Willnot, petite ville étrangement en dehors du temps, située quelque part du côté de l’Arizona, est le théâtre d’un incident peu commun. Un charnier y a été découvert par accident, dans une ancienne carrière abandonnée à la sortie de la ville. Le mystère reste entier, autant pour le shérif local que pour la cellule spécialisée envoyée par le FBI. Mais contre toute attente, le personnage principal de cette histoire n’est pas membre de la police et n’enquête sur rien. Lamar Hale est docteur, chirurgien même, et exerce ses talents dans l’hôpital du comté, ces cadavres sont le cadet de ses soucis, même si l’affaire aurait tendance à gentiment aiguiser sa curiosité. Mais les choses se compliquent un peu lorsqu’au même moment débarque un vétéran de l’armée, Bobby, dont Lamar a longuement suivi les troubles lorsqu’il était encore enfant. Y a-t-il un lien entre le retour de Bobby et ces meurtres ? Mystère, mais de toute façon le principal est ailleurs semble nous dire James Sallis.
D’une certaine manière, Willnot est un roman assez déroutant. En premier lieu parce qu’il semble se présenter comme un polar assez classique, mais oublie son intrigue en cours de route, en second lieu parce que, contre toute attente, cela fonctionne extrêmement bien. Mais ne soyons pas dupes, le roman tient debout par la seule force du talent d’écriture de l’auteur américain. Le style est faussement relâché et la narration nonchalante imprime au bout de quelques dizaines de pages son rythme lancinant et quasi hypnotique. Le vrai sujet c’est Willnot. Cette ville étrangement calme où planent les fantômes d’un passé douloureusement prégnant fait échos aux propres souvenirs de Lamar, hanté par une histoire personnelle que l’on entrevoit par bribes éparses. Lentement, James Sallis assemble pièce par pièce son puzzle, tout en prenant soin d’en laisser certains pans inachevés. Au lecteur de combler les parties manquantes, sans certitude, mais avec le sentiment que le motif global dépasse sans doute ce qu’il aspire à entrevoir. Une foultitude de personnages se bousculent…. et sortent aussi subitement du récit qu’ils y étaient entrés. Willnot fait figure d’îlot hors du temps, coupé d’une Amérique qui paraît bien lointaine. Les gens semblent y lâcher prise, cesser leur lutte contre une vie de peine et de souffrance, comme s’ils avaient atteint leur destination finale. Au milieu de cet étonnant maelstrom, Lamar fait figure de phare du bout du monde, il répare les gens tout autant qu’il tente de se réparer lui-même, observe, philosophe…. et regarde le temps qui passe. Autour de lui la vie s’écoule, avec ses hauts et ses bas, faite de gestes simples, de non-dits, de joie ou de peine. Elle est à la fois si dense et si légère. Si belle et si cruelle.
Roman doux-amer sur le temps qui passe, profondément empreint de nostalgie, Willnot est probablement l’un des livres les plus personnels de James Sallis, il y imprime sa marque à chaque page, par son style qui va en toute simplicité droit à l’essentiel, sans aucune fioritures, mais avec l’assurance de toucher en plein coeur.
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