Rechercher dans ce blog
samedi 14 mars 2009
La chute de la CIA, de Robert Baer
Pendant un quart de siècle Robert BAER a travaillé pour la CIA en tant qu'officier à la direction des opérations (DO), c'est à dire la division de la CIA qui officie sur le terrain, l'autre branche de la CIA étant la direction du renseignement (DR : regroupe les analystes et autres spécialistes de géopolitique officiant dans les bureaux). En d'autres termes et pour rattacher cet excellent livre à l'univers plus folklorique de la littérature et du cinéma, Robert BAER est un agent secret, un espion, l'alter-ego de James Bond. Au risque d'en décevoir plus d'un, il convient cependant, afin de partir sur de bonnes bases, d'oublier toute imagerie d'Epinal et autres clichés de pacotille. Le monde du renseignement n'a pas grand chose à voir avec James Bond, ni même avec Jason Bourne, ne vous attendez pas à des exploits de la part de Robert BAER, il n'est ni une tête brûlée ni un super-soldat équipé des derniers gadgets de la CIA. Evidemment, à l'occasion il peut utiliser quelques bricoles high-tech, mais en général son seul artifice est un téléphone satellitaire ; avouez que tout ceci paraît soudain moins romanesque.
Les mémoires de Robert BAER ont également inspiré le film Syriana, qui se contente pourtant d'en capter la philosophie et la quintescence et non le fil narratif, il paraît en effet difficile résumer en deux heures 25 ans d'une carrière riche en événements et d'une très grande complexité géopolitique. De l'Irangate à Oussama Ben Laden, en passant par la chute de l'URSS et la guerre du golfe, la carrière de Robert BAER est marquée par son engagement et sa lutte contre les réseaux terroristes issus de l'Islam radical. Un engagement, oui, car BAER est issu de l'ancienne école, celle des barbouzes de l'OSS, celle des adeptes du contact sur le terrain, de la prise de risque et de l'affrontement nécessaire. Face à lui, le terrorisme islamiste et..... la bureaucratie américaine. Car l'administration fédérale n'est pas le moindre des adversaires et louvoyer dans les méandres de Washington relève du parcours du combattant. Politiciens verreux et fonctionnaires carriéristes infestent les couloirs de la Maison blanche et du Congrès, sans compter les pressions en tous genres, court-circuitages de dernière minute et autres actions de lobbying liées à des intérêts économiques. Pendant que les technocrates bataillent pour le pouvoir à Washington et que les pôts de vin fleurissent sous les tables des restaurants chics de la capitale, les officiers de la CIA tentent de faire leur boulot sur le terrain, collectent des renseignements capitaux pour la sécurité nationale, nouent des contacts avec des agents étrangers et tentent tant bien que mal de déjouer les plans d'une mosaïque terroriste aussi complexe que floue. L'incompréhension de BAER face aux décisions prises par l'administration américaine est d'autant plus facile à comprendre qu'elle n'est souvent dictée que par le politiquement correct, la diplomatie molle ou pire, des intérêts purement mercantiles. En se reposant, dans le domaine du renseignement, non plus sur le facteur humain (les agents sur le terrain, les officiers de liaison, les analystes), mais sur une batterie de technologies high tech (satellites espions, réseaux de surveillance des télécommunications), Washington fonce droit dans le mur, négligeant ou sous-estimant des données bien réelles, solides et fiables.
La fin du livre est d'ailleurs à ce titre la plus édifiante. A la suite d'une opération avortée en Irak, Robert BAER est rappatrié en urgence aux Etats-Unis, définitivement grillé auprès de l'administration puisque catalogué comme dangereux fouteur de merde,il est nommé à la tête du service en charge du Proche Orient. Un travail administratif qu'il prend pourtant à coeur puisqu'il consiste à coordonner l'action des agents sur le terrain. Très à l'aise sur le théâtre des opérations, BAER apprend également à l'être sur l'échiquer politique afin d'éviter les pièges et autres chausse-trappe de Washington. Ce qui ne l'empêche pas de se heurter à un mur. Ses alertes concernant différents mouvements islamistes, entre autres celui d'Oussama Ben Laden, restent lettre morte, même lorsque les connexions les plus inquiétantes sont mises à jour (notamment lorsque certaines organisations de façade laissent entrevoir les liens de plusieurs groupes terroristes avec les autorités iraniennes). Les intérêts financiers semblent prévaloir sur la sécurité nationale et le lobby du pétrole est bien plus puissant qu'un simple cadre de la CIA. L'organisation est d'ailleurs sur le point d'être démantelée au milieu des années 90, sous les coups de boutoirs du FBI (pendant des dizaines d'années, J. Edgar Hoover a souhaité s'accaparer les prérogatives de la CIA, notamment en matière de contre-espionnage) et du NSC (National Security Council). Les anciens cadres de la CIA sont remerciés pour être remplacés par des technocrates sans expérience et sans culture du renseignement, la chasse aux sorcières comme au bon vieux temps du maccarthysme est lancée. Sur le terrain on envoie d'anciennes secrétaires ou des bureaucrates sans aucune formation, de toute façon leur rôle consiste non pas à recruter des contacts et à collecter des infos, mais se borne aux relations publiques ; ces hommes représentent la CIA à l'étranger, ni plus ni moins. Au siège de la CIA plus personne n'est capable de parler le Farsi et ne parlons pas des dialectes plus exotiques, pour lesquels l'agence n'arrive même plus à recruter de traducteur. La CIA est progressivement vidée de sa substance, son rôle s'estompe au profit d'autres agences gouvernementales, dont les objectifs ne sont pas toujours similaires, ni toujours très clairs.
Il ne s'agit pas de faire de l'angélisme et de chanter une ode à la gloire de la CIA, mais la thèse de BAER est tout à fait défendable dans le sens où cette gabegie a été à l'origine de l'aveuglement des autorités américaines face au terrorisme. Confortée dans son sentiment de toute puissance et sûre de sa suprématie technologique, l'Amérique a négligé l'essentiel, ignorant des signaux d'alerte évidents pendant que l'adversaire fourbissait ses armes dans l'ombre.
Extrêmement intéressant, fiable, le témoignage de Robert BAER est précieux et passionnant ; un outil utile à la compréhension des enjeux stratégiques de ces vingt dernières années en matière de géopolitique du Proche-Orient. Les amateurs de révélations fracassantes et d'action débridée en seront pour leurs frais, même si l'on apprend un certain nombre d'anecdotes assez savoureuses au cours du récit. De même que les espions en herbe seront dépités de constater finalement la banalité relative du métier d'agent secret, un travail qui relève d'avantage de l'enquêteur méthodique que du soldat de choc.
Robert BAER a démissionné de la CIA en 1997.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire