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vendredi 21 janvier 2022

Marseille forever : Chourmo, de Jean-Claude Izzo

Deuxième ville de France, et pourtant grande absente du paysage médiatique français (sauf lorsqu’il s’agit de parler de foot, de feu Bernard tapie ou  des fusillades dans les quartiers nord), Marseille cumule les paradoxes. Son histoire, sa géographie ou bien encore sa culture, devraient en faire un pôle d’attraction plutôt qu’un repoussoir…. et pourtant, l’image de la ville n’a rien de très glamour. On la trouve trop “cosmopolite” (savourez l’euphémisme), trop sale, trop populaire, trop violente, mais au fond, les Français la connaissent mal et préfèrent en cultiver une image éculée et stéréotypée (rap, soupe au pistou et vols à la tire). Loin de moi l’idée de balayer d’un revers de la main le taux de criminalité plutôt élevé de la ville (lié davantage à sa taille critique et à sa démographie, plutôt qu’à une véritable culture de la violence) ou bien encore la décrépitude de certains quartiers laissés à l’abandon, mais nier la vitalité et la richesse culturelle de cette ville est lui faire une grande injustice. Encore faut-il percevoir, au-delà des apparences, cette dimension essentielle et profondément humaine. La littérature peut nous y aider, modestement, et ouvrir une fenêtre sur la cité phocéenne, mais cette vérité restera forcément parcellaire. Qu’importe, elle est une pièce de cette immense mosaïque que représente Marseille. Parmi les auteurs phares de la ville, Jean-Claude Izzo fait figure d’incontournable, il est l’un des premiers à avoir saisi le potentiel de Marseille en matière de polar. Ce mélange de culture urbaine, de gouaille marseillaise mâtinée de traditions populaires et provençales a quelque chose d’unique…. à condition de ne pas sombrer dans le cliché et la facilité. Ce qui est moins facile à dire qu’à faire.


Chourmo est le second volet de la trilogie marseillaise et je ne saurais trop vous conseiller de commencer par Total Khéops (lu il y a une bonne vingtaine d’années si mes souvenirs sont bons), qui permet de faire connaissance avec Fabio Montale, le flic au grand coeur mais écorché par la vie, qui se raccroche à un passé qui ne cesse de partir en lambeaux, alors que les cadavres s’accumulent autour de lui, reliefs d’une vie de chaos (d’où l’expression, total Khéops, reprise au groupe IAM). Fabio, un vrai personnage celui-là. Viscéralement attaché à sa ville et à sa culture, mais en total décalage avec une cité en pleine évolution, qui se fiche bien de ses anciens amours. L’homme a quitté la police et vit une existence de père tranquille, du côté des Goudes (un quartier qui a tout d’un petit village de pêcheur, avec ses cabanons regroupés autour d’une crique, à quelques encablures des calanques), une vie oisive où la pêche et les apéros-pastis avec les copains du quartier tiennent une place prépondérante, mais d’où suinte pourtant un certain ennui. Mais la vie va se charger rapidement de le rattraper en la personne de sa cousine, dont le fils a mystérieusement disparu alors qu’il devait retrouver sa petite amie dans le quartier du Panier. Fabio reprend donc du service et remonte la piste de l’adolescent fugueur, dont il retrouve hélas rapidement le cadavre. Débute alors une enquête difficile pour retrouver la petite amie de Guitou et reconstituer la chronologie des événements afin de retrouver le tueur. Mais Montale n’est pas né de la dernière pluie et sent bien que derrière ce meurtre, se cache sans doute la petite arrière-cuisine pas très propre de la pègre marseillaise. Reste à comprendre comment Guitou s’est retrouvé mêlé à cette affaire, lui, l’ado au regard si doux qui rêvait d’amour.


Chourmo n’est, il faut bien le reconnaître, sans doute pas le roman le plus à même de redorer l’image de la cité phocéenne. L’histoire est sombre, tragique, désespérée et Montale, malgré son capital sympathie n’est pas exactement un personnage solaire. Le début du roman est même, à mon sens, un brin caricatural, mais il a le mérite de poser une ambiance, de lui donner une tonalité et un relief bien particuliers. J.C. Izzo réussit à insuffler une certaine authenticité à son récit, en dépit de quelques clichés un peu faciles on se laisse porter par l’atmosphère de la ville ; les locaux et les amoureux de Marseille retrouveront leurs marques. Les noms des rues et des quartiers évoquent immanquablement des images, des odeurs, des sensations quasiment épidermiques et l’on rêve évidemment de se retrouver assis à la terrasse d’un minuscule café des Goudes, à regarder la mer faire des clapotis contre le quai du petit port. C’est sûr, ça fait davantage rêver que les barres de béton décrépi des quartiers nord ou les petites ruelles sales et un peu glauques qui descendent de la gare Saint Charles vers le vieux port. Et pourtant, Marseille c’est tout cela à la fois. Oui, c’est la soupe au pistou et l’anchoïade, les ruelles sordides et les boulevards splendides, le soleil éclatant et les bourrasques infernales du mistral, c’est cette vue magnifique que l’on peut contempler tout son saoul depuis la Bonne Mère ou bien encore ces joueurs de pétanque aux répliques dignes d’un roman de Pagnol… Marseille c’est cette cité incroyablement vivante et bigarrée, dont on sent à chaque instant battre les pulsations et dont on perçoit toute l’énergie et la souffrance. Lire Izzo, c’est un peu toucher du doigt cette réalité et la faire sienne afin de mieux comprendre ce qu’est être “marseillais”.

8 commentaires:

Carmen a dit…

Je n’ai jamais lu l’auteur mais cette chronique est magique,tu nous fait visiter Marseille comme si on y était.��C’est tout à fait ça le charme de Marseille,à la fois attirante et repoussante,mais ouverte sur les autres.Je crois que pour JC Izzo c’était un personnage à part entière.
A l’occasion je commencerai par Total Kheops.

Carmen a dit…

La couverture c’est l’edition étrangère?
Je crois reconnaître le Vallon des Auffes.

Emmanuel a dit…

Oui, je trouvais la couverture beaucoup plus sympa que celles des différentes éditions françaises. Pour le vallon des Auffes, je ne crois y être allé qu'une seule fois quand j'étais gamin, mon père nous emmenait plutôt vadrouiller du côté de Sourmiou ou Morgiou (on râlait même pas alors qu'il fallait marcher un moment en plein cagnard)..... et quand il avait la flemme à la plage du Prado ;-)

Biancarelli a dit…

J’ai rarement lu une chronique où Marseille est si bien décrite,si ce n’est chez Izzo lui-même. Bravo.
Il serait illusoire d’imaginer un Marseille propre,lisse,tranquille .
Izzo ,parti trop tôt, l’avait bien compris.

Emmanuel a dit…

Merci pour les compliments, mais je triche un petit peu puisque j'ai vécu à Marseille durant mon enfance.

Carmen a dit…

Oui tu as très bien fait pour la couverture, les autres sont pas top.

Pour moi c’est ma ville d’adoption mais je te rejoins sur l’approche qu’on a de la ville par la mer.C’est bien de ne pas avoir oublié..et je confirme le soleil l’été cogne vraiment à la verticale:-)

Ubik a dit…

Cette lecture ne me rajeunit pas, même si j'approuve complètement cette chronique en dépit de ma méconnaissance de Marseille.

Emmanuel a dit…

Hélas, mais nous vieillissons comme du bon vin ;-)