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vendredi 8 janvier 2021

Montana flow : Indian Creek, de Pete Fromm

Récit initiatique à la mode nature writing, Indian Creek de Pete Fromm a tout de la tarte à la crème pour apprenti trappeur en manque de grands espaces glacés. Réduire cet excellent texte à cette simple dimension serait cependant une grave faute de goût. Certes, on y trouve tous les éléments iconiques de cette littérature dont les écrivains du Montana se sont fait une spécialité, mais on y trouve davantage encore, une sincérité et une simplicité qui rendent ce Pete Fromm décidément fort attachant et son histoire puissamment authentique.

Publié en 1993 aux Etats-Unis, Indian Creek, relate une expérience que Pete Fromm vécut à la fin des années soixante-dix, lorsqu’il était étudiant en biologie animale à l’université de Missoula. Alors qu’il s’ennuie vaguement sur les bancs de la fac, Pete accepte sur un coup de tête de passer un hiver entier dans une vallée isolée à la frontière du Montana et de l’Idaho. Nourri des lectures des célèbres aventuriers et autres explorateurs du grand nord, l’occasion lui paraît trop belle de vivre une expérience inoubliable, seul au monde, perdu dans cette immensité montagneuse et glacée la moitié de l’année. Logé sous une tente, dans des conditions plutôt précaires, on lui confie la mission de veiller sur deux millions d’alevins de saumon, qui devront passer l’hiver sans congeler afin, au printemps, de pouvoir coloniser à nouveau la rivière Selway. La mission de Pete est assez simple, tous les jours il devra prendre soin du bassin dans lequel  sont parqués les poissons en brisant la glace qui ne manquera pas de se former. En dehors des randonnées familiales, Pete n’a qu’une connaissance assez limitée de la montagne en hiver, mais c’est un gars costaud et débrouillard, qui sans trop réfléchir donne immédiatement son accord. Il est comme ça le Pete, d’une simplicité désarmante et capable de prendre des décisions radicales sur un coup de tête. Avec l’aide de ses potes, il rassemble le matériel nécessaire pour un séjour prolongé dans le froid, amasse une quantité considérable de denrées de base et part la fleur au fusil en compagnie des gardes forestiers qui le conduiront jusqu’à Indian Creek par la route (praticable uniquement à la belle saison). Sur place, le jeune homme découvre les conditions réelles de son nouveau job : une tente pour loger, un poêle à bois pour se chauffer et pas de téléphone à moins de plusieurs heures de marche. Mais le paysage est absolument splendide et promet d’être à couper le souffle une fois les neiges venues. Une heure plus tard, Pete est abandonné par les gardes, avec pour seule compagnie une petite chienne que ses amis lui ont confiée, une tronçonneuse pour couper les dix mesures de bois qui lui seront nécessaires pour ne pas mourir de froid et un stock considérable de patates et de haricots secs. Autrement dit : le paradis. 



Loin de moi l’idée de dévoiler l’ensemble du récit de Pete Fromm, dans de telles conditions on imagine aisément que le bonhomme a eu droit à quelques épisodes rocambolesques voire légèrement épiques, mais moins qu’on ne pourrait le croire car malgré des hivers rigoureux, le Montana n’est pas aussi isolé que le Yukon ou l’Alaska du XIXème siècle. Si la solitude lui pèse, tout du moins les premières semaines, Pete a l’occasion de croiser de nombreux chasseurs, des gardes des eaux et forêts et son isolement ne dure jamais plus de deux ou trois semaines. Ces visites viennent casser la monotonie de son quotidien et lui redonner du baume au cœur. Au fil des semaines, on assiste doucement mais sûrement à l’acclimatation d’un jeune homme un peu insouciant et légèrement naïf aux rudes conditions de l’hiver dans les Rocheuses. Et de constater que la vie finalement se résume à peu de choses : être au chaud et au sec, trouver de quoi manger, éviter de se blesser inutilement. Pete organise donc sa vie autour de ces activités. Les premiers jours sont consacrés à un intense bûcheronnage, puis une fois rassuré quant-à sa capacité à se chauffer, Pete s’invente une petite vie de trappeur et de chasseur, l’occasion de se confronter au réel en accumulant les désillusions, mais aussi les petites victoires sur l’adversité. Chaque avancée est vécue avec une joie et une absence de retenue parfaitement jubilatoires. Ce retour à l’essentiel et à une forme de simplicité absolue est immensément apaisant et procure au lecteur un sentiment de plénitude indescriptible. On se réjouit en même temps que Pete de ses premiers succès à la chasse, on frissonne avec lui de froid lorsque le blizzard fait trembler la toile de sa tente avec fracas, on salive de plaisir à l’idée de griller une bonne grouse pour le dîner et on hume par la pensée ses premiers succès de boulanger de l’extrême. Il y a une joie primaire dans chacune de ces petites réussites. Mais bien au-delà de ces descriptions d’une vie somme toute assez sommaire, voire un peu fruste, on se laisse emporter par le regard de cet homme qui grandit en même temps qu’il apprend, par la pratique, l’observation, l’erreur. Au fil des mois, Pete s’aguerrit et son expérience lui permet de s’affranchir chaque jour un peu plus des simples besognes qui lui permettent de survivre. Son esprit se tourne alors vers son environnement, l’acuité de ses sens s’affine et indirectement nous plonge dans cette nature sauvage et en grande partie préservée. Les éléments naturels s’imposent avec force et c’est comme si l’homme se fondait jour après jour un peu plus dans le paysage pour ne faire plus qu’un avec lui. Cette fusion de l’esprit et de la nature sauvage donne lieu à des descriptions d’une grande finesse et d’une parfaite délicatesse. Une perle de givre scintillant sous la caresse d’un soleil matinal, la douce lumière d’hiver qui illumine la canopée en fin de journée, le crissement des pas de Pete lorsque ses raquettes s’enfoncent doucement dans le manteau neigeux qui recouvre la vallée, le doux bruissement de la neige qui, sous l’action de son propre poids, glisse d’une branche de sapin avant de s’écraser au sol dans un bruit presque feutré, le spectacle d’une loutre en plein repas sur les berge d’une rivière encore à moitié glacée, le bond spectaculaire d’un puma réfugié au sommet d’un arbre….. toutes ces scènes participent à la réussite d’un roman marqué par le regard que porte Pete sur ce petit bout de terre perdu dans les Rocheuses du grand ouest. On respire, on vibre, on tremble et l’on s’émerveille à l’unisson d’un homme dont la vie restera marquée par cette expérience à la fois éprouvante et riche de mille enseignements. Si après cette lecture vous n’êtes pas irrémédiablement saisi par l’envie d’aller fouler de vos pas les sentes enneigées d’Indian Creek, je veux bien être pendu.


 

6 commentaires:

Carmen a dit…

C’est très bien présenté dans ta chronique et tu as le don de nous transposer dans cet univers hivernal, mais je preférerais être en ce moment dans l’hémisphère Sud.
Mais le message que fait passer l’auteur du retour à l’essentiel dans ces montagnes est intéressant.

Emmanuel a dit…

Ah mais en ce moment il fait un petit -5°C par chez nous, donc je te comprends ;-)

Soleil vert a dit…

Ces ermitages réussis doivent laisser une trace indélébile, j'imagine, créer un point d'ancrage pour les années difficiles, alors même que nous nous éloignons de plus en plus de la Nature.

Emmanuel a dit…

Je n'en ai pas parlé, mais à ce sujet l'épilogue du livre (qui d'ailleurs est plutôt une postface) est assez éclairant. Le livre a aussi marqué pas mal de générations de lecteurs américains, certains lui vouent un culte et font des pèlerinages à Indian Creek (bon c'est pas Las Vegas, mais apparemment pour la tranquillité et la communion avec la nature il faudra désormais choisir une autre destination).

Valérie a dit…

Merci pour cette lecture que je viens de terminer, non sans une certaine mélancolie, celle du bon livre qui se terminé mêlée à celle de l'auteur à la fin de son aventure. Je pense que je vais réserver un bout d'étagère aux récits de cabanes. J'ai déjà celui de Sylvain Tesson sur les bords du lac Baïkal et les deux tomes consacrée à Agafia par Vassili Peskov, au fin fond de la Sibérie. Mais Pete Fromm se détache par la drôlerie de certaines situations et son autodérision. C'est avec une tendresse grandissante qu'on le laisse nous guider dans son aventure.
Le point commun, c'est que tous ces ermites se retrouvent dans une autre temporalité, un tempo de la vie non pas plus lent mais différent. C'est probablement là que réside toute la magie de ces récits à la fois très différents et pourtant semblables.

Emmanuel a dit…

Tu devrais amplement trouver ton bonheur chez Gallmeister pour tes récits de cabanes ;-)