Le 25 août 2015, Nastassja Martin, ethnologue française qui étudie les Evènes dans la péninsule du Kamchatka, rencontre un ours. La rencontre est violente : l'ours emporte la moitié du visage de la jeune femme, Nastassja plante son piolet dans la chair de l'animal qui s'enfuit.
Grâce au sang-froid
de son compagnon de randonnée, à l'armée russe et aux médecins de
Pétropavlosk, Nastassja survit à sa rencontre. Commence pour elle un
voyage intérieur, mêlant reconstruction physique, psychologique et
recherche de sens de cet événement hors normes. Dans cette quête,
les épreuves ne sont pas toujours celles auxquelles on s'attendrait,
et le sens qu'elle donne à cette rencontre, à ces rencontres dont celle de l'ours n'est qu'une parmi d'autres, nous
déroute, littéralement ; nous emmène hors des chemins balisés par nos connaissances et nos croyances.
Car toutes les catégories auxquelles nous sommes habituées volent en éclats : qui est le plus rationnel, du chaman sibérien ou de la chirurgienne française ? Nastassja erre-t-elle dans les méandres d'un délire provoqué par ses souffrances ou bien suit-elle une voie (au sens asiatique du terme) ? Se laisse-t-elle guider par des impressions floues ou par l'esprit de l'ours ?
Récit à la fois
clair, limpide, et pourtant plein d'ombres, ce livre est le reflet de la confusion
de la narratrice et de son regard clinique d'ethnologue. Il est aussi plein de l'amour qu'elle porte à ses amis évènes, et à la contrée sauvage qui les abritent.
Narration courte, factuelle et qui nous emporte pourtant dans une autre réalité, l'expérience de Nastassja peut se lire à plusieurs niveaux. Une première lecture n'en fait qu'effleurer l'essence. On laissera donc reposer un peu, et puis on reprendra. La rencontre avec l'ours, le choc, la douleur, la recherche du sens, le retour, la boucle. On essaiera peut-être de comprendre. Ou pas. On peut préférer juste se laisser emporter par cette belle écriture singulière dans une contrée polyphonique et pluridimensionnelle.
C'est un beau récit, une expérience vécue du dedans et du dehors, qui fait réfléchir hors des sentiers battus. C'est de la littérature à l'os, sans fioritures de style, où chaque mot est à sa place.
Une rencontre inoubliable.
13 commentaires:
ça me dit un truc ce bouquin, je crois que j'ai dû l'entendre à la radio, sur France Inter ou France Culture, je sais plus.
On en parle beaucoup en ce moment. Il intéresse de nombreuses personnes d'horizons et d'attentes différentes, ce qui est souvent un gage de qualité. Moi-même je l'ai emprunté à un vieil ami plutôt féru de littérature que d'ethnologie. La précision du propos allié à ce style à la fois dense et épuré m'a fait pensé à Joseph Ponthus. C'est très différent pourtant, mais cela se rejoint dans la description d'une expérience éprouvante, pour ne pas dire traumatisante.
Merci pour la suggestion. Je le note.
Ça rappelle aussi un peu Le lambeau de Philippe Lançon,sa reconstruction, bien sûr dans d’autres circonstances.
Bonjour Carmen,
J'attends avec plaisir vos impressions sur ce livre qui m'a très impressionnée.
Je viens de le repérer dans ma mediatheque,je le lirai sous peu. Il m’intrigue vraiment.
Je ne manquerai pas de vous donner mon ressenti.
Avec plaisir.
Voici mes impressions sur ce témoignage très fort et troublant en même temps de Nastassja Martin attaquée par un ours dans le Kamtchatka.J’ai pu visualiser que c’était la péninsule de l’extrême Orient soviétique.
Je l’ai lu pratiquement d’un trait,mais je pense aussi le relire. Des le début j’ai été happée, l’auteure installe de suite la situation, on vit avec elle le drame ,sa souffrance après la morsure de l’ours,les soins dans ce dispensaire russe,la méfiance des russes qui la prenne pour une espionne,ça pourrait être drôle.
Les chapitres portent des noms de saison.Son calvaire continue dans un hôpital parisien.Elle est forte du soutien de sa famille,mais ce n’est pas tout.
A partir de là ,la réflexion se fait plus philosophique. On comprend que pour redonner un sens à sa vie,pour se réparer,elle s’identifie par moitié à l’ours et s’attribue une part de son animalité, comme elle attribue une part de l’humain à l’ours.
Ça renvoie certainement à notre propre animalité passée.Je pense qu’elle a développé cette stratégie de survie qui tient la route.
C’est un beau témoignage ,poignant, qui doit nous faire penser à la relation qu’on peut avoir avec les vivants qui n’appartiennent pas à la race humaine.Il faut plus de porosité entre le monde des vivants.
Très belle lecture.On aimerait continuer encore avec elle.
Vous en parlez beaucoup mieux que moi.Je tenais aussi à vous remercier pour vos chroniques et vos commentaires toujours très pointus.
On te sent très emballée par cette lecture Carmen, je crois que je vais aussi aller faire un saut dans ma bibliothèque de quartier pour me le procurer.
Oui j’ai vraiment été touchée par le témoignage de cette anthropologue.
J’espère qu’il te plaira aussi et que tu le trouveras facilement.
A +
Merci Carmen pour votre réponse et vos compliments, mais je dois tout à Manu : il a été mon maître en science-fiction et en littérature en général, car je suis plutôt une dévoreuse de livres documentaires, et notamment d'histoire, ma passion primordiale. Et il a eu la gentillesse de me laisser les clés du blog pour que je squatte quand il me plait.
Pour le reste, mes chroniques empruntent souvent le style de l'auteur que je lis : je suis une véritable éponge sans style propre ! Si elles sont bonnes c'est grâce à leur talent, si elles sont mauvaises c'est que je ne suis pas à la hauteur.
Vous devriez vous lancer ! Finalement c'est assez amusant de chercher le mot juste, la phrase bien balancée. Cela permet de mettre ses idées au clair et de comprendre pourquoi une lecture nous a autant touché. Et puis c'est tellement bon de pouvoir partager son plaisir de lecture !
En tous les cas je fais toujours de belles découvertes sur ce blog,j’aime bien les blogueurs qui arrivent à provoquer une émotion comme Manu ,c’est souvent lui d’ailleurs qui a les honneurs (mérités d’ailleurs)
Merci de m’encourager à me lancer,mais faute de temps et de compétences,lisant plus en espagnol, je reste spectatrice,ce qui n’est déjà pas si mal.
Merci encore.
Comme vous le soulignez on peut essayer de comprendre ou pas ce que nous dit ce récit.
Mais cela me fait penser à ”La recherche de l’homme sauvage”de Florent Barrere, ou finalement l’homme sauvage faisait un lien entre l’humanité et l’animal.
Correction du titre
Sur les traces de l’homme sauvage.
Bonjour Valérie,
Je viens de voir passer en bibliothèque le dernier roman de Nastassja Martin ”A l’est des rêves ”.
C’est sur les peuples nomades d’éleveurs de rennes qui depuis la chute du régime soviétique ne sont plus cantonnés aux fermes collectives.
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