Nicolas Mathieu, Connemara
Ne cherchez pas une
quelconque trace d’impartialité dans cet avis, je suis un grand
fan du travail de Nicolas Mathieu et son précédent roman (
Leurs
enfants après eux, lauréat du prix Goncourt), m’avait
littéralement scotché. Belote, rebelote et dix de der’, cette
fois encore Nicolas Mathieu a visé juste, son roman est pétri des
mêmes qualités que son prédécesseur, même si on pourrait
toujours lui reprocher d’user de schémas narratifs légèrement
similaires. Pas grave, ça fonctionne si bien qu’on pardonne
aisément. Connemara prend la forme d’un parcours croisé. D’un
côté Hélène, jeune cadre dynamique à l’approche de la
quarantaine, tente de retrouver un sens à sa vie. Après avoir
implosé en vol à la suite d’un burnout, la jeune femme s’est
construit une nouvelle vie en province. Un boulot dans une boite de
conseil de seconde zone mais au salaire confortable, un mari plutôt
avenant mais surbooké, deux filles adorables et une maison cossue…
certes, sans doute n’est-ce pas la vie rêvée de l’étudiante
brillante en école de commerce, mais Hélène a réussi à réaliser
son rêve, à s’extraire de sa condition populaire et du marasme
économique de sa région natale. Certes, l’élite de la nation lui
a fermé ses portes, mais il n’y a pas forcément de honte à
évoluer en deuxième division. Pourtant quelque chose l’agace,
comme si sa vie était incomplète, conséquence funeste d’une
sortie de route mal négociée. Jusqu’au jour où la jeune femme
croise le parcours chaotique de Christophe, “Le Chistophe”, celui
dont adolescente elle rêvait, le beau brun ténébreux, capitaine de
l’équipe de hockey, pour qui toutes les filles avaient un béguin
pas toujours innocent. Avec l’âge, le beau Christophe a pris
quelques kilos et la démarche n’est plus aussi souple et féline,
mais derrière le poids des années, l’adolescent transparaît
parfois fugacement. Christophe tente aussi de se reconstruire après
une séparation difficile avec la mère de son fils, son boulot de
représentant lui pèse, mais lui permet de payer les factures
et de s’assurer une certaine stabilité. Sa vie affective est
devenue un désert, alors la rencontre fortuite avec Hélène agit
comme une allumette sur un feu de paille prêt à s’embraser.
Connemara fonctionne
comme une vue en coupe d’une France malade, une France un peu sur
le déclin passée de la jeunesse ébouriffée et pleine de sève à
une France qui aurait dix kilos de trop, une bagnole au bout du
rouleau et un crédit sur une baraque devenue bien trop grande. Un
prisme discutable, mais qui repose sans doute sur une certaine
réalité, celle d’un pays qui peine à se renouveler et à
retrouver son énergie, un pays fatigué de subir depuis trop
longtemps la dure loi du capitalisme, de la politique politicienne et
de la pression sociale orchestrée par les GAFAM. Et au milieu de
cette morosité ambiante, des destins se croisent et s’entrecroisent,
tentant désespérément de trouver un sens à leur vie, de manière
empruntée et pathétique mais non dépourvue de sincérité,
s’accrochant désespérément l’un à l’autre avant de partir
vers des destinations opposées, laissant une fracture encore plus
béante et un goût d’inachevé. Que reste-t-il alors, sinon des
rêves brisés et des souvenirs d’enfance empreints d’une
nostalgie infinie. Tout cela paraît si vain et pourtant il faut bien
vivre.
Edwardo Belgrano Rawson, Fuegia
A mi-chemin entre le
documentaire et la fiction, Fuegia est une sorte d’Objet Livresque
Non Identifié. En réalité, il s’agit bien d’un roman, mais
extrêmement bien documenté et tellement imprégné d’histoire et
d’authenticité, qu’il pourrait presque se lire comme un
documentaire. Direction à nouveau l’Amérique du Sud, la Terre de
Feu plus précisément, ce territoire austral situé à la pointe Sud
du continent et partagé entre le Chili et l’Argentine. Dans cette
contrée froide et ventée, qui en réalité est un archipel,
les éléments dictent leur loi. L’océan Pacifique et l’océan
Atlantique s’y rencontrent et de leur union tumultueuse les hommes
sont tributaires et bien démunis. Progressivement, les colons
espagnols et anglais ont tenté de s’installer sur ces îles,
attirés par des eaux riches et poissonneuses de ces terres du bout
du monde. Les chasseurs de phoques et de baleines, les pêcheurs de
morue, puis les éleveurs de moutons se sont succédé, pillant les
richesses naturelles, piétinant les territoires sacrés des
populations indigène, les réduisant à la dépendance. Les conflits
n’ont pas manqué d’empoisonner les relations entre blancs et
peuples premiers (Parrikens ou Canoeros), les uns accusant les autres
d’être des voleurs de bétail, les autres des voleurs de terres.
Lentement et insidieusement le génocide a pourtant lieu, les
populations autochtones dépérissent, les maladies venues d’Europe
ravageant leurs rangs, alors que les survivants autrefois fiers
chasseurs en sont réduits à mendier auprès des blancs, persuadés
que cette charité les disculpe aux yeux du seigneur. Une tragédie
invisible à laquelle tente d’échapper une famille de canoeros,
partie tenter sa chance plus au nord.
Récit poignant et
bouleversant, Fuegia a la force des grandes tragédies de l’Histoire,
que son auteur déroule avec une force implacable. L’avidité et la
cupidité de l’homme blanc, ainsi que son cynisme outrancier, font
face à l’incompréhension des peuples autochtones, qui peu à peu
disparaîssent à bas bruit, oubliant leurs racines profondes,
perdant toute forme de repère, faute de pouvoir perpétuer leur
culture et leurs traditions, parasités par un lent phénomène
d’aculturation qui sape les fondements de leurs sociétés.
Batya
Gour, Le meurtre du samedi matin
Chronique survol
pour ce petit polar israëlien publié en 1988 et premier volet de la
série consacrée au commissaire Ohayon de la police criminelle de
Jérusalem. Un polar à l’ancienne qui n’est pas sans rappeler
une certaine Agatha Christie en plus moderne. Un meurtre a eu lieu
tôt un samedi matin au sein d’un institut de psychanalyse très
huppé, la victime était une praticienne très respectée dans le
milieu et ses méthodes faisaient autorité auprès de tous.
Difficile pour le commissaire Ohayon de démêler le vrai de faux
quand les principaux suspects savent parfaitement manipuler l’esprit
humain et résister à toute forme de pression psychologique. Un
roman policier bien construit, à l’intrigue rondement menée et
aux personnages bien campés. L’ensemble est fluide et prenant,
mais sans grande originalité. Un bon divertissement tout de même,
qui se mange (lit) sans faim.
6 commentaires:
Trois bonnes lectures (et chroniques)pour dire adieu à l’été.
Je ne connaissais pas cet auteur argentin.Je vais voir aussi sa bibliographie.
Mais je lirai d’abord Fuegia.
Moi non plus, une découverte sur l'étal d'un bouquiniste au marché, j'ai tenté ma chance et bonne pioche.
Batya Gour,c’est pas mal du tout. Ça donne envie de lire autre chose d’elle.
J’ai découvert récemment Patricia Highsmith, une autrice américaine, avec ”Le cri du hibou”.
Oui, c'est sympa Batya Gour, j'en lirai d'autres certainement. Jamais lu Patricia Highsmith en revanche.
Bien aimé Le dernier court roman de Nicolas Mathieu”Le ciel ouvert”.Si tu as l’occasion.
Merci pour la suggestion Carmen.
Enregistrer un commentaire