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jeudi 9 septembre 2021

Variation oedipienne : La femme aux cheveux roux, d'Orhan Pamuk


Après seulement trois lectures d’Orhan Pamuk, se dessine un schéma assez évident dans l'œuvre singulière de l’écrivain turc. Empreinte de nostalgie et de rêveries d’une Turquie quelque peu idéalisée et figée dans le temps, sa littérature semble hantée par son enfance et par son héritage familial, quasi dynastique. Les zélateurs de Freud me pardonneront cette simplification un peu cavalière, mais il y a quelque chose de profondément psychanalytique dans sa manière d’aborder l’écriture comme une thérapie profonde, sans doute salvatrice. Que les lecteurs néanmoins se rassurent, les romans d’Orhan Pamuk peuvent parfaitement se lire en faisant abstraction de cette dimension car l’auteur est aussi et surtout un excellent conteur à la plume douce et délicate.  



La femme aux cheveux roux s’inscrit parfaitement dans cette veine psychanalytique tant le roman revendique très clairement l’inspiration du mythe oedipien et de son pendant perse, à savoir le mythe de Rostam et Sohrab (récit du Xème siècle, inspiré de l’oeuvre du poète Ferdoussi). Au début des années 1980, alors qu’Istanbul n’est pas exactement la mégapole que l’on connaît aujourd’hui et que ses faubourgs abritent encore de petits villages éloignés de la vie moderne, un adolescent (Cem) est engagé par un puisatier (maître Mahmut) durant la période estivale. Pauvre et marqué par l’abandon de son père, notre narrateur espère financer ses études d’ingénieur et entrer ainsi par la grande porte dans la vie active. Mais la tâche est ardue et les conditions de travail éprouvantes sous le soleil de plomb d’un été caniculaire. Heureusement, maître Mahmut est un homme bon et, tout en essayant d’inculquer à son apprenti les bases du métier et l’amour du travail bien fait, il le protège des tâches les plus harassantes et le couve d’un regard bienveillant et quelque peu paternel. Le soir, tous deux se rendent au village profiter de la fraîcheur du soir en dégustant un verre de Raki à la terrasse d’un café. C’est à cette occasion que Cem est littéralement foudroyé par la beauté d’une jeune femme aux cheveux roux, une comédienne en représentation avec sa troupe. Chaque soir, il attend avec impatience que la journée se termine, afin de contempler tout son soûl l’objet de son désir. Mais au-delà de cette jolie parenthèse,  la chance ne sourit guère au puisatier et le chantier s’éternise. Sûr de son savoir et de sa technique, maître Mahmut s’entête dans sa quête d’eau et au cours d’une journée particulièrement éprouvante survient un accident dont Cem est le principal responsable. Épouvanté, persuadé qu’il est coupable de la mort de son maître, l’adolescent s’enfuit et rejoint Istanbul. Au fil des années, malgré sa réussite professionnelle éclatante et un mariage heureux, mais sans enfants, Cem est rongé par la culpabilité. Il n’est pas un jour qui passe sans que la figure paternelle de maître Mahmut ne le hante. Cem est persuadé que fatalement sa culpabilité finira par éclater au grand jour. Quarante ans plus tard, les événements s’apprêtent à lui donner raison, car sans le savoir la société de construction florissante de Cem a fait l’acquisition de terrains dans le village où il fut puisatier. Désormais Cem doit affronter son passé alors que la femme aux cheveux roux resurgit elle aussi dans sa vie, menaçant son équilibre familial et psychologique.  



Roman plutôt court et resserré, au regard de la production habituelle de l’auteur, La femme au cheveux roux est une belle variation autour du mythe oedipien légèrement modernisé. On apprécie d’ailleurs que Pamuk fasse référence au récit de Rostam et Sohrab et inscrive son roman dans une double tradition, à mi-chemin entre Orient et Occident, à l’image même de ce que la Turquie représente aujourd’hui encore. Évidemment, l’ensemble pourrait paraître cousu de fil blancs et, à force d’insinuations plutôt évidentes, le lecteur aura tôt fait de deviner les tenants et les aboutissants de l’histoire de Cem. Cela ne me paraît pas gênant car l’essentiel réside dans la dimension tragique du récit, dans sa fatalité évidente, mais aussi et surtout dans sa capacité à nous faire ressentir les évolutions de la société stambouliote. Comme dans d’autres romans d’Ohran Pamuk, Istanbul est un personnage à part entière, on perçoit avec acuité sa pulsation vitale, son énergie inépuisable, ses mutations et ses interrogations. Indiscutablement la cité du Bosphore hante encore et toujours les souvenirs d’Orhan Pamuk, dont la plume est empreinte d’une grande nostalgie et d’un amour indéfectible pour sa ville natale. Là, sans aucun doute, résident la force et la grande réussite de sa littérature. 

5 commentaires:

Carmen a dit…

Une fois de plus tu écris un très beau texte.
J’avais lu ce roman de Pamuk. Hé oui l’écriture est certainement une thérapie .Istanbul existe encore beaucoup dans son imaginaire.

Emmanuel a dit…

Hello Carmen, merci pour les compliments, c'est toujours un plaisir.

Soleil vert a dit…

Pas mieux.

Voici que vient l'été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
O Soleil c'est le temps de la raison ardente
Et j'attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu'elle prend afin que je l'aime seulement
Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant
Elle a l'aspect charmant
D'une adorable rousse
Ses cheveux sont d'or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent


Apollinaire

Anonyme a dit…

Je connais peu l’auteur, de nom,mais votre chronique est flamboyante.

Emmanuel a dit…

Merci SV pour ce beau moment de poésie !

Et merci à vous cher anonyme pour votre élogieux commentaire.