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lundi 30 septembre 2024

Le soleil des Scorta, de Laurent Gaudé

 

Après avoir remporté le Goncourt des lycéens avec La mort du roi Tsongor en 2003, Laurent Gaudé enfonce le clou l’année suivante en remportant le Goncourt avec Le soleil des Scorta, une fresque historico-familiale, en partie inspirée par ses séjours réguliers dans les Pouilles, une région pauvre et aride du sud de l’Italie d’où son épouse est originaire. 


Baignée par les eaux turquoises et limpides de la mer adriatique et écrasée par un soleil implacable une grande partie de l’année, la région du massif du Gargano est l’une des plus pauvres d’Italie. C’est là que depuis les hauteurs, le petit village fictif de Montepuccio (largement inspiré par le village bien réel de Monte Sant’Angelo) domine cette splendide région. En ce début de XXème siècle, ses habitants vivent chichement de la pêche et des cultures d’oliviers; la vie n’y est guère rythmée que par les travaux des champs et les sorties en mer. C’est au cours d’une journée caniculaire que Luciano Mascalzone, un vaurien de la pire espèce tout juste sorti de prison, commet un viol alors que le village est écrasé par la torpeur estivale. Le crime ne restera pas impuni et lorsque les habitants réalisent l’ampleur de l’affront, ils se chargent de lapider le vaurien. Mais de cette union non consentie naît un enfant, un garçon qui dès sa naissance se retrouve orphelin, sa mère n’ayant pas survécu longtemps à son accouchement. Par charité, et contre l’avis de ses paroissiens, le curé du village sauve l’enfant et le confie à une famille d’un village voisin. C’est ainsi que naquit Rocco Scorta, qui devint une fois adulte l’un des pires bandits qu’ait connu la région, ainsi que le bourreau de Montepuccio. Rocco prenait ainsi un malin plaisir à rançonner, voler et tyranniser ceux qui avaient souhaité sa perte. Rocco se maria, avec une jeune sourde-muette qu’il avait certainement kidnappée au cours d’une de ses razzias, lui fit trois beaux enfants et construisit une splendide maison sur les hauteurs de Montepuccio. Bon an mal an, les villageois, qu’il avait pourtant spoliés et  tourmentés, finirent par le considérer comme une sorte de notable. Un glissement de mentalité facilité par des coups de force de plus en plus rares et de plus en plus éloignés de Montepuccio. Mais Rocco Scorta sentit un jour sa fin proche, il convoqua le curé et passa un pacte : il renonçait à toute cette fortune si mal accumulée, réduisant ainsi sa propre famille à la misère la plus crasse, mais en échange, tous les descendants des Scorta auraient droit aux funérailles les plus fastes jamais vues dans le village. Ainsi se poursuivit la malédiction des Scorta, pour le plus grand malheur des enfants de Rocco, désormais orphelins et sans le sou. 


Chronique familiale finalement assez classique, Le soleil des Scorta est une invitation au voyage et au dépaysement qui tient surtout au style tout à fait brillant de Laurent Gaudé. Le roman respire une certaine forme d’authenticité et nous plonge dans cette partie de l’Italie un peu hors du temps, qui ne suit que de très loin les évolutions de la société et regarde d’un œil alangui l’agitation du monde. Si bien qu’on peut avoir le sentiment, malgré les décennies qui défilent, que le temps est resté en suspens à Montepuccio. L’écriture de Laurent Gaudé, qui déploie ici un bien beau talent de conteur, est à la fois ciselée et incroyablement imagée, elle plonge le lecteur dans cette Italie un peu fantasmée, qui, sans pour autant nier les problèmes, nous fait immanquablement rêver. Les paysages, les saveurs et les fragrances des Pouilles assaillent le lecteur  dans un tourbillon de sensations organiques, presque charnelles, mais Laurent Gaudé prend soin heureusement de ne pas sombrer dans le cliché le plus éculé en rappelant que cette terre, aussi belle soit-elle, est aussi très dure et parfois ingrate.  En toile de fond, le roman propose évidemment une réflexion assez fine sur le poids de l’héritage familial, sur notre capacité ou notre incapacité à nous affranchir de notre passé et d’une certaine forme de déterminisme social.


4 commentaires:

Valérie a dit…

Mmm... un petit voyage en Italie, c'est tentant. T'avais-je dit que je suis allée à Pompéi et Paestum ce printemps ? C'était magique. Plus je vais en Italie, et plus j'ai envie de découvrir tous les coins de la péninsule. Alors à défaut d'y aller, je vais la lire.

Carmen a dit…

Je ne l’ai pas lu,mais on dirait que dans cette région de l’Italie c’est plus l’héritage immatériel à transmettre qui compte. Aujourd'hui on a l’impression que cet état d’esprit se dilue. C’est un peu dommage.
Bon,merci pour la chronique.

Emmanuel a dit…

La visite de Pompéi et d'Herculanum, a été un grand moment en ce qui me concerne et Paestum c'est quand même sacrément impressionnant. Bref, je recommande à tout le monde d'aller passer une petite semaine à Naples, il y a tant de richesses culturelles et architecturales dans cette région.

Emmanuel a dit…

Autant je connais un peu la Campanie, autant je n'ai jamais mis les pieds dans les Pouilles, mais ce n'est pas l'envie qui manque. Donc je ne saurais dire.