“Moi j’aime pas le
froid”, comme disait ma fille de deux ans lorsqu’on la menaçait
de la priver de glace (oui, comme tous ces parents cruels qui
obligent leurs enfants à manger des légumes, il faut parfois user
de méthodes coercitives pas franchement reluisantes). Bon ben son
père c’est pareil, il n’aime pas le froid, mais alors pas du
tout. Par contre il aime la glace. Bref, vous l’aurez compris, les
contrées nordiques ne m’ont jamais réellement attiré, non pas
que les paysages du Grand Nord ne possèdent aucun charme, loin de
là, mais je préfère les admirer sur carte postale plutôt qu’en
vrai, les pieds bien au chaud. C’est la raison pour laquelle je
n’ai jamais cédé à la mode des polars venus du froid qui sévit
depuis quelques années dans le milieu de l’édition, je crois même
n’en avoir jamais lu aucun jusqu’à ce jour. C’est mal d’avoir
des préjugés, oui c’est vrai, c’est la raison pour laquelle je
vais dire du bien du livre d’Olivier Truc, qui pour le coup n’est
pas vraiment scandinave, même s’il vit en Suède où il occupe la
fonction de correspondant pour Le Monde.
Pour les incultes comme
votre serviteur, la Laponie est un territoire d’Europe du Nord
situé à cheval sur plusieurs pays (Norvège, Suède, Finlande et
même une petite part de Russie) et à l’origine peuplé par les
Samis (nous éviterons d’user du terme Lapons, issu du Suédois et
péjoratif puisqu’à l’origine il signifiait “Porteurs de
haillons”), qui furent colonisés par nos amis vikings à partir du
XIIème siècle. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, la
Laponie n’est pas seulement le pays du Père Noël, du steak de
renne et des aurores boréales, mais une région à l’histoire
complexe, dotée de structures politiques et administratives
d’exception, destinées à reconnaître le statut, la culture et le
mode de vie du peuple Sami. Ces exceptions concernent surtout des
droits de pêche et de chasse, des droits de passage destinés à
l’élevage des rennes, des frontières plus souples entre les
différents pays qui se partagent la Laponie et une police
particulière, transnationale, appelée “Police des rennes” et
chargée de veiller à la bonne entente entre les différents
éleveurs d’une région où près de 150 000 têtes de bétail (des
rennes, hein, pas des vaches ou des moutons) se disputent une
nourriture peu abondante en hiver. Ce particularisme peut faire
sourire, mais l’élevage reste la principale ressource économique
de la région ( riche en ressources naturelles, mais très protégée)
et un élément fondamental de la culture sami. Les conditions
climatiques peuvent parfois devenir compliquées et exacerber les
tensions dans une communauté non violente par essence (le mot guerre
n’existe pas en sami), mais où les esprits peuvent tout de même
s’échauffer.
Klemet est d’origine
Sami, membre expérimenté de la police des rennes, il parcourt des
centaines de kilomètres sur sa motoneige à travers les steppes
glacées en compagnie de sa jeune coéquipière, Nina, à qui il
enseigne les bases du métier. Observation et préservation de la
nature, visites auprès des éleveurs, parfois très isolés,
surveillance des zones de pâturage… leurs missions sont nombreuses
et capitales dans cette région, même si elle fait sourire certains
de leurs homologues de la police de Kautokeino, leur base de
rattachement. Mais leur routine quotidienne est subitement
bouleversée par deux affaires d’importance, la première concerne
le vol d’un tambour cérémoniel sami, récent don au musée de
Kautokeino. La seconde n’est autre que le meurtre d’un éleveur
de rennes, à qui les deux policiers avaient très récemment rendu
visite. Associés, mais seulement à la marge, à ces deux enquêtes,
Klemet et Nina sont persuadés que les deux affaires sont liés et
que l’enquêteur principal fait fausse route. Mais les autorités
mettent la pression sur les membres de la police locale car une
conférence de l’ONU se tiendra très prochainement dans la région
et l’enquête du tambour volé doit être résolue avant que les
projecteurs ne se tournent vers la Laponie.
Avare en action débridée, ce qui me convient très bien, Le dernier Lapon compense largement ce menu défaut par une ambiance vraiment prenante, à la fois calme, pesante et un brin hors du temps. L’auteur ne cherche en aucune manière à impressionner son lectorat, à lui en mettre plein la vue à chaque page, mais s’attache au contraire à retranscrire avec simplicité et authenticité cet univers de glace et de nuit (le roman se déroule à la toute fin de l’hiver polaire, alors que le soleil réapparaît après plusieurs semaines d’absence). Il s’attache à décrire avec force détails et un grand sens du réalisme le mode de vie des hommes et des femmes qui peuplent cette région, leurs coutumes et leurs traditions, les relations entre les différentes populations et leurs éventuelles frictions, héritées parfois d’un lointain passé. Celui-ci ressurgit d’ailleurs à de multiples reprises et n’est pas sans rappeler l’histoire complexe des peuples amérindiens colonisés par les européens (on pourrait d’ailleurs facilement effectuer des rapprochements avec les romans de Tony Hillerman). L’enquête en elle-même, sans être foncièrement trépidante, est assez bien menée, sans violence (ou presque) et sans coup de feu, ce qui a tout de même le mérite d’être assez rare. Au cas où vous chercheriez des super-flics, des as de la déduction géniale doublés de champions de la gâchette, je vous conseillerais plutôt de vous diriger sur d’autres types de polar car les ressorts de celui-ci reposent sur d’autres arguments.