle le “vieil homme”, dans une ferme isolée au milieu des plaines. Taiseux, proche de la nature, dur à la tâche, Franklin semble être à l’opposé de son père, grande gueule et alcoolique notoire, qui depuis des années vit au jour le jour dans une ville minière sale et misérable. L’homme n’est plus que l’ombre de lui-même, la peau sur les os, il crache des glaires de sang et tient à peine debout. Mais le plus étonnant, c’est que le père, qui semblait avoir oublié définitivement ses origines indiennes, demande au fils de le conduire dans la montagne, pour qu’il puisse y mourir à l’image de ses ancêtres, comme un guerrier. Franklin n’a pas vraiment envie d’assister son père dans cette marche funèbre, il connaît peu cet homme qui lui a fait mille promesses sans jamais en tenir une seule et qui semble s’être toujours désintéressé de lui. Mais sur l’insistance du “vieil homme” qui l’a élevé, Franklin se laisse fléchir et, accompagné de son seul cheval et d’un peu d’équipement, entreprend d’assister son père dans ce long voyage vers la mort. On l’imagine aisément, ce cheminement est l’occasion pour le père et le fils d’enfin se découvrir, de renouer avec leurs origines et pour Franklin de comprendre les traumatismes qui ont poussé son père à le délaisser et à errer sans but de petit boulot en petit boulot.
Ce qui frappe en premier lieu le lecteur qui découvre la prose de Richard Wagamese, c’est d’une part son parti-pris stylistique et d’autre part son authenticité féroce. Le style est épuré, presque sec, mais pourtant incroyablement puissant dans sa capacité à générer des images fortes et prégnantes. On y perçoit toute la rudesse de cette vie dure et retirée du monde, mais également toute la beauté d’un monde simple et sans artifices. Pas de faux-semblants ni de place pour la comédie ou la duperie, rien n’est artificiel dans ces montagnes où la nature s’impose à ceux qui osent s’y aventurer. Ainsi Franklin, à qui le “vieil homme” a su transmettre des valeurs essentielles et des savoirs ancestraux, évolue en harmonie dans cet environnement âpre et sauvage, prend soin de son père, le guidant physiquement vers le lieu de son dernier repos et l’amenant progressivement à se confier sur son passé douloureux. Un passé qu’il avait enfoui au plus profond de lui-même, s’efforçant de l’oublier, se coupant ainsi de ses propres racines, de sa culture. Le fils montre donc la voie, inversant les rôles, faisant preuve d’une sagesse qui devrait être l’apanage des plus expérimentés, mettant à nue la personnalité de son père, pour mieux assurer leur réconciliation avec leur histoire familiale, mais également avec leurs racines les plus ancestrales. A noter qu’il existe une adaptation graphique de ce superbe roman, publiée aux éditions sarbacane.
