Une fois n’est pas
coutume, me voilà sur le point de faire l’apologie d’un best
seller. Notez que je n’ai rien contre ce type d’ouvrage, mais en
général ils n’ont guère besoin de publicité pour s’écouler à
plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires (un an après sa
sortie, en 2008, le roman s’était déjà vendu à plus de 180 000
exemplaires). Point de méprise par ailleurs sur mes prétentions, je
sais bien l’influence extrêmement mineure d’un papier publié
sur un obscur blog perdu au fin fond du web, mais en général je
préfère mettre en avant des livres que la sphère médiatique et
l’empressement des éditeurs à publier toujours plus ont quelque
peu laissés sur le bord de la route. Expatrié aux Etats-Unis depuis
le début des années 1980, Khaled Hosseini est le fils d’un
diplomate afghan et d’une enseignante de persan, médecin de
formation, il a notamment travaillé pour le HCR (organisme des
Nations Unies chargé d’aider les réfugiés) en faveur de
l’Afghanistan. On lui doit un premier succès littéraire, Les
cerfs-volants de Kaboul, porté à l’écran en 2007 par Marc
Foster.
“Nul ne pourrait
compter les lunes qui luisent sur ses toits, ni les mille soleils
splendides qui se cachent derrière ses murs”
Le roman débute par
l’histoire de Mariam, élevée à quelques kilomètres de la ville
de Herat (Sud de l’Afghanistan) par sa mère Nana. Son père,
Jalil, est pourtant un homme d’affaire important et respecté,
propriétaire de plusieurs commerces et même d’un cinéma. Mais
Mariam n’est pas une enfant légitime et pour sauver les
apparences, la mère et la filles ont dû se résigner à vivre dans
une kolba (habitation traditionnelle en torchis) isolée au milieu
d’un clairière. Jalil vient une fois par semaine rendre visite à
Mariam, qui compte avec patience chaque jour qui la sépare de ces
rencontres. Doux, gentil, attentionné, Jalil lui apparaît comme un
père merveilleux, alors que sa mère semble constamment aigrie et
revendicative à son égard. Elle cache même difficilement sa
réprobation quant à l’attachement que la fillette porte à son
père et ne cesse de la prévenir qu’il n’est pas l’homme
qu’elle croit. Alors que son quinzième anniversaire approche,
Mariam émet le souhait de sortir en compagnie de son père au cinéma
de Herat, mais Jalil ne viendra jamais la chercher. Incompréhension,
colère, Mariam s’enfuit de chez elle pour se rendre jusqu’à la
demeure que son père occupe avec ses épouses et ses enfants
légitimes, d’où elle est durement refoulée. A son retour, elle
trouve sa mère pendue, sans doute affolée par le geste de sa fille
qu’elle croyait à jamais perdue. Embarrassé, son père n’ose
affronter la vindicte et la réprobation de ses trois épouses,
Mariam ne pourra donc pas vivre chez son père et, alors qu'elle vient tout juste de fêter son quinzième anniversaire, elle est mariée à un homme plus âgé de vingt ans,
un pachtoun qui ne parle pas sa langue et qui se montre d’une
violence inouïe à son égard. Sa vie à Kaboul, bien loin de Herat,
sera marquée par une succession de vexations, de violences et de
privation de ses droits les plus élémentaires. Soumise à son mari,
Mariam regarde Kaboul tomber peu à peu sous le joug de la violence,
les soviétiques défaits laissent bientôt la place aux Moudjahidin
et aux seigneurs de guerres, qui à force d’affrontements
fratricides font le lit des Talibans.
A l’histoire de Mariam
vient se greffer celle de Laila, jeune kabouli élevée dans une
famille progressiste, mais dont le père a perdu le statut
d’enseignant à la suite de l’arrivée des soviétiques.
Brillante jeune fille, Laila fait la fierté de ses parents, mais
l’instabilité du pays et la montée de l’islamisme mettent en
péril son avenir. A la suite d’un tir de roquettes, son père et
sa mère meurent dans l’effondrement de leur maison alors qu’elle
sort tout juste de l’adolescence. A moitié inconsciente, elle est
recueillie par Mariam et son mari, qui trop heureux de l’aubaine,
lui propose de l’épouser à peine s’est-elle remise de ses
blessures. Contre toute attente, les deux femmes, pourtant séparées
par une génération, finissent par se lier d’amitié et par faire
front face à la violence de leur mari. Ensemble elles se
soutiennent, se protègent, élèvent les enfants que Laila a conçus avec
Rachid et leur procurent tout l’amour dont elles sont capables,
tentant de les protéger dans un pays ravagé par les conflits
internes et la montée de l'extrémisme.
“Révèle ton secret au
vent, mais ne lui reproche pas de le répéter aux arbres”
Écrit avec une économie de moyens qui n’empêche en rien le sens de la narration et les talents de conteur de l’auteur de s’exprimer pleinement, Mille soleils splendides n’a rien du best seller écrit en mode automatique et répondant au cahier des charges des ateliers d’écritures anglo-saxons auquel se conforment la plupart de ces ouvrages. Le roman de Khaled Hosseini est une véritable oeuvre d’auteur, chargée en émotions, mais qui donne à voir, à penser et à réfléchir. Les ouvrages qui racontent l’Afghanistan ne sont pas légion et celui-ci le fait bien, avec des mots simples et beaucoup de coeur. Il raconte les guerres successives qui ont conduit ce pays au bord de la ruine, la montée de l’islamisme, le déclin de toute forme de progressisme et le recul des droits des femmes. C’est d’ailleurs ce déclin d’une certaine forme de civilisation qui interroge, l’Islam empreint de tolérance et irrigué par une culture millénaire (de nombreux poètes sont cités tout au long de l’ouvrage), cède peu à peu la place à l'extrémisme religieux, prônant la charia et réduisant les femmes à l’état d’objets ; mais l’on sait bien au final que tout cela n’a pas grand chose à voir avec les fondements de la religion et de la foi, non, tout cela n’est qu’une lutte pour obtenir le pouvoir et contrôler les masses populeuses selon le bon vouloir de chefs de guerre qui changent de maître au regard de leurs intérêts immédiats. Au milieu de ces combats fratricides, deux figures féminines magnifiques émergent, pleines d’incertitudes mais chargées d’espoir ; leur histoire et surtout leur amitié indéfectible portent littéralement ce très beau roman vers des sommets. Alors quand la bonne littérature rencontre le succès, on ne va certainement pas s’en plaindre.
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