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vendredi 15 septembre 2023

Lectures estivales (partie 2)

 

Nicolas Mathieu, Connemara


Ne cherchez pas une quelconque trace d’impartialité dans cet avis, je suis un grand fan du travail de Nicolas Mathieu et son précédent roman (Leurs enfants après eux, lauréat du prix Goncourt), m’avait littéralement scotché. Belote, rebelote et dix de der’, cette fois encore Nicolas Mathieu a visé juste, son roman est pétri des mêmes qualités que son prédécesseur, même si on pourrait toujours lui reprocher d’user de schémas narratifs légèrement similaires. Pas grave, ça fonctionne si bien qu’on pardonne aisément. Connemara prend la forme d’un parcours croisé. D’un côté Hélène, jeune cadre dynamique à l’approche de la quarantaine, tente de retrouver un sens à sa vie. Après avoir implosé en vol à la suite d’un burnout, la jeune femme s’est construit une nouvelle vie en province. Un boulot dans une boite de conseil de seconde zone mais au salaire confortable, un mari plutôt avenant mais surbooké, deux filles adorables et une maison cossue… certes, sans doute n’est-ce pas la vie rêvée de l’étudiante brillante en école de commerce, mais Hélène a réussi à réaliser son rêve, à s’extraire de sa condition populaire et du marasme économique de sa région natale. Certes, l’élite de la nation lui a fermé ses portes, mais il n’y a pas forcément de honte à évoluer en deuxième division. Pourtant quelque chose l’agace, comme si sa vie était incomplète, conséquence funeste d’une sortie de route mal négociée. Jusqu’au jour où la jeune femme croise le parcours chaotique de Christophe, “Le Chistophe”, celui dont adolescente elle rêvait, le beau brun ténébreux, capitaine de l’équipe de hockey, pour qui toutes les filles avaient un béguin pas toujours innocent. Avec l’âge, le beau Christophe a pris quelques kilos et la démarche n’est plus aussi souple et féline, mais derrière le poids des années, l’adolescent transparaît parfois fugacement. Christophe tente aussi de se reconstruire après une séparation difficile avec la mère de son fils, son boulot de représentant lui pèse, mais lui permet de payer les factures  et de s’assurer une certaine stabilité. Sa vie affective est devenue un désert, alors la rencontre fortuite avec Hélène agit comme une allumette sur un feu de paille prêt à s’embraser. 

Connemara fonctionne comme une vue en coupe d’une France malade, une France un peu sur le déclin passée de la jeunesse ébouriffée et pleine de sève à une France qui aurait dix kilos de trop, une bagnole au bout du rouleau et un crédit sur une baraque devenue bien trop grande. Un prisme discutable, mais qui repose sans doute sur une certaine réalité, celle d’un pays qui peine à se renouveler et à retrouver son énergie, un pays fatigué de subir depuis trop longtemps la dure loi du capitalisme, de la politique politicienne et de la pression sociale orchestrée par les GAFAM. Et au milieu de cette morosité ambiante, des destins se croisent et s’entrecroisent, tentant désespérément de trouver un sens à leur vie, de manière empruntée et pathétique mais non dépourvue de sincérité, s’accrochant désespérément l’un à l’autre avant de partir vers des destinations opposées, laissant une fracture encore plus béante et un goût d’inachevé. Que reste-t-il alors, sinon des rêves brisés et des souvenirs d’enfance empreints d’une nostalgie infinie. Tout cela paraît si vain et pourtant il faut bien vivre. 




Edwardo Belgrano Rawson, Fuegia


A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, Fuegia est une sorte d’Objet Livresque Non Identifié. En réalité, il s’agit bien d’un roman, mais extrêmement bien documenté et tellement imprégné d’histoire et d’authenticité, qu’il pourrait presque se lire comme un documentaire. Direction à nouveau l’Amérique du Sud, la Terre de Feu plus précisément, ce territoire austral situé à la pointe Sud du continent et partagé entre le Chili et l’Argentine. Dans cette contrée froide et ventée, qui  en réalité est un archipel, les éléments dictent leur loi. L’océan Pacifique et l’océan Atlantique s’y rencontrent et de leur union tumultueuse les hommes sont tributaires et bien démunis. Progressivement, les colons espagnols et anglais ont tenté de s’installer sur ces îles, attirés par des eaux riches et poissonneuses de ces terres du bout du monde. Les chasseurs de phoques et de baleines, les pêcheurs de morue, puis les éleveurs de moutons se sont succédé, pillant les richesses naturelles, piétinant les territoires sacrés  des populations indigène, les réduisant à la dépendance. Les conflits n’ont pas manqué d’empoisonner les relations entre blancs et peuples premiers (Parrikens ou Canoeros), les uns accusant les autres d’être des voleurs de bétail, les autres des voleurs de terres. Lentement et insidieusement le génocide a pourtant lieu, les populations autochtones dépérissent, les maladies venues d’Europe ravageant leurs rangs, alors que les survivants autrefois fiers chasseurs en sont réduits à mendier auprès des blancs, persuadés que cette charité les disculpe aux yeux du seigneur. Une tragédie invisible à laquelle tente d’échapper une famille de canoeros, partie tenter sa chance plus au nord.

Récit poignant et bouleversant, Fuegia a la force des grandes tragédies de l’Histoire, que son auteur déroule avec une force implacable. L’avidité et la cupidité de l’homme blanc, ainsi que son cynisme outrancier, font face à l’incompréhension des peuples autochtones, qui peu à peu disparaîssent à bas bruit, oubliant leurs racines profondes, perdant toute forme de repère, faute de pouvoir perpétuer leur culture et leurs traditions, parasités par un lent phénomène d’aculturation qui sape les fondements de leurs sociétés.



Batya Gour, Le meurtre du samedi matin


Chronique survol pour ce petit polar israëlien publié en 1988 et premier volet de la série consacrée au commissaire Ohayon de la police criminelle de Jérusalem. Un polar à l’ancienne qui n’est pas sans rappeler une certaine Agatha Christie en plus moderne. Un meurtre a eu lieu tôt un samedi matin au sein d’un institut de psychanalyse très huppé, la victime était une praticienne très respectée dans le milieu et ses méthodes faisaient autorité auprès de tous. Difficile pour le commissaire Ohayon de démêler le vrai de faux quand les principaux suspects savent parfaitement manipuler l’esprit humain et résister à toute forme de pression psychologique. Un roman policier bien construit, à l’intrigue rondement menée et aux personnages bien campés. L’ensemble est fluide et prenant, mais sans grande originalité. Un bon divertissement tout de même, qui se mange (lit) sans faim.


6 commentaires:

Carmen a dit…

Trois bonnes lectures (et chroniques)pour dire adieu à l’été.
Je ne connaissais pas cet auteur argentin.Je vais voir aussi sa bibliographie.
Mais je lirai d’abord Fuegia.

Emmanuel a dit…

Moi non plus, une découverte sur l'étal d'un bouquiniste au marché, j'ai tenté ma chance et bonne pioche.

Carmen a dit…

Batya Gour,c’est pas mal du tout. Ça donne envie de lire autre chose d’elle.
J’ai découvert récemment Patricia Highsmith, une autrice américaine, avec ”Le cri du hibou”.

Emmanuel a dit…

Oui, c'est sympa Batya Gour, j'en lirai d'autres certainement. Jamais lu Patricia Highsmith en revanche.

Carmen a dit…

Bien aimé Le dernier court roman de Nicolas Mathieu”Le ciel ouvert”.Si tu as l’occasion.

Emmanuel a dit…

Merci pour la suggestion Carmen.