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jeudi 7 décembre 2023

Thriller historique raté : Tokyo, de Mo Hayder

 

Autant l’avouer d’emblée, j’apprécie de manière générale les thrillers, mais sans pour autant être un inconditionnel d’un genre que je considère essentiellement comme récréatif. Rien de péjoratif dans mes propos, j’adore la littérature de divertissement, mais j’ai peine à trouver un roman relevant du thriller pur et dur qui m’ait durablement marqué. Bref, c’est sympa, ça se lit bien, mais ça s’oublie en général assez vite. Tokyo de Mo Hayder fera sans doute exception à cette règle, mais pas forcément pour de bonnes raisons. Je n’aime pas ce roman, voilà, c’est dit. Tout simplement parce que je n’apprécie pas la manière dont il est construit, écrit et les bases narratives sur lequel il repose. Je ne consacrerai donc qu’une chronique assez courte à m’en faire le contempteur, chacune jugera ensuite s’il peut passer outre les défauts qui m’ont paru les plus saillants. 


Résumons brièvement l’histoire. Grey, une jeune anglaise aux troubles psychologiques assez prononcés, se passionne pour l'histoire de la Chine et en particulier pour un épisode sanglant de la guerre sino-japonaise : le massacre de Nankin en 1937. Cette passion confine d’ailleurs à l’obsession et se mêle à d’autres problématiques familiales plus ou moins compliquées, qui la conduisent un temps en hôpital psychiatrique. On l’aura compris, Grey est un personnage en apparence complexe, instable et sans cesse au bord  de la psychose. Persuadée qu’il existe un film d’archives sur le massacre de Nankin, dont elle croit avoir trouvé la mention dans un ouvrage universitaire, Grey plaque tout et vend ses maigres possessions pour se rendre au Japon et mener l’enquête auprès d’un vieux professeur chinois, dont elle espère obtenir  d’importantes informations. Hélas, sur place c’est la désillusion, le vieil homme refuse catégoriquement de lui parler et la jeune femme se retrouve sans ressources dans un pays étranger dont elle maîtrise tout de même à peu près la langue. Pour subvenir à ses besoins, Grey accepte de travailler dans un bar à hôtesses et tente tant bien que mal de réunir des informations pour retrouver la trace du film de Nankin.  


Tout au long du roman, l’auteure ne cesse d’établir des parallèles assez peu subtils entre la propre histoire de Grey (dont on comprends progressivement l’origine des troubles psychologiques) et le vieux professeur chinois, dont on a tôt fait de saisir qu’il est l’un des rares survivants du massacre de Nankin. Le roman est donc architecturé autour d’un double récit, celui de Grey, ancré dans le présent, et celui du vieux professeur qui prend la forme d’un journal de bord écrit lors des événements de 1937. Mo Hayder prend le parti d’exploiter l’horreur des atrocités commises lors du massacre de Nankin par les armées japonaises, qui dépassent d’ailleurs l’entendement, pour en prolonger toute la dimension cauchemardesque à notre époque et mettre en exergue les aspects les plus sensationnalistes (attention, là ça va sévèrement divulgacher).  A mon sens, la partie la plus historique, celle narrée par le vieux professeur chinois, est la plus réussie, mais la partie plus moderne est plus que discutable. Non contente d’être bourrée de clichés, elle sombre dans une obscure histoire de cannibalisme thérapeuthique, réduisant l’horreur de Nankin à un seul homme, certes malade et profondément dérangé, mais tenu pour responsable des atrocités commises par les Japonais. Hors nous parlons d’un massacre qui n’a rien de fictif, plusieurs centaines de milliers de civils furent assassinés, torturés, violés (hommes, femmes, enfants confondus) durant près de six semaines par les troupes japonaises. Il s’agit ici de crimes de guerre légitimés par les plus hautes sphères du pouvoir impérial, pas forcément planifiés de manière rationnelle comme le génocide des populations juives et tziganes d’Europe, mais légitimés et encouragés par l’état major de l’armée japonaises et couverts par l’empereur en personne (qui accepta de signer une directive suspendant les mesures de protection des prisonniers prévues par le droit international). N’oublions pas, par ailleurs, le rôle de la propagande japonaise, qui encourageait les soldats à traîter les Chinois comme des êtres inférieurs et sacrifiables. 


Encore une fois, l’Histoire n’est pas qu’un décor, un substrat à partir duquel il est possible de broder tout et n’importe quoi et Mo Hayder n’avait certainement pas de mauvaises intentions en développant l’histoire de Grey, mais les parallèles qu’elle établit entre la trame historique réelle de la guerre sino-japonaise et les développements fictifs de son thriller sont d’une extrême maladresse et relèvent d’une simplification difficilement pardonnable. Si vous êtes capable de passer outre ces considérations historiographiques, Tokyo reste un thriller bien construit et rondement mené, bien que parfois peu crédible. 


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