Rarement ces dernières années un
auteur aura autant déchaîné les passions que David Foenkinos.
Adulé par les uns, détesté par les autres, descendu en flamme par
une partie de la critique… on lit et on entend dire tout et son
contraire sur cet auteur qui, il est vrai, vend beaucoup ; ce qui en
France est, comme chacun le sait, éminemment suspect. A titre
personnel, je me fiche pas mal qu’un auteur vende des tombereaux
d’exemplaires de ses romans, pourvu qu’ils soient bons, même si
parfois je regrette que certains auteurs très talentueux ne trouvent
pas leur place auprès des lecteurs. Mais il faut dire que la
critique a parfois une vision trop romanesque du marché du livre,
comme s’il fallait forcément être un écrivain maudit pour
mériter le respect et entrer dans la légende. Alors Foenkinos
est-il à classer parmi les Marc Levy et autres Guillaume Musso et,
auquel cas, faut-il comme certains ne manquent pas de le faire, le
brûler en place publique ?
Autant mettre les choses au point, Le
mystère Henri Pick n’est que le second roman de l’auteur que
j’ai eu entre les mains. Le précédent, Charlotte, m’avait en
grande partie séduit, par sa prise de risque (le sujet n’avait
rien d’évident), par son écriture (sobre et dépouillée, malgré
quelques tics un peu gênants) et par l’attachement que l’auteur
semblait éprouver à l’égard du personnage principal, Charlotte
Salomon (peintre d’origine juive morte pendant la déportation).
Alors quand deux de vos plus proches amies vous glissent le livre
entre les mains et vous le recommandent chaudement, il paraît
difficile de résister à l’envie d’en savoir un peu plus sur le
mystère Foenkinos.
Le roman se veut au départ assez léger
et mystérieux. En Bretagne, à Crozon, un bibliothécaire un brin
farfelu s’est pris de passion pour les auteurs atteints de disgrâce
et entreprend d'accueillir dans sa bibliothèque tous les
manuscrits refusés par les éditeurs (une idée directement inspirée
par Richard Brautigan, éminent représentant de la beat generation,
qui ouvrit dans le Vermont une bibliothèque fonctionnant sur ce
principe). L’idée fait sourire et la bibliothèque de Crozon
acquiert une petite notoriété, avant que l’attrait de la
nouveauté ne disparaisse et qu’elle ne retombe dans un confortable
anonymat. Mais les auteurs oubliés ont continué à affluer, faisant
de Crozon le temple des manuscrits jamais publiés, jusqu’au jour
où une jeune éditrice y découvre semble-t-il un chef d’oeuvre
passé inaperçu, une pépite qu’elle projette désormais de
publier. Mais un mystère demeure, qui est Henri Pick, l’auteur
parfaitement inconnu qui se cache derrière ce chef-d’oeuvre ?
Delphine, l’éditrice, et son compagnon partent donc sur une piste
cousue de fils blancs, qui les mène tout droit sur les traces d’un
pizzaiolo du cru, un brave homme décédé depuis deux ans et qui
selon sa veuve n’ouvrit jamais un seul livre de son vivant. Mais
comment un homme, certes gentil mais un poil bourru, peut-il être à
l’origine d’un roman d’amour aussi fin et sensible, imprégné
par la poésie de Pouchkine et magnifié par le destin de sa fin
tragique ? C’est un mystère que Delphine et sa maison d’édition
espèrent bien exploiter afin d’assurer le succès du livre, avec
un sens du marketing qui n’a d’égal que le flair et le talent
qu’elle déploie pour dénicher les nouveaux talents.
Léger et enlevé, le roman de David Foenkinos n’est pas dénué de profondeur lorsqu’il se penche sur les sentiments qui tourmentent ses personnages ; car au creux de ce mystère se cache une très belle histoire d’amour que les premiers lecteurs d’Henri Pick imaginent forcément autobiographique. En réalité c’est tout le roman de Foenkinos qui est littéralement irrigué par le sentiment amoureux, celui qui unit indéfectiblement Delphine et son compagnon écrivain, celui qui se délite entre l’assistante bibliothécaire et son mari fatigué par les années passées à l’usine, celui qui fut irrémédiablement contrarié entre l’ancien bibliothécaire et une jeune Allemande quelques années après la seconde guerre mondiale…. Foenkinos se penche sur ces destins amoureux, d’une manière à la fois légère et délicate, mais avec la gravité nécessaire pour que le lecteur se laisse emporter par le flux d’émotions. Et la recette de l’auteur fonctionne vraiment bien, avec ce savant mélange de sentimentalisme un peu fleur bleue (mais pas niais contrairement à ce que j’ai pu lire), agrémenté d’un soupçon de mystère et d’une pointe de critique lorsqu’il évoque le cynisme qui semble propre au monde de l’édition. Chaque personnage est délicieusement campé, touchant et profondément humain, avec cette simplicité qui, semble-t-il, caractérise la plume de David Foenkinos. On pourra certes regretter que la critique reste un tantinet superficielle ou que la réflexion sur la condition d'écrivain ne soit que trop brièvement évoquée, mais en définitive cela n’empêche en rien Le mystère Henri Pick d’être une petite pépite de douceur qui fait du bien à l’âme. Et qu’importe s’il vous tire une larme un peu facile, vous aurez bien un carré de tissus pour effacer délicatement cette petite perle salée qui fait briller intensément le regard et fondre les coeurs. Autrement dit, laissez-vous un peu aller bordel, on ne peut pas tous les jours lire du Dos Passos ou du Dostoievski.
2 commentaires:
Vous avez raison D FOENKINOS est souvent vilipendé, mais j'avais bien aimé "Les souvenirs"du meme auteur où il rend un vibrant hommage à sa grand mère.
On ne dit jamais assez aux gens qu'on les aime de leur vivant.
1000 fois oui, c'est une contradiction qui m'a toujours étonné. Drôle de monde où les gens qui s'aiment n'osent pas témoigner leur attachement avant les derniers instants.
Enregistrer un commentaire