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vendredi 4 mars 2011

Polar bien noir : Miami blues, de Charles Willeford

Largement ignoré du grand public et parfois abusivement considéré comme un second couteau, Charles Willeford fait pourtant partie des auteurs majeurs du roman noir américain. Ecrivain maudit sans cesse à la poursuite du succès, outrageusement talentueux mais constamment boudé du public, Willeford est de ceux dont la vie aussi bien que la plume forcent le respect. Tantôt soldat, écrivain, soldat à nouveau, écrivain et enfin enseignant à l’université de Floride, il alterne les périodes d’écriture avec les phases de profond dégoût, voire de dépression. Il sombre dans l’alcool puis l’appel de l’écriture est à nouveau le plus fort. En 1984, Willeford publie Miami blues, un polar sombre et violent, qui contre toute attente rencontre le succès. Carton plein pour l’auteur, dont le talent est enfin reconnu à sa juste valeur. Face au succès et à la pression de son éditeur, il écrit plusieurs suites mais ne profitera même pas de l’avance de 225 000 dollars qu’il obtient pour son dernier roman, terrassé par une crise cardiaque une semaine après la sortie de Ainsi va la mort.

Miami blues a ceci de particulier qu’il met en scène deux parfaits anti-héros : Hoke Moseley, flic expérimenté mais fatigué de la police de Miami, et Frederic J. Frenger, alias Junior, dangereux psychopathe tout droit venu de Californie. Le roman n’est pas sans rappeler Un tueur sur la route de James Ellroy (publié deux ans plus tard) ou bien encore les livres parfaitement déjantés de Tim Dorsey (autre auteur de la vague floridienne) en moins drôle. L’histoire démarre néanmoins de manière assez saugrenue. Alors qu’il débarque à l’aéroport de Miami, Junior se débarrasse, en lui cassant le doigt, d’un jeune homme qui tentait de lui soutirer quelques dollars pour une cause obscure. Sans le savoir, Junior l’a en réalité tué ; l’homme, en état de choc, succombe à cette blessure en apparence anodine avant même que les secours ne soient sur place. Junior quant à lui, a décidé de se mettre au travail. Il loue une chambre dans un hôtel luxueux et s’empresse de se rencarder sur les possibilités offertes par la ville de Miami en matière de criminalité avec violence, mais avant d’explorer la cité floridienne il se paie du bon temps avec une prostituée. Coup du sort incroyable, la jeune fille (Susan) se trouve être la soeur de l’homme qu’il vient d’assassiner. Commence alors avec le sergent Hoke Moseley, à qui l’affaire vient d’être confiée, un jeu du chat et de la souris pour lequel notre psychopathe est loin d’être démuni.

En apparence tirée par les cheveux, la trame de Miami blues est en réalité extrêmement bien troussée et repose sur la relation ambiguë qui lie les trois principaux personnages (Moseley, Junior et Susan) du roman. Tous les trois sont en situation d’échec social. Moseley est divorcé, il vit dans une chambre d’hôtel minable sans réussir à joindre les deux bouts, porte un dentier qu’il a du mal à assumer, ne voit sa fille que deux fois par an et a du mal à gérer ses relations avec les femmes. Junior/Freddy, est incapable de s’insérer dans la société ; dangereux, violent, intelligent (ou tout du moins calculateur) il aspire pourtant à vivre une vie normale puisqu’il tente par tous les moyens de donner à la relation qu’il entretient avec Susan les apparences de la normalité (il s’installe avec la jeune fille dans une petite maison, part tous les matins détrousser les passants au centre commercial, comme s’il s’agissait d’un boulot respectable). Quant à Susan, elle incarne la parfaite petite femme d’intérieur, prépare de bons petits plats pour son psychopathe de mari, accepte toutes les humilations (sexuelles comme psychologiques) en filant le parfait amour avec Junior/Freddy. En réalité c’est toute la société américaine, symbolisée par la très édifiante ville de Miami, qui semble gangrenée par la violence et la schizophrénie sociale (voire sociétale). La violence explose à tous les coins de rue dans une ville assaillie par des vagues d’immigrés cubains, les classes moyennes blanches fuient et se replient dans les banlieues sécurisées, les filcs pétent les plombs et les criminels s’en donnent à coeur joie. Alors chacun se donne une apparence et tente de préserver son intégrité en se raccrochant aux lambeaux d’une vie affreusement matérialiste et anxiogène.

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